Nouvelles internationales > Le soulèvement au Kazakhstan
Nouvelles internationales
par Crimethlnc le 9 janvier 2022

Le soulèvement au Kazakhstan

Lien permanent : https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=6158

8 janvier 2022
Une révolte d’une grande ampleur a éclaté au Kazakhstan, en réponse à la hausse du coût de la vie et à la violence du gouvernement autoritaire. Les manifestant.e.s ont investi des bâtiments gouvernementaux partout dans le pays, et notamment à Almaty, la ville la plus peuplée, où l’aéroport a été momentanément occupé et le Capitole incendié.



A l’heure où nous publions ce texte, la police a repris le centre-ville faisant des douzaines de morts, tandis que des troupes russes et biélorusses arrivent pour les soutenir dans la répression des manifestations de contestation. Nous devons aux personnes subissant cette répression de savoir pourquoi elles se sont soulevées.

« Ce qui est en train de se passer au Kazakhstan, c’est du jamais vu ici. »

«Toute la nuit il y a eu des explosions, des violences policières, des voitures de police ont brûlé, et même parfois d’autres véhicules. Maintenant les gens sont en train de défiler à travers les rues principales, il se passe quelque chose près de l’Akimat (le Parlement) ».
C’est le dernier message que nous avons reçu de notre compagne en Afghanistan, une anarchaféministe d’Almaty, peu avant 16h, heure locale, le 5 janvier, avant de perdre le contact.

Nous devons contextualiser le soulèvement du Kazakhstan. Ce n’est pas une simple réaction à un gouvernement autoritaire. Les manifestant.e.s du Kazakhstan réagissent à la même augmentation du coût de la vie contre laquelle les gens protestent depuis des années à travers le monde. Le Kazakhstan n’est pas le premier endroit au monde où l’augmentation du prix du gaz a déclenché une vague de protestations : il s’est passé exactement la même chose en France, en Équateur, partout, sous des gouvernements et des systèmes de gouvernement très divers.
Ce qui est significatif, ce n’est pas tant que cette révolte soit sans précédents mais qu’elle implique des personnes qui font face aux mêmes défis que nous, où que nous vivions.
L’urgence de la Russie à soutenir activement la répression du soulèvement est également significative. L’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), alliance militaire regroupant la Russie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan -avec la Russie à sa tête- s’est engagée à envoyer des forces su Kazakhstan. C’est la première fois que l’OTSC déploie des troupes pour soutenir un pays membre ; elle avait refusé son soutien à l’Arménie en 2021, lors de son conflit avec l’Azerbaïdjan.
Il est instructif de constater que la guerre Arménie - Azerbaïdjan n’avait pas justifié l’intervention de l’OTSC, mais simplement une forte protestation. Comme pour d’autres projets impérialistes, la principale menace pour la sphère d’influence russe, la "russosphère", ce n’est pas la guerre mais la révolution. La Russie a tiré un bénéfice considérable de la guerre civile en Syrie et de l’invasion turque au Rojava, la Syrie et la Turquie s’affrontant pour gagner un point d’appui dans la région. L’un des moyens par lesquels Vladimir Putin est resté au pouvoir en Russie, a été de rassembler les patriotes russes pour avoir leur soutien dans les guerres de Tchétchénie et d’Ukraine. La guerre -perpétuelle- fait partie du projet impérialiste russe, de même que la guerre a servi le projet impérialiste des États-Unis en Iraq et en Afghanistan, La Guerre assure la santé de l’État, comme l’a dit Randolph Bourne,
Les soulèvements doivent d’ailleurs être réprimés par tous les moyens. Si les millions de personnes de la russosphère qui souffrent sous un mix de kleptocratie et de néolibéralisme, assistait au triomphe d’un soulèvement dans n’importe lequel de ces pays, elles s’empresseraient de suivre cet exemple. Si nous observons les vagues de contestation en Biélorussie en 2020 et en Russie l’an passé, nous constaterons que beaucoup de gens étaient prêts à y participer même sans espoir de succès.
Dans les démocraties capitalistes comme de celle des États-Unis, où les élections peuvent remplacer une bande de politiques égoïstes par une autre, l’illusion de l’élection en elle-même sert à distraire les gens afin qu’ils ne prennent pas des mesures pour un réel changement. Dans des régimes autoritaires comme celui de la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, une telle illusion n’existe pas ; l’ordre dominant s’impose au prix du désespoir et par la force brutale. Dans ces conditions, n’importe qui peut comprendre que le seul chemin à suivre est celui de la révolution. De fait, les gouvernants de ces trois pays doivent leur pouvoir à la déferlante de révolutions, à partir de 1989, qui entraîna la chute du Bloc de l’Est, Nous ne pouvons reprocher à leurs sujets de subodorer que seule une révolution pourrait changer leur situation.

