Marc Tomsin va manquer.
Marc Tomsin est mort le 8 juin en Crète, amical, chaleureux et toujours souriant, il nous manquera tant comme éditeur que comme compagnon toujours fidèle à ses engagements de jeunesse. Nous avons choisi pour un dernier salut de republier des extraits d’un entretien avec lui réalisé par le Monde libertaire en 2008 à propos de son action en 1968. 68, Claire Auzias se souvient du cinquantenaire des « événements » en Grèce, en compagnie de Marc. La vie de Marc, ses engagements ? Hugues Lenoir nous livre des éléments extraits de sa notice biographique dans le Maitron des anarchistes. Thierry Porré dans un un texte bref reviendra sur son engagement militant au syndicat des correcteurs-CGT dont il fut adhérent.
Comme on dit dans notre culture : Marc que le terre te soit légère
Le Monde libertaire.
Le début d’un combat pour l’autonomie individuelle et collective.
Entretien avec Marc Tomsin
En 1968, Marc était au lycée Voltaire dans le 11e arrondissement à Paris
« Le mouvement des occupations de mai et juin 1968 porte en son sein sa négation à travers la médiatisation des leaders et le rôle des organisations avant-gardistes, les léninistes de tout poil œuvrant avant tout à se renforcer ou à s’implanter, en cherchant à noyauter et à instrumentaliser des structures de base comme les comités d’action lycéens […]. Les syndicalistes communistes et trotskistes de la Fédération de l’Education nationale ont agi plus efficacement contre le mouvement lycéen que la répression policière : c’est une leçon que l’on retient à vie. […]. Nous nous reconnaissons dans la Commune de Paris et dans le drapeau noir des pirates, des canuts et des anarchistes […].
Les nuits barricadières sont vécues avec une folle intensité par les adolescents : elles nous offrent des moments fusionnels avec la population solidaire où prend forme cette transformation sociale par et pour la communauté humaine dont nous rêvons […]. C’est au contact des lycéens de la JAC (Jeunesse anarchiste communiste) que je découvre la critique de la vie quotidienne, directement inspirée par l’IS (Internationale situationniste) […]. C’est en assistant aux assemblées d’ICO que prend forme une conception libertaire de la pratique politique et de l’organisation sociale que je partage encore de nos jours […]. Je n’ai jamais été tenté par d’autres expériences de construction d’organisations politiques, tout en considérant comme essentielles l’organisation des tâches à la base et l’autonomie des mouvements sociaux vis-à-vis de tous les partis […]. Je participe aussi très épisodiquement à des revues comme IRL ou La Lanterne noire. En 1974, je suis étudiant en philo à la fac de Poitiers, d’où je suis exclu eu 1976 avec de nouveaux complices tant l’université ne nous inspire que rébellion […] ». Et Marc de conclure « seule la lutte auto-organisée transforme les individus et les sociétés ».
Sources Monde libertaire, Hors-série n°34, mai 2008, pp.9,10, 11, extraits réalisés par H. Lenoir
Une rose noir pour Marc
Tel Lord Byron qui donna sa vie pour l’indépendance de la Grèce, Marc est tombé sur cette terre qu’il aimait et qu’il s’était choisie.
