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Chroniques du temps réel
par Philippe P. le 20 octobre 2024

LES MARTYRS CLIMATIQUES SUR L’AUTEL DE LA DÉCARBONATION

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À propos des récentes inondations dans le département de l’Ardèche, Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des Risques, a déclaré sur place, à Annonay, le vendredi 18 octobre 2024, qu’il s’agissait d’un « épisode inédit par son ampleur et qui est sans doute une expression du dérèglement climatique », et que « les 600 mm qui sont tombés à certains endroits, c’est l’équivalent de toute une année sur Paris ». La prudence sous-tendant le « sans doute » est néanmoins aussitôt évacuée par l’affirmation que ces épisodes « vont être appelés à se répéter ».
On pardonnera difficilement à cette ancienne inspectrice des finances sortie de HEC puis de l’ENA de proférer des bêtises en géographie. Comparer Annonay à Paris, ce serait comme comparer Brest et Strasbourg dont les climats sont semblables, c’est bien connu.
De même sa déclaration, la veille, à propos d’une situation de « 600 mm d’eau sur l’Ardèche » reste approximative : sur quelle durée ? À quel endroit du département ? Quelles différences entre la montagne en amont et la vallée du Rhône en aval ?




En fait, il vaut mieux parler plus précisément d’une fourchette de cumuls sur les Cévennes allant de 650 mm à 700 mm, soit 694 mm à Loubaresse, du côté du massif du Tanargue, village situé à quatre-vingt kilomètres environ au sud-ouest d’Annonay à vol d’oiseau, près d’Aubenas. Mais on enregistre « seulement » 132 mm à Annonay, où la crue provient donc de l’amont (cf. infra).
Le citoyen lambda et le journaliste qui tend le micro seraient-ils incapables de comprendre la nuance ?


Records battus ? Non

Du « jamais vu de mémoire d’homme », même cette autre affirmation reste à démontrer. Probablement la ministre ou bien ses conseillers n’ont-ils jamais lu les travaux de géographes sur les inondations du Rhône comme ceux de Jacques Bethemont ou d’Emmanuelle Delahaye. La norme moyenne des épisodes cévenols, dont relève notre cas, se situe entre 200 et 400 millimètres sur quarante-huit ou soixante-douze heures.
L’épisode des précipitations des 16 et 17 octobre 2024 se situe donc au-dessus de la moyenne, mais il n’a pas battu les records antérieurs, comme les 936 mm à Valleraugue dans le Gard en novembre 2011. Les archives nous montrent aussi des inondations catastrophiques et meurtrières au XIXe siècle, comme en septembre 1890 où il est tombé 971 mm en cinq jours à Montpezat en Ardèche, toujours dans la même région du Tanargue, faisant cinquante victimes (blog du climatologue Régis Crépet).
Bien entendu, il faut s’interroger sur l’intensité du récent épisode, tout en tenant à distance la surenchère des superlatifs comme « exceptionnel » qui nous empêche de bien analyser les mécanismes en jeu, et surtout les conséquences.
Mais non, désolé Madame la Ministre, la cause principale des catastrophes issues des inondations en Ardèche n’est pas le « climat », ni même son « dérèglement », mais le chaos qui règne à propos de l’aménagement du territoire. Cela depuis des décennies, ce qui est difficile à déconstruire pour mieux reconstruire. L’aménagement du territoire : c’est-à-dire l’urbanisation et l’artificialisation des sols, mais pas seulement.
Je reviendrai plus loin sur le phénomène météorologique — par définition « inédit » puisque le temps change tout le temps, de même que tout événement historique est « inédit » — et j’aborderai d’abord trois situations géographiques.

