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par Ramón Pino le 26 août 2019

QUELQUES RÉFLEXIONS

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à propos des anarchistes, des syndicats et des partis

Article extrait du Monde libertaire n°1807 de juin 2019
Une question se pose aux anarchistes investis dans les luttes sociales menées dans les entreprises où ils travaillent : quelle pratique révolutionnaire poursuivre au quotidien ? Le problème n’est pas nouveau pour nous. Ni d’ailleurs pour toutes les organisations de gauche ou d’extrême-gauche, avant-gardes autoproclamées du prolétariat ; dès le 19e siècle la plupart des sociaux-démocrates avaient ajouté la voie parlementariste à leur catalogue « révolutionnaire ». La conquête du pouvoir politique a suffisamment démontré partout, que gauche ou extrême gauche une fois arrivées aux commandes d’un pays n’ont jamais aboli le capitalisme. Tout au plus l’a-t-on remplacé par un capitalisme d’État avec une nomenklatura prenant le relais de la classe bourgeoise. Nomenklatura qui, au moyen de la dictature du prolétariat (ou mieux dit, la dictature sur le prolétariat) a perpétré l’exploitation de l’homme par l’homme et tous les rapports de domination.
Dans la galaxie révolutionnaire, qu’est-ce qui nous distingue, nous anarcho-syndicalistes ? Nous ne sommes pas partisans de la stratégie parlementariste ; nous ne prétendons pas être l’avant-garde « éclairée » d’un prolétariat qui serait incapable de prendre en main sa propre destinée. Au contraire, en tant qu’anarcho-syndicalistes nous pensons que les travailleurs peuvent parfaitement gérer leur vie par le biais de leur organisation de classe. C’est-à-dire une organisation composée uniquement de travailleurs et non inféodée à un quelconque parti politique dirigé par des bourgeois « éclairés » qui les cantonnerait à des revendications uniquement matérielles, et qui s’octroierait la « direction politique » du pays.
Est-ce à dire que nous n’avons pas, nous, de projet politique. Certes non ; nous prétendons que l’émancipation de la classe travailleuse s’accomplira en créant de véritables rapports de solidarité et d’égalité en pratiquant la démocratie directe, en collectivisant et socialisant les moyens de productions. Des partis « révolutionnaires » proposent la même chose ? Qu’ont-ils réellement fait une fois parvenus au pouvoir ? De la mise au pas des soviets assujettis au parti unique bolchevik en URSS, aux syndicats sous la coupe d’un parti « communiste » toujours unique en Chine ou à Cuba (et tout ça pour en arriver à combiner dictature et économie de marché), où est la différence avec la démocratie bourgeoise ?
Et dans notre pays ? Comment a évolué le mouvement socialiste (au sens large de ce terme) depuis le 19e siècle ? La défaite militaire de la Commune de Paris a été suivie d’une perte d’influence des idées proudhoniennes (ses partisans ayant été massacrés, enfermés, déportés, ou forcés à l’exil). Malgré cela et en dépit de la stratégie parlementariste des partis se réclamant de Marx (pauvre Marx « interprété » par tous les léninistes à venir !), les anarchistes (après la courte période des attentats) opteront largement pour le militantisme dans l’organisation de classe (bourses du travail …) qui aboutira à la création de la CGT (1ère mouture). Dans cette CGT s’affronteront assez rapidement syndicalistes révolutionnaires et sociaux-démocrates jusqu’à la sacro-sainte Charte d’Amiens (1906) ; il s’agira d’un compromis entre les premiers, partisans d’une organisation de classe disposant de la production et de la répartition des richesses produites, et les seconds s’inscrivant eux, dans la conquête du pouvoir politique (parlementarisme), et pour qui les syndicats ne doivent être que des relais du parti auprès des travailleurs (stratégie de la « courroie de transmission »).
Cette Charte d’Amiens est bien un compromis et sera considérée comme une victoire par les uns et les autres : les syndicalistes révolutionnaires sont satisfaits que les syndiqués membres également d’un groupement ou parti s’engagent à ne pas introduire dans l’organisation de classe les opinions desdits groupements ou partis. Le socialiste guesdiste Victor Renard, secrétaire de la Fédération du Textile, ne s’y trompa pas et pu ainsi déclarer : « Les anarchistes qui prédominent dans la CGT ont consenti à se mettre une muselière. »
Lui et les partisans de la voie parlementariste étaient eux, satisfaits de pouvoir continuer à être membres des organisations corporatistes et aussi de leurs groupements politiques, même s’il n’était pas question d’en introduire les consignes dans les syndicats. On devait voir assez rapidement le peu de cas fait de cette condition par les sociaux-démocrates au lendemain de la Révolution russe, le PCF récemment créé s’enfonçant dans la CGT comme « une pointe d’acier dans une motte de beurre ». L’histoire de la CGT jusqu’à l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale sera une succession de batailles d’influence, de scissions et réunifications qu’il serait trop long de détailler ici, et qui mériterait une analyse à part entière (CGT, CGT.U, CGT-SR …). Toujours est-il que jusqu’en 1968 la voix révolutionnaire dans la CGT sera de moins en moins audible et celle du PCF de plus en plus hégémonique. Cette situation avait déjà provoqué le départ de nombreux révolutionnaires partis se réfugier à FO créée en 1947. Une autre grande cassure se produira après 68 : devant l’attitude conservatrice et réactionnaire du Bureau dirigeant de la CGT qui ne fit que répercuter les consignes du PCF pour contenir manifestations étudiantes et occupations d’usines, et surtout empêcher la jonction des deux mouvements, nombre de jeunes travailleurs vont rejoindre la CFDT qui se disait alors « autogestionnaire ». Certaines estimations indiquent pour le début des années 70, une augmentation des effectifs de la CFDT de 20% ! Son secrétaire général de l’époque (Edmond Maire) ratissant large et n’hésitant pas dans un bel élan démagogique à déclarer dans le journal « Le Monde » du 19 octobre 1972 : « Il y a eu deux grands courants socialistes, celui qui est jacobin, centralisateur, autoritaire, s’est établi dans les pays de l’Est. L’autre, le socialisme libertaire, anarcho-syndicaliste, autogestionnaire, c’est celui que nous représentons. »




