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par Élan noir le 14 juillet 2018

L’Iran entre révolution et révolte

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Article extrait du « Monde libertaire » n° 1793 de mars 2018
1979 : la révolution face à ses « gardiens »
Si le capitalisme semble aujourd’hui triompher, l’Histoire connaît régulièrement des brèches à travers lesquelles s’engouffrent ceux qui aspirent à la liberté. Il est utile de se rappeler comment la « théocrature » s’est servie de la révolution iranienne pour substituer un État islamique à un État monarchique. Dans les années 1970, les salaires baissent, le chômage s’accroît, les inégalités s’aggravent. Dès 1977, de nombreuses grèves élargissent les revendications à la libération des prisonniers politiques et au contrôle ouvrier sur la production. Sous l’impulsion de comités ouvriers créés un peu partout, éclate en 1978 une grève générale de près de 5 millions de travailleurs, qui va durer cinq mois : transports de troupes bloqués par les cheminots, propagande gouvernementale refusée par les imprimeurs et les journalistes, pétrole réservé aux particuliers…

La volonté des anarcho-syndicalistes, influents notamment dans les puits de pétrole, est insuffisante pour fédérer ces comités afin de s’opposer à l’apparition d’un nouvel État. C’est pourtant celui-ci qu’espèrent les politiciens laïcs du Front national (soutenus par les Américains) ou du Tudéh (communistes), joignant leurs prières à celles des religieux, qui ont en réserve un Guide suprême exilé dans les Yvelines, Khomeini. Les mollahs investissent les récents comités de quartiers, en leur ouvrant les mosquées et en les finançant avec leurs alliés, les riches commerçants du Bazar. Ils s’en servent pour contrôler une partie des grandes manifestations, telle celle du 11 décembre à l’ombre d’une forêt de portraits de Khomeini.

Venu des cieux, celui-ci atterrit à Téhéran le 1er février… Après avoir remercié les travailleurs : « Mahomet baise la main des ouvriers », il les somme de mettre fin aux grèves. « Ceux qui refuseraient seront considérés comme des saboteurs contre-révolutionnaires. » Les milices des gardiens de la révolution attaquent meetings et manifestations, pénètrent dans les usines pour arrêter les plus combatifs et imposer la « volonté divine », inscrite dans la Constitution. Le « Grand Satan », sorti de sa boîte à travers l’occupation (144 jours) de l’ambassade américaine, apporte au régime le soutien du Tudéh : « Il est juste de s’allier avec le clergé anti-impérialiste combattant les États-Unis. » De nombreux militants sont arrêtés, assassinés, accusés de « collusion avec l’ambassade américaine », inaugurant un régime de terreur (20 000 opposants assassinés)…

2018 : la « révolte des va-nu-pieds »
Ce mouvement social n’est pas comparable, même si certains manifestants parlaient de « révolution des œufs », l’élément déclencheur étant l’adoption de mesures d’austérité : augmentation du prix des œufs, de l’essence et diminution des aides sociales aux retraités. Cependant il comporte des caractéristiques différentes des précédents (1999 et 2009), menés par les nouvelles classes moyennes, notamment les étudiants. Il démontre le rejet, par une partie de plus en plus importante de la population, de la « théocrature » en place depuis près de quarante ans. Sans leader ni soutien d’organisations, les manifestations se sont propagées à grande vitesse. Auparavant, l’essentiel se passait à Téhéran mais là, les régions périphériques, où se concentrent les minorités ethniques (kurdes) ou religieuses (sunnites), ont bougé les premières.

Elles ont souvent touché des villes moyennes, où rien ne s’était passé auparavant. A Sari, au bord de la mer Caspienne, la détermination était forte : « Ils n’avaient pas peur, ils étaient impassibles. » Dans les rues se mêlent diverses catégories populaires protestant contre leur misère : retraités, ouvriers, jeunes sans emploi (un sur deux au chômage). Les classes moyennes, beaucoup moins présentes dans les rues aujourd’hui, mettent plutôt leurs espoirs de démocratisation dans le président « réformateur » Rohani. Déjà, depuis deux à trois ans, avaient lieu des manifestations régulières, locales et sectorielles, incluant des protestations ouvrières (industrie du sucre, automobile, transports). Les revendications restaient économiques. Cette fois, est apparu un rejet de la République islamique, mais aussi parfois de l’islam. Sa profondeur est avérée par la participation de nombreuses femmes, certaines ayant le courage de jeter leur voile aux orties… Tout État a entre ses mains l’arme de la répression : bien loin de la réalité, le nombre officiel d’arrestations ne cesse d’augmenter (3 744 à ce jour).

