Le silence de Sibel
Août 2014, à Sinjar, au nord-ouest de l’Irak, chef-lieu des Yézidis, Sibel, 13 ans, est enlevée par des hommes de Daech, devant sa famille qui est massacrée. Comme des milliers de femmes et de jeunes filles, elle sera réduite à l’esclavage sexuel. A Uzerche, Sibel est accueillie par Hana qui a réussi, contre rançon, d’arracher Sibel à son enfer. La jeune fille reste dans le silence…
Sortie en salle le 1er mai. Tournée avec le réalisateur dans toute la France.
Pour ce film Le silence de Sibel, j’ai été extrêmement, émue, bouleversée par le jeu des actrices, les deux actrices principales, mais aussi par l’ensemble du film, cette délicatesse que vous avez eue pour filmer l’essentiel des émotions et non les faits qui sont terribles. Ali Yeganeh, quel est votre parcours ?
Le cinéma pour moi est avant tout un moyen d’exprimer ce que je pense de la société. Ce n’est pas seulement faire des films pour gagner ma vie. Je suis iranien, très jeune, je suis parti faire mes études notamment en Angleterre, au Land and Freedom School, puis au Technic Center de Londres, et ensuite aux Etats-Unis. J’ai obtenu un doctorat à l’Université de Nanterre, en sociologie et en philosophie, et en communication. J’ai travaillé en tant que réalisateur ou directeur de la photo dans beaucoup de pays sur des films très divers. Et, en même temps j’enseigne la sémiologie, je suis aussi formateur dans les métiers de l’image, à travers le monde et pas seulement en France.
C’est un parcours très riche ! Comment avez-vous eu l’envie d’écrire et de réaliser Le silence de Sibel ?
C’est une question fondamentale. le 3 aout 2014, il y a eu l’invasion d’un groupuscule Daech, formé dans les années 2006, essentiellement en Irak. Ils ont commis des actes extrêmement barbares, voire génocidaires. Ils se sont attaqués à cette communauté qu’on appelle yézidis, un groupe kurdophone, avec une religion qui n’est pas tout à fait l’Islam. Leur religion remonte au mithraïsme, la religion antique de l’Iran, enraciné dans le judaïsme, le christianisme et même l’Islam. Les yezidis forment un groupe ethnique extrêmement petit et vivent dans une région très lointaine et pauvre du nord de l’Irak.
Daech a séparé les hommes des femmes. Ils leur ont demandé s’ils voulaient se convertir et ont tué les hommes qui leur disaient non. Certains ont pu s’échapper. Les femmes ont été partagées, avec notamment les jeunes femmes, à partir de 8 ans, en les enlevant de leurs mères, et les femmes les plus belles. Et puis une troisième catégorie, les enfants, surtout les garçons destinés à être soldats pour Daech. Cela prouve le caractère génocidaire. Ainsi, les femmes ont été prises comme esclaves sexuelles, elles ont subi les pires atrocités, enfermées, violentées, violées. Je ne montre rien de cela dans le film.
C’est la force de ce film ! J’ai choisi de montrer la beauté de ce monde, la beauté de cette très jeune fille. Le personnage a 12 ans. Et ce sont des centaines de filles comme elle qui ont été prises par Daech. Il fallait voir tous ces problèmes et ces fascismes à travers les yeux de la jeune actrice.
Et c’est cela qui donne l’émotion que nous ressentons. L’histoire que vous venez de raconter date d’il y a 10 ans, mais aujourd’hui cela continue. Là ou ailleurs le corps des femmes est toujours un butin, que ce soit en Ukraine ou à Gaza…
Ces femmes ont été prises en otage, réduites en esclavage, vendues, et même, à la fin, vendues sur internet, pour des prix absolument dérisoires, pour une humiliation absolue. Certaines ont pu s’échapper, et d’autres ont été achetées par l’intermédiaire de personnes, pour les libérer, ce qui est le cas de Sibel, dans le film. Mais est-ce ce qu’il y a une vie après de tels évènements ? C’est-à-dire que la torture continue ! Ces gens ont la mémoire du massacre de leurs parents, de leurs frères, de leurs sœurs, et parfois on peut parler de dizaines de membres de leurs familles qui ont tués devant leurs yeux.
Donc l’héroïne, Sibel, est achetée par une doctoresse d’origine kurde, elle-même, mais kurde française et qui connaissait la famille de Sibel. Cela permet de comprendre pourquoi elle a acheté la jeune fille pour l’extirper de cet enfer.
La plupart des gens qui ont participé à ces achats étaient des femmes. Les esclaves, au bout de quelque temps n’avaient plus du tout d’intérêt, mais devenaient un butin commercial, pour faire du fric.
Pour disposer d’autres chairs fraiches ?
Tout à fait. D’autres pays étaient intéressés par ce commerce.
Comment avez-vous trouvé cette jeune actrice ? Vous cherchiez quelqu’un qui avait 12 ou 13 ans. Et comment l’avez-vous dirigée ? C’est une gamine qui ne va pas parler pendant tout le film. Ce n’est pas simple non plus cela.