Annonay, ancienne cité industrielle victime de la logique capitaliste

La première situation concerne Annonay, au nord de l’Ardèche. Cette ville est bâtie à la confluence de deux cours d’eau, la Déome et la Cance qui descendent des Cévennes septentrionales (Pilat compris). Elle a connu son essor grâce à l’énergie hydraulique motrice utilisée sur place (papeterie, textile, mécanique…). Mais là où son équivalent de Saint-Étienne, de l’autre côté du massif du Pilat, a su se protéger des crues, Annonay ne l’a pas fait.
Bâtie sur le Furan pour la même source d’énergie (armurerie, textile, puis sidérurgie), Saint-Étienne s’est en effet protégée des inondations du cours d’eau qui la traverse (notamment la meurtrière de 1837), le Furan, grâce à la construction de barrages en amont et grâce à la stabilisation des sols autour de ces barrages par la reforestation (c’est la deuxième forêt communale de France). La politique municipale radical-socialiste qui a réalisé ces aménagements encore utilisés visait certes à protéger les habitants, mais d’abord les industries riveraines.
La désindustrialisation qui opère depuis des décennies rend le site d’Annonay obsolète et finalement irrationnel. La situation de risque s’est en outre aggravée avec la couverture de la Déome et la bétonisation dans la partie basse du centre-ville (place des Cordeliers, place et boulevard de l’Europe). Le rôle précis de cet aménagement reste à analyser davantage en profondeur, mais il est probable que la situation est inextricable, un peu comme à Rive-de-Gier.
Dans cette autre ancienne ville industrielle de la Loire, le Gier a été recouvert dans les années 1950 tandis que les barrages sur les affluents (Couzon, Dorlay) et sur le cours amont du Gier (au-dessus de Saint-Chamond) servent exclusivement de réservoirs d’eau potable (autrefois d’approvisionnement pour les usines) et ne sont pas utilisés comme écréteurs de crue (on se demande bien pourquoi). Peut-être cela n’aurait-il pas suffi (contrairement à Saint-Étienne), mais cela aurait probablement freiné les phénomènes puisque le centre de Rive-de-Gier a été inondé les 16 et 17 octobre.


Limony, « c’est un massacre » (Europe 1)

La deuxième situation concerne le village de Limony, à l’extrémité septentrionale du département de l’Ardèche, qu’a également visité la ministre avant de se rendre à Annonay.
Limony est quasi élevé en lieu martyr si l’on en croit les reportages à répétition diffusés par BFM-TV les 17 et 18 octobre, et si l’on se fie à certaines images effectivement spectaculaires. Il ne s’agit pas de minimiser les dégâts dont sont victimes les habitants, mais d’aller plus loin que l’émotion — amplement entretenue par les médias toujours avides de sensationnel — donc de comprendre les phénomènes, et d’en analyser les causes : toutes les causes, tous les facteurs, au pluriel.
La rivière éponyme du Limony est un cours d’eau long d’une dizaine de kilomètres sur un dénivelé de 450 m environ. Cette hydro-topographie peut le transformer en un véritable torrent en cas de fortes précipitations, comme d’ailleurs tous les affluents ardéchois du Rhône, phénomènes bien documentés depuis des décennies (Doux, Eyrieux, Chassezac…). Ce qui fut donc le cas.
Mais d’après BFM-TV et une journaliste envoyée sur place, « le Rhône a inondé Limony » (le village). C’est faux. Archifaux.
On le voit d’ailleurs très bien à partir des images fournies par cette même chaîne « d’information » dont un hélicoptère a survolé la région de Valence en Givors au cours de la matinée du 18 octobre (non sans bazarder un foutoir géographique ahurissant où les plateaux ont été confondus avec la vallée du Rhône, Condrieu avec Limony, etc., probablement l’héritage de journalistes dopés au GPS et incapables de lire une carte).
Car, là, on comprend tout. La crue sur la commune de Limony, en effet, est due à un embâcle qui se situe là où le cours d’eau éponyme passe sous le pont de la RN 86 (je l’appelle toujours sous ce nom). Cette route suit un axe nord-sud, perpendiculairement au cours d’eau qui se jette ensuite dans le Rhône après un crochet vers le sud.
L’embâcle, essentiellement composé de troncs d’arbres et de végétations, a constitué un véritable barrage. Bloquée, la crue s’est détournée vers la plus grande pente, non pas du côté du vieux village construit sur un éperon rocheux, lequel village est épargné (Limony n’est donc pas « entièrement ravagé », contrairement à ce qu’affirme TF1-Infos), mais vers la plaine, du côté nord. Là, elle a entièrement déferlé et elle s’est étalée avec ses coulées de boue.




