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par Hélène Hernandez le 17 juillet 2023

IVG : mémoire féministe

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Article extrait du Monde libertaire n° 1848
Il en aura fallu des cris, des larmes, des morts, des manifestations, des moqueries, des brimades, et des sanctions pour que les femmes arrachent le droit de disposer de leur corps et de choisir le moment de leur maternité ou de ne pas avoir d’enfants : « Un enfant si je veux et quand je veux ».




Violée par un garçon de son lycée à l’automne 1971, Marie-Claire, 16 ans, est enceinte. Elle refuse de mener à terme cette grossesse. Sa mère, Michèle Chevalier travaille à la RATP, sur la ligne 9, et élève seule ses trois filles de 16, 15 et 14 ans, elle gagne alors 1 500 francs par mois. Le diagnostic de grossesse est posé et le gynécologue demande 4 500 francs pour pratiquer un avortement. Ce sera une « faiseuse d’anges » qui sera sollicitée pour 1 200 francs. Deux autres femmes viennent aider. Après la pose de la sonde, survient une hémorragie, Marie-Claire et sa mère vont à l’hôpital.

Le Procès de Bobigny
Quelques semaines plus tard, le violeur de la jeune fille, Daniel, soupçonné de vol de voitures, est arrêté. Il dénonce Marie-Claire dans l’espoir que les policiers le laissent tranquille. A la vue de la police à son domicile, Michèle Chevalier avoue. Elle, Marie-Claire et les trois collègues de Michèle sont alors inculpées. C’est dans la bibliothèque de la RATP que Michèle trouve le livre Djamila Boupacha, écrit par l’avocate Gisèle Halimi, sur cette militante algérienne violée et torturée par des soldats français.



Marie-Claire Chevalier (17 ans) défendue par Gisèle Halimi (représentée en fond) en 1972 au procès de Bobigny. Illustration de Elldé

Contactée, l’avocate accepte de défendre les femmes. Gisèle Halimi en fait une tribune politique pour le droit à l’avortement libre et gratuit et attaque cette loi, de 1920, injuste et « d’un autre âge ». Devant le tribunal de Bobigny, les militantes du MLF, Mouvement de libération des femmes, se relaient pour soutenir ce combat politique et le développer.

« L’Angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres »



Rappelons que la pratique de l’avortement était punie, depuis 1810, par l’article 317 du Code pénal. Les lois de 1920 et 1923 ont interdit la propagande pour la contraception et l’avortement ainsi que la vente de moyens abortifs. Ces lois furent la réponse d’une politique nataliste à la grande boucherie de la Première Guerre mondiale : repeupler la France, certes, mais l’emprise sur le corps des femmes, c’est aussi la volonté de tenir et contrôler toute la population, jusque dans les alcôves ! Les femmes aisées vont à Londres, les femmes pauvres font beaucoup d’enfants ou meurent une aiguille à tricoter dans l’utérus. La loi de 1939 aggrave les peines encourues par les auteurs d’avortement et, en 1942, le régime de Vichy fait de l’avortement un crime d’État et, pour l’exemple, envoie à la guillotine une avorteuse, Marie-Louise Giraud, en 1943. Pendant l’Occupation, un tiers des femmes emprisonnées l’est pour avortement, quinze mille condamnations sont prononcées jusqu’à la Libération. Que ce soit en 1936 ou après la Seconde Guerre mondiale, aucune formation politique ne remet en cause les lois natalistes. Les néomalthusiens et anarchistes sont restés bien seuls depuis la fin du XIXe siècle, poursuivis et souvent emprisonnés comme Jeanne et Eugène Imbert. Ce n’est qu’avec le MLF, formé en 1970, que la bataille reprend : d’abord, en avril 1971, avec le Manifeste des 343 femmes connues ou anonymes qui déclarent publiquement avoir eu recours à l’avortement, et qui revendiquent le droit à l’avortement, sa dépénalisation ainsi que la liberté de disposer de son corps. Dans les années 1970, entre 400 000 et 800 000 avortements sont pratiqués chaque année, entraînant plus de 3 000 décès [note] : l’avortement est réalisé sur une table de cuisine, avec cintres, aiguilles à tricoter, eau de Javel, queue de persil, sonde introduits dans l’utérus….

