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par Cédric Pérolini • le 30 septembre 2019
Les Patriotes s’attaquent à la mauvaise herbe
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Article extrait du Monde libertaire n°1808
Attention, le point Godwin va être atteint ici : Blagodariov est un facho. Et il l’assume très bien. Derrière ce nom de scène se cache un activiste qui, sous couvert de parodies de chansons plus ou moins rigolotes, inonde les réseaux sociaux d’une idéologie vert-de-gris.
Le répertoire de Blagodariov donne le vertige, qui s’en prend, pêle-mêle, aux Maghrébins (France sans bicots), aux musulmans (La java des voiles islamiques), aux migrants (Les clandestins), aux homosexuels (Partenaire pour t’enc…), aux Francs-maçons, aux militants de gauche (La complainte des progressistes)… Il n’y a pas que la musique, qui rappelle des souvenirs, c’est pas très frais, tout ça. Et finalement, la seule qui trouve grâce à ses yeux, c’est la Petite Marine…
L’un de ses titres, Quand je pense aux Brigandes, est un pied de nez – un bras d’honneur – à Fernande de Georges Brassens, dont l’image est utilisée sans vergogne sur les vidéo accessibles notamment sur You Tube.
« Ça coupe bien des envies, il faut le reconnaître. »
Les Brigandes constituent elles-mêmes un groupe musical de la facho-sphère ; elles aussi s’en prennent, dans leurs chansons, aux homosexuels, aux étrangers, aux jésuites, aux Juifs, aux musulmans, aux Francs-maçons, et font, dans une chanson éponyme, l’apologie de Ce Geste – le salut nazi. Mais elles aiment bien Jean-Marie ; et Vladimir Poutine.
Dans Quand je pense aux Brigandes, Blagodariov – Blago, pour les intimes – est invité à « coller des affiches » – mais pour qui ? On se le demandera jusqu’à la fin de la chanson… – et à « boire des grosses bières ». Il se désole alors du peu de « gonzesses » dans les rangs militants : « Lutter contre le Franc-maçon, le Juif, la négritude, serait une moindre lassitude s’il n’y avait pas que des garçons ». En conséquence de quoi, quand il pense aux Brigandes, il bande, il bande, quand il pense à Virginie, il bande aussi – Virginie Vota, militante anti-féministe, royaliste et catholique traditionaliste proche du mouvement intégriste Civitas – mais quand il pense à Renaud Camus, là, il ne bande plus. Il faut dire que ce dernier est le concepteur de la théorie du grand-remplacement, évoquée comme justification par l’assassin de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, dont les attaques racistes, le 15 mars dernier, ont fait 51 morts et 49 blessés. Ça coupe bien des envies, il faut le reconnaître. Mais ce n’est pas ce qui semble modérer les ardeurs de Blagodariov, dont les couplets sont de longs cris d’incitation à la haine raciale. Non, ce qui le dérange sans doute davantage, c’est que, par ailleurs, Renaud Camus assume son homosexualité – ce qui vaut aux chœurs d’émettre quelques commentaires homophobes. Il est ensuite fait référence à Révolte contre le monde moderne, essai de Julius Évola, théoricien du fascisme et référence de la Nouvelle (extrême) Droite, courageux défenseur de l’homme blanc menacé, comme chacun sait, dans sa virilité, dans son teint, et dans sa civilisation, par la modernité démocratique. Enfin (ouf !) il met « un point final à ce triste inventaire en suppliant les paritaires d’infiltrer le Front national » – pour en féminiser la base militante. Ceci dit, Glagodariov peut se réjouir, sa stratégie de cagoulard rigolard semble porter ses fruits : ce parti et ce qu’il est devenu séduit de plus en plus les électrices, qui ne semblent pas plus dérangées que ça par son discours très patriarcal.
« Brassens appartient-il à tout le monde ? »
Cela pourrait faire sourire, mais qu’on ne s’y trompe pas, la cohérence idéologique des parodies de Blagodariof ne laisse aucune place au doute : il détourne la musique joviale de Brassens et lui fait charrier des torrents de haine ; pas le moindre second degré, tout cela reste très primaire, très bas-du-front. Les masques tombent : la dédiabolisation du parti, voilà au moins qui n’est pas une priorité nationale, pour lui.
D’une certaine façon, cela pose la question suivante : Brassens appartient-il à tout le monde ? Sans doute, mais à condition de ne pas le prendre pour une auberge espagnole où chacun trouverait ce qu’il veut. Il n’est pas un fast-food, on n’y vient pas comme on est. Les textes sont têtus. Il y a des chansons, une œuvre, un souffle poétique et libertaire qui rechigne à suivre les modes électoralistes, « qui passe à côté des fanfares » en chantant « en sourdine un petit air frondeur ». Et l’extrême droite n’a pas le monopole de la révolte. Prendre le baladin intemporel pour l’archétype de la France éternelle – c’est-à-dire réactionnaire – ce n’est pas faire valoir la polysémie des textes. C’est faire un contresens pur et simple. Blagodariov n’est pas dans un rapport amoureux aux chansons de Brassens. C’est une tentative de viol.
Bien sûr, on ne peut pas empêcher les imbéciles hargneux qui sont nés quelque part de marcher au pas, et on pourrait se demander si parler d’eux ne revient pas à leur faire de la publicité. Mais à l’heure où le parti qui porte ces idées devient le premier de France, il est temps de sortir du déni, et de rappeler que décidément, Brassens n’est pas soluble dans la nostalgie de la vieille société autoritaire, patriarcale et occidentalo-centrée. Il a dit ce qu’il pensait des Patriotes qui « reprennent en chœur La Marseillaise » ; il restera, quant à lui, « la mauvaise herbe » qui « pousse en liberté dans les jardins mal fréquentés ».
Cédric Pérolini
PAR : Cédric Pérolini
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