La partie la plus délicate de ce film, c’était de trouver cette jeune fille pour jouer le rôle de Sibel. Nous avons fait un casting de plus d’un an. On a vu beaucoup de monde. Il ne fallait pas seulement trouver une actrice, mais il fallait aussi la préparer pour ne pas la traumatiser elle-même. Le rôle est très complexe. Au niveau de la dramaturgie, c’est un rôle en silence alors que tout le film repose sur ces épaules. Nous avons été en préparation pendant plusieurs mois. Mélissa Bros, dans le rôle de Sibel, a fait un travail absolument magistral. Elle a gagné plusieurs prix d’interprétation à travers le monde.
Comment avez-vous travaillé avec elle ? Diriger une gamine c’est déjà compliqué, mais dans un rôle comme celui-là, dans ce silence complet, comment vous avez fait ?
Effectivement c’était très compliqué. J’ai moi-même un passé théâtral. Au fur et à mesure je lui disais voilà ce qui est arrivé dans cette étape-là. Et quand je lui révélais ce qui arrivait au milieu du film, elle était absolument étonnée. Je lui laissais plusieurs heures ou plusieurs jours pour encore avancer. Cela aurait été trop lourd de lui dire la première fois de quoi il s’agissait. Peu à peu, cela a fait son chemin. J’avais aussi le soutien de ses parents. Et c’est très important.
En tout cas c’est une réussite. Comme actrice principale elle interprète avec réalisme, elle nous emmène dans cette histoire. Avec Hana, interprétée par Laëtitia Eïdo, qui, elle, a des réactions que l’on comprend complètement. Un amour qu’elle veut donner et en même temps, une colère parce que la jeune fille ne parle toujours pas.
Le thème de ce film c’est l’identité. Sibel, bien qu’elle ait vu le meurtre de ses parents, ne veut pas accepter l’idée qu’ils sont décédés. Cela montre qu’on a affaire à une gamine et non à une adulte. Il y a beaucoup de scènes dans le film où elle ne sourit jamais, sauf deux fois. Elle veut retourner chez ses parents avec son identité à elle.
L’identité c’est dans ce que dit l’enfant quand elle appelle sa mère, quand elle voit l’oiseau, c’est pour garder son identité.
Absolument ! Et c’est aussi quand elle sort un vêtement de sa petite valise, un petit chapeau, qui est le vêtement traditionnel de ces gens dans leurs fêtes. Elle veut se monter dans son identité ! Il faut rendre hommage à ces gens. Ce film est un hommage à tous ces gens qui ont été massacrés, torturés, violées, un grand nombre de fois…
La musique accompagne bien aussi le rythme du film. Nous rentrons petit à petit dans l’histoire. Vous dites que vous avez accompagné la jeune actrice petit à petit, mais nous aussi, spectateurs, vous nous accompagnez petit à petit.
Mais comment accompagner ensuite les gens pour qu’ils comprennent vraiment l’histoire ? Je voulais un film esthétiquement beau, avec une musique appropriée. C’est l’Orchestre National Symphonique d’Ile de France qui joue avec le compositeur Jean-Michel Bellaiche qui l’a travaillé pendant des mois. La maison était la deuxième chose la plus compliquée à trouver après l’actrice. Elle est devant une rivière. Et c’est très important. La rivière symbolise les choses qui se répètent, car cette histoire se répète tout le temps.
Et la maison a plusieurs niveaux, plusieurs étages, cela permet de jouer avec la lumière, la pénombre et d’ouvrir à plusieurs niveaux de compréhension.
Il y a plusieurs niveaux de regards sémiologiques. L’escalier en fer forgé avec ce dessin phallique montre la puissance de cet homme dont la doctoresse veut se libérer. On ne comprend pas Sibel. Nous ne pouvons pas la comprendre. Et le silence est le seul moyen pour qu’elle puisse survivre.
Propos recueillis par Hélène Hernandez, retranscrits par Caillou, groupe Pierre Besnard.
Emission Femmes libres du 1er mai 2024 : http://emission-femmeslibres.blogspot.com/
Le Silence de Sibel, 2022, fiction de 95 minutes.
Attaché de presse : François Vila, françoisvilla@gmail.com
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Celles de 14
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le 4 mai 2024 11:32:56 par Patrick Schindler |
Merci chère Hélène pour cet article.
Pour les personnes qui souhaitent en savoir plus sur le sujet, je leur conseille de lire le livre de Judith Neurink "Slaves, wives and brides, women under the rule of ISIS" , hélas en anglais et non traduit à ce jour.
J’ai interviewé Judith qui présentait son livre à la librairie francophone d’Athènes, elle est une journaliste hollandaise qui vit entre la Grèce et l’Irak et à fait un énorme travail sur les femmes Yezidis enlevées par les activistes de Daech, sur ce qu’elles ont vécu et subi. Incontournable.
Pour vous en faire une petite idée, vous pouvez commencer par lire ma chronique du Rat noir de mars 2024, sur ce site.
Encore merci à Hélène pour sa critique du film,
Filakia,
Patrick Schindler, individuel FA Athènes