Marie-Claire est envoyée devant le tribunal pour enfants de Bobigny, à huis clos, le 11 octobre 1972. « Nous avons toutes avorté ! Libérez Marie-Claire, l’Angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres ». Gisèle Halimi refuse le huis clos et convoque à la barre des personnalités comme Delphine Seyrig ou Simone de Beauvoir, mais aussi le prix Nobel de médecine, Jacques Monod, affirmant que le droit de donner ou pas la vie appartient « de toute évidence à la personne qui est appelée à la donner », et le professeur Paul Milliez, fervent catholique, père de six enfants qui assure que « si Marie-Claire était venue me trouver, je l’aurais aidée ». Marie-Claire est relaxée, le verdict se voulait clément pour apaiser les esprits. Mais au contraire, les manifestant·es assemblées devant le tribunal clament : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ». Le procès de novembre 1972 est donc médiatisé, il pourra faire jurisprudence : les deux collègues de Michèle Chevalier poursuivies pour complicité sont relaxées.

« Une situation de désordre et d’anarchie qui ne peut plus durer »



Celle qui a pratiqué l’avortement est condamnée à un an de prison avec sursis. Michèle Chevalier est condamnée à 500 francs d’amende avec sursis. Gisèle Halimi conclut : « Le jugement est un pas irréversible vers un changement de la loi ».

Désobéissance civile
Un vaste mouvement social de femmes se déploie. Le Torchon brûle sort son premier numéro en mai 1971 et continuera jusqu’en 1973. Le MLAC, Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, est créé en 1973 et organise des actions de plus en plus nombreuses de désobéissance civile par la pratique de l’avortement avec la technique Karman : utilisation de canules souples, non traumatisantes, et aspiration pouvant être réalisée par un non professionnel. Les débats et la mobilisation très médiatisés, y compris avec des groupes MLAC d’entreprises, font basculer l’opinion en faveur de l’avortement. Ils créent le rapport de force obligeant le gouvernement à ouvrir la voie à la loi, défendue par la ministre de la Santé, Simone Veil, sommée de légaliser l’interruption volontaire de grossesse fin 1974 car la loi en vigueur est bafouée publiquement : « Alors je dis que nous sommes dans une situation de désordre et d’anarchie qui ne peut plus durer » [note]. Loi de classe, promulguée en janvier 1975, qui sera insuffisante car limitée à un délai de 10 semaines, avec une durée de résidence de trois mois pour les femmes immigrées, un entretien préalable, une semaine de réflexion, qui ne prévoit pas de remboursement, votée pour cinq années (les femmes sont mineures, elles ne méritent pas une vraie loi !) et qui autorise les médecins à faire jouer une clause de conscience qui s’ajoute à celle qui prévaut déjà en médecine.

Les années suivantes, le mouvement féministe soutenu par les syndicats, les organisations politiques de gauche et les anarchistes, continue de revendiquer un droit libre et gratuit pour l’avortement et la contraception. Quelques dates accompagnées le plus souvent de manifestations sociales : en 1979, la loi devient pérenne ; en 1982, l’IVG est remboursée par la Sécurité sociale ; en 2001, le délai passe à 12 semaines ; en 2022, il passe à 14 semaines ; en 2016, les sages-femmes peuvent pratiquer l’IVG par voie médicamenteuse puis, en 2022, par voie instrumentale ; en 2016, le délai de réflexion d’une semaine n’est plus obligatoire pour les femmes majeures, en 2022 pour les femmes mineures. 220 000 IVG sont recensées chaque année en France, chiffre stable depuis la loi, une femme sur trois aura recours à une IVG dans sa vie. Plus aucun décès avec les techniques employées.

Aujourd’hui
En un siècle donc, le droit à l’avortement a évolué de manière positive en France, si on en reste à la loi. Mais dans la pratique, de nombreux centres d’IVG et de contraception ferment au gré des restructurations hospitalières et des restrictions budgétaires. La situation à l’hôpital public se dégrade considérablement, les médecins militant·es sont parti·es à la retraite, la relève doit faire face aux fermetures des services et des établissements publics et privés. Aussi, une autre bataille s’engage : inscrire le droit à l’avortement dans la constitution française pour en garantir le droit et éviter le scénario américain. Indispensable ! Mais est ce que ce sera suffisant pour que toute femme puisse accéder à l’IVG ?

Le droit à l’IVG, nous l’avons gagné, nous voulons le garder et le défendre !

Hélène Hernandez - Groupe Pierre Besnard




PAR : Hélène Hernandez
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