En le perdant, nous perdons un compagnon d’envergure contemporaine, créateur d’une incessante réactivation de l’anarchisme. Il participe de ces figures actuelles de l’anarchisme. Inutile de refaire ici sa biographie très bien documentée dans "le Maitron" de longue date. On peut lire ici ou là quelques interviews qu’il a données retraçant son parcours, un parcours typique de la modernité de l’anarchisme. Lycéen en mai 68, et actif au CAL, il partageait ainsi avec moi et quelques autres, cette entrée en matière dans la vie politique qui serait la nôtre, à nous les petits de 68. Il n’a jamais répudié son attachement aux auteurs situationnistes qu’il lut même avant mai, et est devenu un ami proche de Raoul Vaneigem qui représentait pour Marc une source d’inspiration majeure. Militant très averti, il ne se laissait jamais leurrer par des intrigues ou tentatives autoritaires, aussi critiques fussent-elles. Il avait un sens aigu des subversions productives et ne s’est jamais réfugié dans le spectacle, les complaisances ou les superficialités mondaines. Certes il était gentil avec tout le monde, souriant, ouvert, sociable. Sans illusion. Vagabond des étoiles comme Panait Istrati, il s’est attaché à l’Espagne post-franquiste, puis au Chiapas et enfin à la Grèce. Quand un mouvement arrivait à bout de souffle, Marc reprenait sa route vers d’autres cieux plus tumultueux. Il s’est fracassé à Xania, au squatt de Rosa Nera, où il nous avait conduits au terme d’un heureux périple qu’il confectionnait pour ceux qu’il choyait, lors des cinquante ans de Mai 68. Avec Jean-Pierre Duteuil et Tomas Ibanez, en compagnie de ses deux intimes Lucile et Babis, nous avons sillonné de squatt en squatt, des espaces grecs autogérés où nos débats s’étendaient à perte de nuit, tant nos compagnons grecs étaient friands de discussion. Rosa Nera est l’écrin idéal pour la mémoire de Marc, c’est un lieu somptueux, avec des compagnons anarchistes ardemment soucieux de leur autonomie, cette autonomie que Marc défendait.
Comme il a aussi croisé le mouvement surréaliste, où je l’ai retrouvé parfois aux côtés d’Oscar Borillo et de Guy Flandre, j’ai choisi un poème de Joyce Mansour, surréaliste égyptienne, pour lui rendre un dernier hommage, "Bleu comme le désert" :
"Heureux les solitaires
Ceux qui sèment le ciel dans le sable avide
Ceux qui cherchent le vivant sous les jupes du vent
Ceux qui courent haletants après un rêve évaporé
Car ils sont le sel de la terre.
Heureuses les vigies sur l’océan du désert
Celles qui poursuivent le fennec au-delà du mirage.
Le soleil ailé perd ses plumes à l’horizon
L’éternel été rit de la tombe humide
Et si un grand cri résonne dans les rocs alités
Personne ne l’entend, personne.
Le désert hurle toujours sous un ciel impavide
L’oeil fixe plane seul
Comme l’aigle au point du jour
La mort avale la rosée
Le serpent étouffe le rat
Le nomade sous sa tente écoute crisser le temps
sur le gravier de l’insomnie
Tout est là en attente d’un mot déjà énoncé
Ailleurs".
Claire Auzias, pour le Monde Libertaire, 10 juin 2021.
Notice biographique
Marc Tomsin était né le 15 juin 1950 à Paris XXe arr. Animateur du Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte (CSPCL), militant CGT, correcteur.
Il résida à Paris XIXe jusqu’en 1974, puis, successivement, à Poitiers de l’automne 1974 à l’été 1976, à Toulouse jusqu’au printemps 1977 et à Barcelone jusqu’à l’automne 1979 où il revint à Paris. Il était le fils de Jacques Tomsin, né à Paris (20 septembre 1922 - 9 juillet 1970), et de Claudine Labadie, née le 9 octobre 1926 à Bayonne. Son père fut professeur de lettres classiques dans le secondaire jusqu’en 1965, puis assistant à l’université de Poitiers. Il participa au mouvement libertaire de l’après-guerre et resta anarchiste de cœur, adhérent du SNES puis du SNESup et votant généralement PSU. Sa mère était infirmière des Hôpitaux de Paris, votait à gauche et sympathisa avec les libertaires lors des manifestations de Mai 68.
Il poursuivit ses études secondaires au lycée Voltaire à Paris (bac philo en 1969). En 1974, il s’inscrivit en philosophie à l’université de Poitiers dont il sera exclu suite à un boycottage actif des examens de l’été 1976 dans la perspective d’une remise en cause pratique de l’université et de son rôle social. Après une réinscription à l’université de Toulouse en 1976, il obtint une licence de philosophie [...].