Notons aussi que cette zone située au nord du vieux village est plus ou moins urbanisée (plan d’occupation des sols bien conçu et respecté ?). Certains de ses bâtiments sont récents. Après, on peut toujours dire « on n’a jamais vu ça » si les résidents n’habitent pas là depuis longtemps. Mais ce n’est pas un micro-trottoir paresseux qui nous le dira.
Le Rhône n’y est donc pour rien dans la catastrophe de Limony. Au contraire même, puisque sa chenalisation et son doublement par un canal parallèle ont permis de contrôler la crue. Cette protection est conforme à une partie du cahier des charges de la CNR (Compagnie Nationale du Rhône) dont l’objectif premier consiste néanmoins à fournir de l’énergie hydro-électrique et à garantir un bon niveau d’approvisionnement en eau pour les centrales nucléaires situées le long du fleuve.
Deux kilomètres en amont de Limony, le barrage de Saint-Pierre de Bœuf a bien joué son rôle d’écréteur de crue en ré-alimentant le « Vieux Rhône », tandis que le canal faisait passer une grande partie du courant rhodanien. En aval, à partir de Limony, l’île boisée de la Platière, pour la sauvegarde de laquelle j’ai plaidée dans mon mémoire de maîtrise en géographie (1977), alors qu’elle devait être défrichée, a fait office de déversoir de crue. Tout n’est pas parfait, mais ce système (critiqué à l’époque par les écologistes locaux) a fonctionné.
Rappelons au passage les propos de la pédégée de la CNR. Selon elle, en 2021, « pour ce qui concerne le Rhône, tout nous pousse à croire qu’il y aura entre 10 % et 40 % d’eau en moins d’ici à 2050 » (Télérama, 16 juin 2021). Mon interrogation sur les compétences hydrologiques de cette spécialiste du droit m’avait cependant valu à l’époque quelques critiques de militants trouvant que j’exagérais.


Le non entretien des rives

Je connais la vallée du Limony. Encaissée et boisée, elle ne fait l’objet de pratiquement aucun entretien sérieux. Les quelques fermes qui subsistent dans le secteur sont situées sur le plateau et elles ne s’occupent guère du bas, boisé et encaissé. En outre, le cours d’eau constitue la limite entre les départements de l’Ardèche au sud et de la Loire au nord. Cette situation rend assurément toute coopération entre les communes proche de zéro puisque les fameuses intercommunalités épousent docilement, sauf exceptions, les limites départementales, c’est-à-dire préfectorales, c’est-à-dire celles de leur maître, l’État.
À la télévision, le maire de Limony, dont le frère a été victime de l’inondation, déclare que « la rivière est fréquemment entretenue » (M6, 19-45 du 18 octobre 2024). On peut en douter. La force des pluies ne paraît pas suffisante pour précipiter des troncs d’arbre dans la rivière. Il faudrait une enquête plus approfondie pour conclure.
En tout état de cause, le pont sur la route a été manifestement sous-calibré, contrairement à des bourgs situés plus en aval comme Sarras. Responsabilité de l’État, du département, de la commune ? Construire des ronds points semble plus urgent que la prévention des catastrophes qui amène à prendre en considération le temps long imperméable à la volatilité des élus.
Ce phénomène d’embâcle, qui doit moins à la météorologie qu’à l’impéritie humaine, se multiplie malheureusement un peu partout en France métropolitaine. À l’issue d’une crue qui avait dévasté le centre-ville de Chaponnay, le 7 juin 2018, un bourg situé dans la deuxième couronne de l’agglomération lyonnaise, nous étions allés faire une enquête de terrain avec un collègue météorologue, également membre du RGL (Réseau des Géographes Libertaires).
Un orage qui était tombé sur la colline en amont du bourg avait déversé entre 70 et 80 mm d’eau par mètre carré en trois heures. Mais la cause principale de l’inondation n’a pas été longue à identifier : un embâcle qui a bouché le tunnel par où s’écoulait le petit cours d’eau local, le Vernatel. Bloqué, celui-ci est passé par dessus, dans les rues, faisant même sauté le revêtement des artères comme une simple crêpe.
La déclaration du maire le lendemain nous avait laissé songeurs : « On ne s’attendait pas à çà… Les eaux du Vernatel n’ont pas pu se déverser dans le Putaret déjà engorgé ». On admirera la litote du « n’ont pas pu se déverser » pratiqué par cet élu, réélu depuis, probablement en fonction du syndrome de Stockholm. Dans son interview, pas un mot sur l’embâcle (Le Progrès, 19 juin 2018, p. 24). Juste en amont du tunnel, la vallée raide et étroite du Vernatel était occupée par une végétation dense encombrée de bois morts et de déchets. La suite était prévisible. Quant à la question de la gestion des terrains agricoles en amont, avec leur semelle de labour qui empêche l’eau de pénétrer dans le sol en profondeur, elle reste en suspens.




