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Nouvelles internationales

par Julien Caldironi • le 27 août 2025
Là-bas, on tire sur les sauveteurs…
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Mis en ligne le 27 août
Cela vaut le coup de faire une pause et de relire cette phrase lentement. On connaissait jusqu’ici les exactions de milices qui venaient voler les moteurs des épaves en train de couler pour les revendre à des pêcheurs ou à des passeurs, on connaissait les conditions de (sur)vie horribles des migrants en Libye, les prisons sordides où ils étaient torturés et les chasses à l’homme organisées par les flics. On était au courant des pratiques esclavagistes des exploitations agricoles autour des rivages… On connaissait les tracasseries administratives que pouvait infliger le gouvernement italien à cette association, les absences de soutien de la flotte transalpine sur des opérations de sauvetage délicates…
Désormais, les secouristes se font mitrailler tandis que l’OTAN, sollicitée à l’aide par un appel de détresse, ne daigne pas répondre, le navire italien concerné faisant la sourde oreille. Ce n’est même plus un dédain profond pour le droit maritime international aboutissant à la mise en danger de gens en mer, il s’agit dorénavant d’une attaque frontale, d’une violence inouïe, contre un bateau de sauveteurs et ses 87 rescapés. Leur intention était-elle de faire un massacre en toute discrétion ?
Quelques dépêches s’en font timidement l’écho dans l’information hexagonale, mais bien peu au regard de la gravité des faits.
Un peu de contexte ?
SOS Méditerranée est une association civile de sauvetage en mer, créée en 2015, constituée en réseau organisé autour de quatre associations (basées en France, Allemagne, Italie, Suisse). Depuis lors, avec sa flotte, l’association multiplie les sauvetages en mer, secourant les naufragés provenant de la côte sud de la Méditerranée par centaines. Ainsi, en août 2023, en 48 h, SOS Méditerranée a ainsi secouru 623 personnes. Beaucoup d’hommes jeunes, mais aussi de plus en plus de femmes et d’enfants tentent ainsi, dans des conditions terribles, de traverser ce cimetière qu’est devenue la Méditerranée. Entre 2014 et 2024, selon la CIMADE, plus de 30 000 personnes sont mortes ou disparues lors d’une traversée. C’est la frontière la plus meurtrière du monde.
Essayons de déplier un peu ces chiffres macabres : 30 000 personnes en 10 ans, c’est 3 000 personnes par an, 250 morts par mois. Près d’une dizaine de personnes meurent chaque jour, et ce, depuis 3650 jours. Pour celles et ceux que l’on arrive à dénombrer.
Et désormais, après les saloperies de Frontex (notamment des refoulements de migrants totalement illégaux auprès de la Turquie), dont, Leggeri, l’ancien directeur a rejoint le Rassemblement national ; après les nuisances du gouvernement italien n’hésitant pas à bloquer les navires de l’association pour des raisons administratives fumeuses (alors que pendant ce temps, des sauvetages ne pouvaient avoir lieu et donc des hommes, des femmes, des enfants mourraient) ; c’est à l’aide de bateaux fournis par l’Europe que les nervis libyens viennent tenter de couler les sauveteurs et les naufragés secourus.
La Libye, qui, rappelons-le, a reçu des centaines de millions d’euros fournis par l’Union européenne pour intercepter les personnes en détresse sur ses côtes, ce qu’elle fait parfois, pour les ramener dans ses sinistres geôles. L’ONU évoque des crimes contre l’humanité perpétrés par les sbires de l’État libyen.
Lors de cette agression, Antoine, sauveteur en mer, interprète en langue arabe et avocat, était à bord de l’Ocean Viking. Il a bien voulu répondre à quelques questions à ce sujet.
ML : Peux-tu nous témoigner de ce qu’il s’est passé ce 24 août dernier, lors de l’assaut du bateau de SOS Méditerranée par le patrouilleur libyen ?
L’Ocean Viking se trouvait à 40 miles marins au nord des côtes libyennes, dans les eaux internationales. Nous avions déjà porté secours à 87 rescapés et nous nous dirigions vers une autre embarcation en détresse.
Vers 15h00, je terminais mon quart de surveillance à la jumelle. Avec un collègue, nous avons vu approcher à pleine vitesse un patrouilleur libyen. Nous nous sommes réfugiés à l’intérieur de la passerelle. Le capitaine a tenté de communiquer via la VHF avec le patrouilleur qui nous demandait de quitter la zone. Ceux-ci ont ouvert le feu sans aucun avertissement avec des armes d’assaut en direction de l’Ocean Viking, visant directement notre équipage et les 87 survivants à bord.
Le patrouilleur a fait trois fois le tour du navire en tirant pendant au moins 20 minutes.
