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Cinéma
par Mireille Mercier et Daniel Pinós le 9 juin 2024

León

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Julia vient de perdre sa compagne, Barby. Déchirée, entre son chagrin et sa vie qui bascule, elle s’efforce de maintenir le restaurant qu’elles avaient fondé ensemble et le lien qui l’unit au fils de sa partenaire, León. Mais cette relation privilégiée est désormais menacée par une grand-mère obstinée et le retour inattendu d’un père absent.




Le thème de ce premier film est un thème universel. En effet, la douloureuse déflagration vécue lorsque l’on perd un être cher est un lot commun, que l’on soit non genré, hétéros, gay, queer ou autres définitions de genre. L’amour que l’on porte à nos proches passe au premier plan et reste plus fort que tout. « Notre film dépeint de nouvelles familles qui, à la fin, comme toutes les autres, doivent faire face à de vieilles peurs et douleurs, mais les vivent de leur propre particularité. »
S’il est vrai que le mariage pour tous est en vigueur en Argentine depuis le 15 juillet 2010, (trois ans avant la France), pour autant, Barby et Julia ne se sont pas mariées. Il n’est pas si facile de s’afficher aux yeux de la société en tant que couple lesbien. Julia et Barby subissent encore quelques regards réprobateurs ou gênés de la part de leur entourage, mais elles s’en moquent totalement. Il n’y a pas de discours sur ce sujet, le sujet du film est ailleurs. Il s’agit simplement pour les réalisateurs de montrer la vie de cette famille recomposée, touchée par la perte d’un être aimé, par petites touches du quotidien, ce qui fait de ce beau film un témoignage sensible, subtil et émouvant.
Les deux mamans de León ont baptisé leur restaurant León. Leur fils, âgé de 13 ans tente de vaincre la détresse dans laquelle la mort d’une de ses mères l’a plongé. Il se trouve que c’est la mère biologique qui meurt. Julia se bat pour assumer la charge de travail laissée par sa compagne. Cette deuxième mère voit l’équilibre de sa vie s’effondrer. Elle doit faire face à l’aspect juridique de leur situation. Le père de León, absent jusque-là, se sent soudain une responsabilité qu’il souhaite exercer. Il surgit inopinément dans leur vie pour revendiquer les droits sur son fils.




La rencontre avec León s’avère compliquée. « Il ne me regarde pas dans les yeux » dira-t-il lorsqu’il vient le chercher pour l’emmener avec lui en vacances. Et c’est ainsi que le film pose toute la question de la parentalité. S’il est vrai qu’aujourd’hui, cette question a progressé, il n’en reste pas moins que la composition d’une famille est une quête pas toujours facile. Ce qui est intéressant dans ce récit, c’est que l’amour est au centre du sujet. L’amour entre deux adultes, l’amour d’une grand-mère abattue par la mort de sa fille, l’amour d’un fils pour ses deux mamans. Parce que pour León, la question ne se pose pas en terme juridique. Julia est sa deuxième maman et le restaurant où il a grandi, sa maison.
« Avec León, nous avons essayé de montrer comment la perte d’un être cher affecte non seulement notre propre vie mais aussi toute la vie que nous partageons en tant que famille. À une époque de familles recomposées et dans une réalité où la vie quotidienne est un combat, nous voulions que notre protagoniste traverse ce deuil en ressentant ses propres émotions tout en devant récupérer son fils et le monde qu’elle maintenait avec sa petite amie. »
On ne reprochera pas aux réalisateurs d’avoir choisi comme unité de lieu un chaleureux restaurant dont on aimerait connaître l’adresse tant les plats cuisinés avec amour ont l’air appétissant et l’ami avec lequel Julia travaille, attentionné et sympathique. Ajoutons que la décoration de ce restaurant coloré et vaguement alternatif ajoute une dégaine poétique des plus agréables. Dans ce film où la vie y est peinte par petites touches d’un réel attachant, tout est dit avec une sincérité désarmante, baigné d’une intimité presque impudique si le thème n’était pas universel. Un irrésistible charme se dégage de ce film réaliste. Les rares scènes d’amour filmées entre les deux femmes, sont d’une lumineuse sensualité. Et si León s’exprime que très peu verbalement, sa jolie frimousse affiche la peine et l’anxiété de celui qui ne sait pas ce qui va lui arriver. Devra-t-il vivre chez sa grand-mère biologique ? Chez ce père qu’il connait à peine et qu’il ne regarde pas en face ? Julia et Barby n’étaient pas mariées, Julia n’a donc juridiquement aucun droit sur son fils León. León le devine et s’angoisse de devoir quitter sa mère.




On pourrait reprocher aux réalisateurs de nous laisser souvent dans le flou d’un scénario parfois énigmatique, mais c’est précisément cette narration chaotique qui rend le film attachant. Parce que comme dans la vie, on ne sait jamais vraiment à qui on à faire, ni vers quelle direction elle nous mènera. On poste son nez au-dessus d’un plat apparemment délicieux ou tout juste alléchant, sans savoir s’il va nous transporter ou bien nous décevoir.
Concluons que ce film est un bon plat aux saveurs amères et colorées, épicé à point, qui mérite largement que l’on s’y attable. Un petit coup de cœur, dirons-nous.
Et... la cerise sur le gâteau, pour tous ceux qui comprennent l’espagnol, le délicieux accent argentin des acteurs pimente agréablement les dialogues.

Andi Nachon
Née à Buenos Aires en 1970, elle a travaillé dans la société de production Aura, réalisant des contenus documentaires pour la télévision. Elle a écrit les fictions Esteros, Los Adoptantes et Fefe Beba ainsi que les documentaires. Depuis 2012, elle est membre de la société de production Hain Cine. Elle est poète et professeur à l’UBA et à l’UNA. León est son premier long métrage.

Papu Curotto
Né à Paso de los Libres, Corrientes, en 1984. Il a une formation en théâtre, danse et a obtenu un diplôme en Design d’Image et Son à l’UBA. Depuis 2012, il fait partie de Hain Cine. Esteros (2017) était son premier long métrage. León est son deuxième film en tant que réalisateur.
Né en 1982 à Buenos Aires, Santiago Podestá est diplômé en Design d’image et son de l’Université de Buenos Aires (UBA). Il a produit les longs métrages Esteros de Papu Curotto, Toxico d’Ariel Martinez Herrera, et La Creciente de Demian Santander et Franco Gonzalez.

Réalisation : Andi Nachon et Papu Curotto
Sortie le 26 juin dans les salles


PAR : Mireille Mercier et Daniel Pinós
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