Le centre commercial de Givors, une inondation prévisible

La troisième situation concerne le centre commercial de Givors, situé à l’ouest de la ville, dans la vallée du Gier avant que celui-ci ne débouche dans le Rhône. Il a été envahi par les eaux. Adolescent, je me souviens d’avoir vu en amont de Givors le terrain de football de la commune de Saint-Romain-en-Gier envahi par une crue du Gier, à cinq kilomètres de là, sur un espace comparable, légèrement en hauteur au-dessus du cours d’eau.
Il ne faut donc pas être diplômé en hydrologie pour deviner que le futur centre commercial de Givors risquait de subir le même sort. Et cela en fonction de la périodicité de retour des crues.
C’est là qu’on touche à la question plus spécifiquement météorologique.
Les précipitations des 16 et 17 octobre 2024 qui sont tombées sur le nord des Cévennes, entre la Cance et le Gier au minimum, relèvent donc d’un « épisode cévenol ». Ce phénomène météorologique est bien connu, et récurrent. Mais rectifions à ce propos une assertion, qui se répand, selon laquelle ce serait une augmentation de la température sur la surface de la mer Méditerranée qui multiplierait sa fréquence ainsi que son intensité. Or, selon un article récent de Dinh Ngnoc Thuy Vy et de Barthélémy Léonard (mai 2021) de l’université de Grenoble-Alpes, il n’y a pas de corrélation entre les deux. Leur conclusion se fonde sur une analyse des épisodes cévenols depuis 1958, année à partir laquelle Météo-France a commencé des enregistrements plus précis. Ils estiment aussi qu’il faudrait allonger la période de référence pour bien percevoir le phénomène.
En outre, selon leur analyse qui porte sur une poignée de stations météorologiques situées sur la façade française de la mer Méditerranée (Cépet, Montpellier, Marignane, Perpignan), l’augmentation de la chaleur atmosphérique reste somme toute modeste : de 0,5° à 0,9° entre 2014 et 2019. Autrement dit, moins d’un degré.
Quant aux précipitations des épisodes cévenols, leur analyse des données satellitaires, qui démarrent à partir de 1979 (donc problème de tuilage avec les mesures antérieures non satellitaires), montre « une absence de tendance sur les 35 dernières années ». Leur moyenne annuelle « reste relativement constante depuis 1979 ».


Quel épisode cévenol ?