Plusieurs balles ont touché la passerelle, laissant des impacts visibles et quatre vitres brisées. Les trois bateaux rapides de sauvetage ont également été endommagés. Ils constituent un élément essentiel de la mission de sauvetage : sans eux, nous ne pouvons pas opérer. Le navire n’est actuellement plus en état de fonctionner.
Pendant l’attaque, les équipes de SOS Méditerranée et de la FICR ont mis les 87 survivants en sécurité, puis se sont réfugiées à l’intérieur du navire où elles pouvaient encore entendre les coups de feu et les balles traverser le navire. C’est un miracle que personne n’ait été blessé ou n’ait perdu la vie.
Notre équipe et les survivants sont profondément choqués par cette attaque violente contre un navire humanitaire. Les tireurs ont visé le pont, ciblant délibérément notre équipage.
Le bateau responsable de l’attaque est un patrouilleur de classe Corrubia appartenant aux garde-côtes libyens. Ce navire a été offert par l’Italie dans le cadre du programme de l’Union européenne « Soutien à la gestion intégrée des frontières et des migrations en Libye (SIBMMIL) » en 2023.
Les nombreux survivants à bord étaient originaires du Soudan. Ils ont déjà risqué leur vie dans leur pays déchiré par la guerre, puis en tentant de traverser la mer. Cet événement vient s’ajouter à leur traumatisme existant.
ML : Jusqu’ici, comment se comportaient les garde-côtes libyens avec la flotte de SOS Méditerranée ?
Cet incident est loin d’être isolé. Les garde-côtes libyens ont depuis longtemps un comportement violent qui met en danger les personnes en mer, viole de manière flagrante les droits humains et fait preuve d’un mépris total pour le droit maritime international.
Les équipes de l’Ocean Viking ont déjà été victimes de deux fusillades en 2023 lors d’une opération de sauvetage, mais aucune d’entre elles n’avait un tel potentiel meurtrier pour l’équipage et les survivants.
ML : Sur le site Orient XXI, tu évoquais 2023 ton engagement sur l’Humanity 1, navire de sauvetage de l’ONG allemande SOS Humanity qui avait secouru 261 naufragés au large de la Libye en trois sauvetages, est-ce que trois ans plus tard, la situation a évolué ? Et comment ?
La situation évolue constamment, car les autorités italiennes et européennes, à travers l’agence Frontex notamment, font preuve d’une grande ingéniosité pour empêcher les actions de sauvetage en mer.
En 2023, le gouvernement italien a pris un décret-loi dit « Piantedosi », qui oblige les navires des ONG à rejoindre le port de débarquement attitré par l’Italie le plus rapidement possible et en route directe. Or, les ports de débarquement désignés sont systématiquement ceux au nord de l’Italie, faisant perdre parfois huit jours de navigation : autant de temps non passé en mer à sauver des vies et autant de carburant dépensé, charge financière extrêmement lourde pour les ONG.
Par ailleurs, les ONG sont constamment criminalisées et leurs navires détenus à quai pour des raisons administratives absurdes.
Malgré tout, elles continuent à se battre pour sauver des vies.
ML : Dans ce témoignage, tu parlais notamment du le « jeu diplomatique macabre orchestré par les gouvernements européens ». Qu’attends-tu de la France, après une telle attaque ? Dans l’idéal, dans ce que le « Pays des droits de l’homme » devrait adopter comme position, mais aussi et tristement, qu’attendre d’une représentation nationale dopée au RN ?
J’espère une enquête approfondie et indépendante sur cet incident, ainsi que la mise en cause de la responsabilité des agresseurs libyens et des autorités européennes qui leur ont permis d’agir.
Autrement dit, l’identification et la traduction en justice des personnes physiques et morales ayant permis la cession du patrouilleur libyen impliqué dans l’attaque, alors même qu’avant cette cession, de nombreux incidents avaient déjà eu lieu. Les responsables européens, complices, ne pouvaient pas ne pas savoir qu’un tel évènement allait un jour arriver.
Nous exigeons également et naturellement la fin immédiate de toute collaboration européenne avec les autorités libyennes qui violent les droits humains et mettent en danger les travailleurs humanitaires. La France doit prendre position.
Nous appelons enfin à la fin de la criminalisation des opérations de sauvetage : si chacun s’engage en fonction de ses engagements politiques, la nature du travail des ONG n’est aucunement politique. Il s’agit de sauver des vies, un point c’est tout. C’est le droit international de la mer, des normes impératives historiques, qui devront être respectées, peu importe si un parti raciste arrive au pouvoir.
Propos recueillis par Julien Caldironi, individuel FA Maine-et-Loire
PAR : Julien Caldironi
individuel FA Maine-et-Loire
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