Une révolution, mais à quelles fins ? Nous ne pouvons partager l’optimisme des libéraux qui imaginent que le changement social au Kazakhstan se fera simplement en chassant les autocrates et en organisant des élections. Sans changements économiques et sociaux en profondeur, tout changement purement politique laisserait la grande majorité des personnes à la merci du capitalisme néolibéral qui l’appauvrit aujourd’hui.
Et dans tous les cas, Poutine ne cèdera pas si facilement. Le vrai changement social -aussi bien dans la Russosphère qu’en Occident- s’obtiendra de longue lutte. Renverser le gouvernement est nécessaire mais non suffisant : pour se défendre contre de futurs diktats politiques et économiques, les gens devront développer un pouvoir collectif sur une base horizontale et décentralisée. Ce n’est pas le travail d’une journée ou d’une année, mais d’une génération.

Ce que les anarchistes doivent apporter à ce processus c’est de proposer que ces mêmes structures et pratiques que nous développons dans la lutte contre nos oppresseurs, nous servent aussi à créer un monde meilleur. Les anarchistes ont déjà joué un rôle important dans le soulèvement en Biélorussie, en montrant la valeur des réseaux horizontaux et de l’action directe. Le rêve du libéralisme, de refaire le monde entier à l’image des États-Unis et de l’Europe occidentale, a déjà démontré sa vacuité : les États-Unis et l’Europe occidentale y ont une grande part dans leurs efforts pour le réaliser en Égypte, au Soudan et ailleurs. Le rêve de l’anarchisme est encore à tenter.

En réponse aux événements du Kazakhstan, de prétendus anti-impérialistes sont en train de répéter comme des perroquets le sempiternel argument des médias étatiques russes selon lequel toute opposition à un régime quel qu’il soit allié de la Russie de Poutine, ne peut être que le résultat de l’ingérence occidentale. Ceci est particulièrement odieux alors que les nations intégrant la sphère d’influence de la Russie ont abandonné très largement toute velléité de socialisme, se livrant à des politiques néolibérales qui ont causé la révolte au Kazakhstan. Dans une économie capitaliste globalisée, où nous sommes tous soumis à la spéculation et la précarité, nous ne devons pas laisser les puissances mondiales nous opposer. Nous devrions voir à travers le rideau de fumée de cette farce. Faisons cause commune entre continents, échangeons des tactiques, de l’inspiration et de la solidarité pour réinventer nos vies.

Les simples citoyens et citoyennes du Kazakhstan qui se sont soulevés cette semaine ont prouvé à quel point nous pouvions aller loin et y arriver ensemble.

2 articles à suivre dans le Monde Libertaire en ligne : Une interview d’un exilé anarchiste du Kazakhstan. Réflexions d’un anarchiste russe sur le Kazakhstan.

Traduction de l’anglais : Monica Jornet, Membre du Groupe Gaston Couté et de l’Équipe Relations Internationales de la FA


PAR : Crimethlnc
SES ARTICLES RÉCENTS :
Kazakhstan : l’analyse d’un anarchiste russe
Réagir à cet article
Écrire un commentaire ...
Poster le commentaire
Annuler

1

le 9 janvier 2022 19:40:37 par Luisa

Merci beaucoup pour cet article