Au fond, leur conclusion est assez logique. La température de la mer peut osciller de quelques degrés dans un sens ou dans l’autre sans empêcher ou favoriser le phénomène des épisodes cévenols puisque :
1/ c’est le contraste thermique entre une masse d’air chaud et une masse d’air froid ajouté à l’ascendance orographique qui provoque le phénomène en question ; autrement dit, il ne faut pas seulement « du chaud », il faut aussi « du froid », et du froid sur les hauteurs des Cévennes, au-delà du simple phénomène d’ascendance orographique (qui ne joue plus guère l’été en cas de situation anticyclonique) ;
2/ c’est le mode de circulation atmosphérique de ces masses d’air qui conditionne le contraste en question, sine qua non. On oublie malheureusement bien souvent cette question de la circulation atmosphérique, particulièrement mobile sous les latitudes tempérées.
En outre, lors de l’épisode des 16 et 17 octobre derniers, deux autres phénomènes se sont combinés. D’une part, la progression vers l’est et la péninsule ibérique d’une forte dépression atmosphérique issue du cyclone Kirk sur l’océan Atlantique, transformé au cours de son parcours final en tempête extra-tropicale. D’autre part, au nord-ouest de l’Europe, au niveau de la Scandinavie, une dépression très creuse et très active. Entre les deux se trouvait un champ stable de haute pression qui a entraîné un caractère stationnaire aux précipitations. Autrement dit, la circulation atmosphérique fut très puissante sur un faible espace entre ces deux dépressions.
C’est peut-être cette combinaison qui explique la remontée du « front cévenol », qui touche d’habitude les Cévennes méridionales (Gard, Lozère, Ardèche méridionale), vers le nord (Ardèche septentrionale, Pilat, vallée du Gier). Car cette remontée n’est pas fréquente, d’où des hypothèses pour comprendre cette évolution.
Contrairement à ce que certains racontent, les typhons situés aux latitudes médianes entre l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale ne sont pas plus nombreux depuis une cinquantaine d’années. Certains sont plus violents, mais leur impact anthropique dépend de leur trajectoire. En revanche, un phénomène comme la remontée vers le nord de la Zone de convergence intertropicale semble nouveau.
Là encore, l’analyse renvoie à la question des évolutions car le « temps » ne change pas, il « évolue », autrement dit est concernée l’évolution de la circulation atmosphérique sur la longue durée qui est, par définition, changeante, volatile et mobile. Cela rend toute modélisation d’autant plus difficile que celle-ci est basée sur des schémas théoriques qui peuvent être mis en défaut par la réalité. C’est d’ailleurs cette difficulté de modélisation, donc de prévision, qui explique certaines cagades des bulletins météos, dont les responsables se gardent bien de dire après comment et pourquoi ils se sont trompés. Telle est l’anarchie des météores que les experts et les technocrates essaient vainement de faire rentrer dans une boîte.
Il faudrait davantage d’éléments pour en juger, mais Météo France a récemment fermé toutes ses petites stations locales pour concentrer ses mesures dans les gros centres urbains. Il subsiste quelques associations locales pour observer le temps qu’il fait au plus près du terrain (comme l’Association météorologique d’entre Rhône et Loire, qui édite un bulletin), mais elles n’ont pratiquement pas de visibilité, ni d’écho. Demander à quelques journalistes venus de Paris d’aller les rencontrer est probablement au-dessus des forces des « chaînes d’information ».


