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Cinéma
par Mireille Mercier et Daniel Pinós • le 18 décembre 2022
Le chant des vivants
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Deux ans plus tard, un des jeunes survivants du film commet une tentative de suicide dans son Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). Cécile Allegra prend conscience que, pour ces jeunes, le simple fait d’avoir survécu n’est pas un moteur suffisant pour vivre. À Conques, dans l’Aveyron, un des frères de l’Abbaye de Sainte-Foy visionne le film, et contacte Cécile Allegra. Il l’informe alors de la volonté des habitants du village de s’engager auprès des survivants des camps de torture. Avec en-tête, un seul objectif : les ramener à la vie.
Parce que « Survivre ne veut pas dire être capable de vivre »
« L’association LIMBO rassemble une équipe d’art-thérapeutes et un grand réseau de soutiens, engagés et militants. Une vingtaine de personnes, psychologues, art-thérapeutes, journalistes, chercheurs, avocats, y réfléchissent ensemble, comment soutenir les survivants. »
LIMBO n’a pas seulement vocation à réparer les vivants, mais aussi à se battre pour requalifier juridiquement les faits comme crimes contre l’humanité. La Libye est un immense camp de torture, et de trafic de millions d’êtres humains, la grande majorité d’entre eux sont morts après avoir été torturés, violés, battus à mort, abandonnés dans le désert. Les survivants, rongés par les cauchemars, se demandent comment continuer leur route quand on a vécu l’enfer.
Cécile Allegra a eu l’idée de créer un atelier de résilience en collaboration avec l’association LIMBO. Une dizaine de jeunes exilés participent à cette expérience plusieurs fois par an. « On leur propose d’écrire une chanson pour tenter de mettre des mots sur ce qu’ils ont vécu. »
Elle nous livre à partir de ces sessions un documentaire poignant, intense et cruellement vivant. Ce que ces jeunes torturés ne peuvent pas dire, ils le chanteront. On assiste à la genèse d’incroyables chansons qui nous racontent l’indicible. Aidés par le génial compositeur, multi-instrumentiste Mathias Duplessy, ces jeunes volontaires vont progressivement nous raconter leur histoire. Parce que chanter sa détresse, c’est oser prononcer l’indicible, parce que la musique est une langue universelle, ils vont réussir à trouver les mots justes pour exprimer l’hallucinante douleur qu’ils supportent et qu’ils ne sont pas prêts d’oublier. Ces femmes et ses hommes ont fui l’Erythrée, la Somalie, le Mali ou le Soudan. Ils ont connu l’enfer des camps de réfugiés en Libye, la torture, le viol avant de survivre à la traversée de la Méditerranée sur des embarcations de fortune. Ils ont vu des choses si effrayantes qu’ils ont peur de nous choquer. Alors on attend qu’ils se décident à nous le dire et on pleure avec eux.
Dans son poignant et intense Chant des vivants, Cécile Allegra raconte l’action de Limbo, qui organise cinq fois par an ces sessions thérapeutiques dans le site majestueux de l’abbatiale de Conques, un village dans l’Aveyron d’une beauté stupéfiante. On a envie de les rejoindre pour marcher avec eux dans ce paysage à couper le souffle. « En vérité, il faut que je te dise, ces mots sont faits pour ne pas te choquer... Tu veux vraiment que je te dise ? » Et on ne sait plus vraiment si on a envie d’écouter les horribles récits de ces jeunes survivants. Une douloureuse pudeur se dégage de leur témoignage. Et pourtant, et c’est bien là où la magie de la musique opère, Mathias Duplessy, attentif et inspiré, crée des mélodies sur les mots que ces jeunes réussissent à écrire et la vie reprend un swing positif d’une intensité bouleversante, aux riches sonorités du monde, un vibrant blues des temps sombres que ces jeunes nous livrent aidés par les autres, ceux qui n’ont pas vécus l’enfer, mais qui savent écouter, donner, réparer, accueillir, partager et dénoncer.
Neuf chants nous racontent l’ itinéraire qui mène tout droit à l’enfer. Au début il y a les raisons de cette fuite, un village brulé par la guerre, un père qu’on a vu qu’une fois dans sa vie parce que l’armée en a fait un soldat à vie. « Je cherche mon avenir, je suis un berger qui a voulu échapper à l’armée. Je me suis enfui mais ils m’ont rattrapés... »
Leurs premiers mots sont : « désespoir ». « Un tunnel sombre ». « La route solitaire vers l’enfer ».
Puis la vie revient les cueillir, on assiste au miracle d’être encore là, en vie, et d’espérer que le passé pourra laisser une place au devenir. La joie à être vivant, de « ne plus être englouti dans ce monde de tristesse »....
Le refrain de leur chant commun : « Je suis mort et pourtant, je suis vivant, mais je n’arrive pas à y croire. »
Courez écouter leurs chants. Des chants bouleversant et terriblement vivant.
Un documentaire magnifique, à voir absolument !
On attend avec impatience leur concert. Il en est question. À suivre...
Mireille Mercier et Daniel Pinós
Un strapontin pour deux
Le chant des vivants. Un film de Cécile Allegra
Sortie nationale le 18 janvier 2023
Bande-annonce du film
PAR : Mireille Mercier et Daniel Pinós
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