(Après 1968), Il se lia avec Christian Lagant (revue Noir et Rouge), correcteur d’imprimerie, dont l’anarchisme critique fut aussi une influence marquante. À cette époque, il travaillait comme magasinier aux NMPP (1971-1972) puis comme chauffeur-livreur au Monde, en 1973, en compagnie de Germinal Clemente, coursier, avec qui naquit une amitié complice qui s’épanouit à Barcelone en 1977 […]
Il participa à la revue parisienne La Lanterne noire (1974-1977, première utilisation du pseudonyme Bélial) et à IRL (revue libertaire lyonnaise). Il rencontra à l’automne 1976 Maria Mombiola, qui propageait à Toulouse l’expérience des collectivités d’Aragon. Les chemins de Germinal et de Maria le mèneront à Barcelone et aux Journées libertaires internationales (juillet 1977) où il noua avec Diego Camacho (Abel Paz) une amitié indéfectible. À Barcelone, il participa au collectif Etcetera, avec Quim Sirera et Santi Soler (ex-MIL), et entama de longues discussions avec Xavier Garriga Paituvi (ex-MIL) […]. En 1985, il fonda, avec Angèle Soyaux – connue à ICO en 1970 – les éditions Ludd, qui publièrent jusqu’en 1998 des textes de Kraus, Panizza, Wedekind, Dagerman, Vaneigem....
Des liens avec le Mexique le mènent à participer à la fondation du Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte (CSPCL) en janvier 1995. Un accord constructif et une solide amitié se nouèrent dans ce collectif avec les Mexicains Raúl Ornelas Bernal et Jorge Hernandez. En 1996, Marc Tomsin participa à la Rencontre européenne pour l’humanité et contre le néolibéralisme de Berlin (mai) et à la Rencontre intercontinentale au Chiapas (juillet). Une dizaine de séjours au Mexique entre 1996 et 2006 consolidèrent les relations de solidarité avec les communes zapatistes du Chiapas. Il fit de fréquentes interventions en France et en Belgique sur la situation au Mexique (Chiapas et Oaxaca). En 2007, il fonda à Ménilmontant les éditions Rue des Cascades, dont la collection « Les livres de la jungle » est dédiée aux peuples indigènes du Mexique. En 1997, Marianne Palmiéri réalisa sur le parcours libertaire de Marc Tomsin un documentaire de 28 minutes intitulé Anarchiste (G.H. Films).
Établi en Grèce, il s’était fixé à Exarchia vers 2017. il mourut en Crète le 8 juin 2021 suite à un grave accident.
Source Maitron des anarchistes, extraits notice de Marc Tomsin, auteur Hugues Lenoir
Syndicaliste CGT
De retour à Paris vers l’automne 1979, il s’initia à la correction auprès de Georges Rubel et adhéra au syndicat CGT des correcteurs. Il travailla trois ans dans des imprimeries de labeur, ensuite à l’Encyclopædia Universalis puis dans la presse quotidienne (L’Humanité, 1987-1999, Le Monde, 1999-2006). Il fut membre du comité syndical – direction du syndicat des correcteurs élue annuellement – pendant sept ans, entre 1992 et 2001 ; il y fut chargé de la solidarité internationale et du placement (secrétaire au placement en 2001).
VOILA !
Le camarade Marc Tomsin nous a quittés. Que dire de plus ? Chacune, chacun a ses souvenirs ; la JAC (Jeunesse anarcho-communiste), ICO (Informations correspondances ouvrières), plus tard le Chiapas et après la Grèce où il finit sa vie. Pour ma part j’aimerais évoquer son militantisme au syndicat des correcteurs CGT où nous avons lui, moi et d’autres milité abondamment. Certes l’organisation syndicale créée en 1881 n’a jamais été dans un moule syndical préétabli, même en 1920 ! Quand j’ai croisé Marc dans les années 1970 nous militions dans des entreprises de Labeur où nous tentions de propager les idées d’un syndicalisme exempt de toute directive politique. Plus tard dans la presse quotidienne, aux réunions du comité syndical, j’ai pu mesurer que le militantisme de Marc Tomsin était plus présent dans la réalité que pour bien d’autres... C’est pourquoi écrire qu’il "portait bien haut l’étendard syndical" (Editions Libertalia) est un bien bel hommage que l’on rend à Marc Tomsin.
Thierry Porré