L’aménagement du territoire, encore et toujours

En résumé, les inondations posent d’abord la question de l’aménagement du territoire avant celle du « temps qui change ». Autrement dit, les élus qui délivrent à tour de bras des permis de construire dans les zones inondables, les dirigeants qui poussent vers toujours plus de croissance, les architectes qui construisent sans prendre en compte ni le milieu, ni les risques, tous ceux-là sont d’abord responsables. Bien sûr, ils se cachent, cherchent des excuses, trouvent d’autres causes (le climat !), d’autant que les journalistes ne leur posent pas les bonnes questions.
Les pompiers et les secouristes invités sur les plateaux télévisés sont de surcroît très commodes pour occulter ces sujets, outre le fait qu’ils incarnent le déplacement de la fonction collective d’une gestion locale des risques sur un corps extérieur, étatique et plus ou moins militarisé, quasi « hors sol ». Certains vont réclamer davantage de systèmes d’alerte, en tout genre, pour esquiver au fond la question de la responsabilité et de la prise en charge individuelle et collective de l’habiter terrestre. Celle qui part de la conscience que chacune et chacun a ou devrait avoir de son propre milieu conformément à une mésologie (É. Reclus) active.
Il se trouve quand même un architecte, Patrick Coulambel, qui a sauvé l’honneur sur France Info (matinée du 18 octobre) en évoquant enfin ouvertement toutes ces questions, notamment les permis de construire, mais sans qu’il soit pour autant relancé par les journalistes décidément complaisants.
L’autre bonne nouvelle, c’est aussi l’élan de solidarité parmi les habitants sinistrés qui s’entraident.
Ce que je viens d’exposer peut très bien passer dans n’importe quel journal télévisé ou radiodiffusé, à moins de prendre le public pour un benêt. Il faut dire aussi que l’enseignement de la géographie est en régression à l’école, sans parler de la climatologie qui fait partie des abonnés absents de l’« éducation nationale ».
Mais le mot de la fin (provisoire) revient à Christophe Périllat, interrogé au journal de France Inter (le jeudi 17 octobre à 13 h 30). Selon lui, il faut « fixer un cap pour les industriels, il faut se préparer pour beaucoup investir (…), ce cap n’est pas fixé tout à fait par hasard, j’entendais votre bulletin météo tout à l’heure, les alertes rouges, des pluies diluviennes, il y a de plus en plus de phénomènes violents. Le sujet, c’est la mobilité terrestre, tout ce qui roule, c’est 18 % de CO2 dans le monde. En tant qu’industriels, nous avons une responsabilité considérable, celle de décarboner l’industrie » ; il faut donc « tenir l’objectif » de supprimer les moteurs thermiques « d’ici 2035 ».
Périllat est le directeur général de Valéo, le principal équipementier de l’industrie automobile en France.
Il ne s’agit pas de green washing. Car contrairement à ce que des naïfs imagineraient, cet industriel croit vraiment dans ce qu’il dit — le climat, le CO2, la décarbonation. Le virage technique qui découle de son analyse constitue en effet un élément même de la dynamique du capitalisme qui repose sur plusieurs facteurs : le renouvellement constant du matériel, l’escalade technique, la compétition entre les différents acteurs étatiques ou économiques, le maintien d’une domination sur les pays pauvres, le moyen de leur imposer un nouvel agenda, la possibilité de faire encore et toujours du profit.
Les voitures à moteur thermique ? Il y en a désormais beaucoup, trop, le marché sature ! Il faut autre chose pour les industriels, avec tout ce qui tourne autour (les véhicules sans pilote bourrés d’électronique et d’I-A, etc.), avec l’organisation des villes, des campagnes et des sociétés reconfigurées en conséquence.
Périllat, ce ténor du capitalisme vert qui prône l’électricité à tout crin pour les voitures et donc pour le reste — cf. le remarquable slogan publicitaire « la révolution a commencé, Citroën C3 cent pour cent électrique » — n’est pas tout seul puisque Agnès Pannier-Runacher, la ministre de ladite « transition écologique », est une partisane farouche de l’électro-nucléaire, ce qu’elle a à nouveau proclamé dès sa récente entrée en fonction.
La boucle est bouclée. La « question climatique » est décidément très pratique. Dans le temps qu’il fait, il est temps que les personnes sensibilisées à la question sociale et environnementale saisissent les véritables enjeux au-delà de la propagande et de la fumée idéologique.

Philippe P., 19 octobre 2024.



PAR : Philippe P.
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