Trop beau. Ça ne pouvait évidemment pas durer longtemps, dès le congrès d’Annecy (1976) les suspensions et exclusions commençaient. C’est que l’heure n’était plus à l’autogestion mais à « l’autonomie engagée » (comprenez : il faut se rendre aux urnes et voter pour l’Union de la Gauche). Exit le socialisme libertaire évoqué quatre ans plus tôt. L’épuration des militants anarcho-syndicalistes sera menée tambour battant : la plus grosse section CFDT (Usinor-Dunkerque) est exclue. En 1976 c’est au tour de l’Union locale parisienne des 8/9èmes arrondissements ; 1977, c’est l’Union départementale 33 qui est éjectée ; 1979 la section BNP Paris et ainsi de suite. Sous l’œil d’ailleurs plutôt réjoui des « camarades trotskystes » de la Ligue communiste de l’époque qui avaient bien senti le danger pour eux et leurs théories : si les travailleurs prenaient vraiment en main leur organisation de classe pour gérer directement leurs affaires, à quoi servait donc un parti extérieur prétendant lui aussi gérer ces affaires, et surtout les diriger ? À rien répondent les anarchistes qui, s’ils ont un projet de société libertaire et égalitaire, n’entendent pas l’imposer de l’extérieur de l’organisation de classe, mais rappeler sans cesse quel était le double rôle dévolu aux sociétés d’entraide des travailleurs (plus tard devenues syndicats) : Les revendications matérielles pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs ; la préparation de leur émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste.
C’est-à-dire que l’organisation de classe, actuellement groupement de résistance doit être dans le futur le groupement de production et de répartition des richesses produites par les travailleurs, charge à eux - et à eux seuls - de déterminer les besoins et le type de produits qui leur sont nécessaires. Et là évidemment s’ouvre un débat à tiroirs pour définir ces besoins et comment les produire, dans quelles quantités, dans quelles conditions, suivant quelles normes écologiques … Vaste programme comme disait l’autre.
Nous sommes loin du compte aujourd’hui ; d’abord parce que d’une organisation de classe unique (CGT) nous en sommes arrivés à une division des syndiqués et à un abandon (oubli ?) du second point cité plus haut : la préparation à l’émancipation intégrale des travailleurs. La CGT d’avant la Première Guerre mondiale envisageait d’obtenir cette émancipation intégrale par le biais de la grève générale expropriatrice. On a pu voir en France deux grands mouvements de grève générale (en 1936 et 1968), mais il ne s’est jamais agi de grève expropriatrice (simplement d’occupations des usines), et elles ont surgi en dehors des syndicats ou plutôt de leur bureau confédéral, assujetti en l’occurrence au Parti communiste français. La Charte d’Amiens ayant ainsi été interprétée par les tenants du Parti ayant la main sur les syndicats cantonnés au rôle de demandeurs d’amélioration des conditions d’exploitation. À cet égard la Charte de Lyon (CGT-SR 1926) semble mieux armée : selon elle, il ne s’agit pas seulement pour les travailleurs de lutter contre le capitalisme hors des partis politiques, mais même contre ceux-ci qui prétendent les assujettir en les cantonnant à un simple rôle de courroie de transmission.
Les anarcho-syndicalistes voient dans les structures du syndicat, verticales (secteurs et branches d’industrie) et horizontales (unions locales des quartiers et villes), une illustration du fonctionnement du fédéralisme libertaire. Mais nous n’en sommes pas là - loin s’en faut - et si une grève générale peut s’attaquer au système en place, si elle peut désorganiser le système d’exploitation des travailleurs, elle risque de tourner court en se contentant de blocages et d’occupations des entreprises (comme en 36 et 68). Par contre si elle s’inscrit dans l’action révolutionnaire, en prenant le contrôle des entreprises, en étant gérée par les travailleurs eux-mêmes à leur profit, donc en expropriant les patrons, on est au-delà d’une simple grève générale et on entre dans une grève gestionnaire débouchant sur une nouvelle organisation économique, aux mains exclusivement des travailleurs. C’est ce qu’on a pu voir se dessiner dans l’Espagne de 1936, où collectivisations et socialisations se sont succédé à la vitesse grand V. Il est vrai que la plus puissante organisation de travailleurs espagnols était la CNT anarcho-syndicaliste. Aujourd’hui en France nous n’en sommes pas là, le sens de l’histoire existe mais il n’est pas vraiment linéaire, il comprend de nombreux retours en arrière et, il faut bien le constater, actuellement nous sommes plutôt au creux de la vague. Ce n’est évidemment pas une raison pour nous, de bouder les syndicats (malgré leur dégénérescence, leurs querelles, leurs trahisons aussi…), car chaque fois – chaque fois – que les anarchistes se sont éloignés du combat social, l’influence de leurs idées a perdu en vigueur au sein du prolétariat, ainsi que l’espoir de voir - rapidement - s’instaurer une société libertaire et égalitaire, sans État ni patrons.


PAR : Ramón Pino
Groupe anarchiste Salvador-Seguí
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le 1 septembre 2019 22:53:10 par esclavos revolossos

tout saint-pleut-ment mont-T un micro cosme dans le cosme........et la pyramide c est-croule.....