Soutien aux anarchistes iraniens


Depuis quelques années, des individus et groupes se revendiquent de l’anarchisme, et sont bien présents dans ce mouvement actuel. Le régime les réprime, tel le photographe et journaliste Soheil Arabi, qui risque sa vie en prison depuis 2013. La Fédération anarchiste (voir communiqué ci-dessous) appelle à soutenir nos compagnes et compagnes iraniens, notamment en diffusant au maximum ces informations. Pour plus de détails, une émission de Radio-Libertaire du 29 janvier 2018 : http://trousnoirs-radio-libertaire.org/

Tirons l’anarchiste Soheil Arabi des pattes de la « théocrature » iranienne !


En Iran, pendant une dizaine de jours à partir du jeudi 28 décembre, la « révolte des va-nu-pieds » s’est diffusée, sans leader ni mots d’ordre, dans 142 villes de l’ensemble des 31 provinces. Parmi les participants, beaucoup de jeunes, de femmes, de personnes pauvres, protestant contre leur misère économique, mais aussi contre l’emprise étouffante de la « théocrature » régnante. Alors que le précédent mouvement de 2009 plaçait ses espoirs dans l’élection d’un président « réformateur », cette fois les slogans s’attaquaient à toutes les factions qui se partagent le pouvoir : « À bas la dictature ! » Ainsi voitures de police, bâtiments publics, centres religieux, sièges des bassidjis (milices islamiques) ont été attaqués et parfois incendiés. Les réformateurs du président Hassan Rohani et les ultra-conservateurs du Guide suprême Ali Khamenei ont défendu la survie de ce régime corrompu par une violente répression contre les « fauteurs de troubles en guerre contre Dieu », faisant officiellement 21 morts et un millier d’arrestations, certainement beaucoup plus.

Des groupes anarchistes étaient présents dans ces événements, notamment le Cercle libre de Téhéran. Mais le journaliste anarchiste Soheil Arabi, s’il a pu envoyer un texte pour soutenir les révoltés et les encourager à renverser le régime, n’y a pas participé directement puisqu’il est derrière les barreaux de la prison d’Evin depuis novembre 2013. Il a été accusé de « propagande contre l’État », « apostasie », « blasphème contre le Prophète et insulte à la sainteté », pour avoir publié des photos du soulèvement de 2009, caricaturé Khamenei, et posté des articles sur Internet.

Condamné à mort par la cour criminelle de Téhéran, sa peine à été commuée en sept ans et demi d’incarcération. Le 23 septembre 2017, il a entamé une grève de la faim : « Ici, énoncer la vérité est interdit mais je suis un anarchiste et, pour moi, il est interdit d’interdire. Ne me demandez pas de garder le silence alors que le silence est la plus grande des trahisons. Je veux être la voix de tous les libres penseurs enfermés : Mahmoud Behshti-Langeroudi, Ali Shariati, Youssof Emadi, Arasch Manouchehr, Mohamad-Ali Sadeghi, Sowada Aghasar et les autres amis enchaînés au bloc 7. »

Le 24 janvier, Soheil a entamé une seconde grève de la faim en solidarité avec deux prisonnières politiques, Aténa Daémi et Golrokh Ebrahimi. Ses geôliers l’ont transporté à la prison du Grand Téhéran. Dès son arrivée, il a reçu des coups de bottes et matraques sur le dos, le visage et les pieds : « Ici ce n’est pas Evin. C’est le bout du monde, l’enfer. Ta grève de la faim ne sert à rien et personne ne t’entendra. »

La Fédération anarchiste l’a entendu et utilisera ses moyens, tels Le Monde Libertaire et Radio-Libertaire, pour que Soheil Arabi et, plus largement les prisonniers en Iran, soient soutenus et libérés.
PAR : Élan noir
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