Littérature > Mémoires de prison d’un anarchiste
Littérature
par Claire Auzias • le 21 septembre 2020
Mémoires de prison d’un anarchiste
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Le titre de ce livre n’est aucunement usurpé ; il s’agit bien des mémoires des quelque quatorze années passées en prison par Alexandre Berkman (1892-1906) pour un fait qu’il qualifie lui-même d’attentat, à portée politique, en tant qu’anarchiste. Et c’est bien de la transformation existentielle d’un anarchiste qu’il s’agit tout au long de ce gros ouvrage.
Quatorze ans, c’est long. C’est une durée qui oeuvre sur l’humain.
Alexandre Berkman est un révolutionnaire russe, idéaliste, émigré aux États-Unis dans les années 1880 et devenu anarchiste aux côtés de ses compagnons d’émigration juifs et sous la propagande de Johan Most, lui-même émigré allemand. Berkman est un fils de bonne famille qui s’identifie pleinement à la lutte pour l’émancipation des paysans russes menée par les "Narodniki" dont nous connaissons quelques noms, Vera Zassoulitch, Maria Spiridonova par exemple, et soutenus par Kropotkine. Les attentats contre les potentats russes ne sont pas rares en Russie, tout révolutionnaire russe vibre à l’unisson de ces luttes. C’est dans cette formation politique initiale qu’Alexandre Berkman aborde l’anarchisme, notamment aux côtés de David Edelstadt. Après plusieurs années de militantisme et d’éducation de soi, Berkman décide de liquider le patron des aciéries de Pittsburg, (juillet 1892) mais ce dernier en réchappe.
Commence alors ce que le lecteur découvre au fil de ces pages, la destruction systématique des hommes entreprise par le système carcéral incarné par des directeurs et des matons, tous plus sadiques les uns que les autres. Berkman, entré rigide en prison avec des principes intellectuels qu’il n’a jamais confrontés au moindre assouplissement, apprend à son corps défendant et à ses plus grandes douleurs, une face ignorée de l’humain. Berkman s’humanise au contact de la prison. Il reste anarchiste du début à la fin, c’est ce qui lui sert d’armature psychique, mais un anarchiste devenu humain. Il apprend à englober dans sa définition de l’humanité exploitée et souffrante les prisonniers, qu’auparavant il dédaignait. Cet apprentissage est d’une grande sincérité et d’une poignante dignité tout au long de ces quatre cents pages qui se lisent avec une aisance romanesque.
Ce document traduit la vive intelligence de Berkman, en outre, et sa frémissante fraternité avec ses compagnons d’infortune, qui lui deviennent intimes. C’est un engendrement d’une autre façon d’être anarchiste dont certaines pages sont extraordinaires, notamment lors de sa rédaction d’une petite revue clandestine interne à la prison avec ses camarades. Un livre et une expérience qui forcent le respect.
Claire Auzias
Mémoires de prison d’un anarchiste, Alexandre Berkman (Nouvelle traduction par Jacqueline Reuss et Hervé Denes), Editions l’Echappée, 2020, 447 pages, 26 euros
Quatorze ans, c’est long. C’est une durée qui oeuvre sur l’humain.
Alexandre Berkman est un révolutionnaire russe, idéaliste, émigré aux États-Unis dans les années 1880 et devenu anarchiste aux côtés de ses compagnons d’émigration juifs et sous la propagande de Johan Most, lui-même émigré allemand. Berkman est un fils de bonne famille qui s’identifie pleinement à la lutte pour l’émancipation des paysans russes menée par les "Narodniki" dont nous connaissons quelques noms, Vera Zassoulitch, Maria Spiridonova par exemple, et soutenus par Kropotkine. Les attentats contre les potentats russes ne sont pas rares en Russie, tout révolutionnaire russe vibre à l’unisson de ces luttes. C’est dans cette formation politique initiale qu’Alexandre Berkman aborde l’anarchisme, notamment aux côtés de David Edelstadt. Après plusieurs années de militantisme et d’éducation de soi, Berkman décide de liquider le patron des aciéries de Pittsburg, (juillet 1892) mais ce dernier en réchappe.
Commence alors ce que le lecteur découvre au fil de ces pages, la destruction systématique des hommes entreprise par le système carcéral incarné par des directeurs et des matons, tous plus sadiques les uns que les autres. Berkman, entré rigide en prison avec des principes intellectuels qu’il n’a jamais confrontés au moindre assouplissement, apprend à son corps défendant et à ses plus grandes douleurs, une face ignorée de l’humain. Berkman s’humanise au contact de la prison. Il reste anarchiste du début à la fin, c’est ce qui lui sert d’armature psychique, mais un anarchiste devenu humain. Il apprend à englober dans sa définition de l’humanité exploitée et souffrante les prisonniers, qu’auparavant il dédaignait. Cet apprentissage est d’une grande sincérité et d’une poignante dignité tout au long de ces quatre cents pages qui se lisent avec une aisance romanesque.
Ce document traduit la vive intelligence de Berkman, en outre, et sa frémissante fraternité avec ses compagnons d’infortune, qui lui deviennent intimes. C’est un engendrement d’une autre façon d’être anarchiste dont certaines pages sont extraordinaires, notamment lors de sa rédaction d’une petite revue clandestine interne à la prison avec ses camarades. Un livre et une expérience qui forcent le respect.
Claire Auzias
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PAR : Claire Auzias
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1 |
le 21 septembre 2020 13:55:10 par Luisa |
Merci !