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Chroniques du temps réel
par Jean-Luc Debry le 14 novembre 2022

Honneur à ceux du livre

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Image par jan mesaros

Honneur à ceux qui fouillent les fonds d’archives et exhument le passé afin de le rendre intelligible et l’expose à la lumière qui, parfois, accélère la décomposions du sens que lui donne l’historien.

Honneur à ceux qui sont prêts à en découdre pour une virgule mal placée ou une précision omise.

Honneur aux amoureux de la langue qu’elle soit noble ou roturière.

Honneur à ceux qui recueillent les idiomes perdues.

Honneur à ceux qui, leur vie durant, dans une presque indifférence de leurs contemporains, assemblent des histoires nourries de chair et de sang, traduisant les passions qui font frissonner les rêveries souvent tragiques des hommes et des femmes des temps jadis.

Honneur aux boiteux de la grammaire qui, malgré la souffrance que génère leur handicap, ne renoncent point à l’amour qu’ils portent aux écrits égarés sur une feuille volante.

Honneur aux sages qui laissent les ignorants pérorer sans honte en quête de pouvoir à assoir sur leur prochain.

Honneur aux modestes besogneux qui tiennent la chronique des temps passés afin d’éclairer d’une lueur incertaine notre présent accablé.

Honneur aux joyeux drilles qui picolent un crayon à la main et narguent les bonnes âmes armées de leur bonne conscience ravageuse.

Honneur aux amoureux des sonorités dansantes que les mots, tel le vent poussant la barque du pêcheur vers le large, enchantent et enlacent fébrilement ou tendrement, c’est selon, malgré les bourrasques du quotidien.

Honneur à ceux que l’on insulte parce qu’ils aiment en jouir sans retenue en usant d’un vocabulaire et d’une syntaxe qui, comme les dorures des palais anciens, se plaisent à exposer les baroques divagations qui ornent leur mémoire.

Honneur à eux qui avec le cardinal de Retz ou Saint Simon vont vers Rimbaud et s’égarent avec René Char.

Honneur aux plumes discrètes et à leurs élans d’insolence, aux vagues qu’ils font et aux frissons que procurent leur exhumation.

Honneur à nos pères lecteurs, écrivant à la plume Sergent Major avec l’application d’un enfant en blouse grise, un livre de Jules Verne dans leur poche trouée et récitent un poème de Victor Hugo appris par cœur ou une fable de la Fontaine à qui ils attribuent une valeur subversive et savourent les scansions du moraliste rimeur.

Honneurs aux maitres anciens qui traçaient à la craie sur le tableau noir des certitudes dont ils pensaient que les enfants du peuple s’empareraient pour vivre libre et en conscience.

Honneurs aux facéties des enfants indociles qu’ils devinrent.

Honneurs aux cahiers perdus, aux mémoires secrètes, aux trésors cachés, aux serrures de la mémoire forcées par les vagabonds de la littérature, pillards sans doute, mais naufrageurs certainement pas.

Honneurs aux maitres de l’oralité qui, jadis, contaient le soir à la veillée la mémoire des lieux et des âmes qui les avaient habités, ceux qu’aujourd’hui l’on a oublié et à qui personne ne rend plus hommage, leur préférant un lointain abstrait qui flatte les néo-colons de la culture urbaine en terre de mission.

Honneur aux mémoires oubliées, aux souvenirs floutés, aux grâces d’une compagnie, qui en parlent si bien et en fait revivre les puissantes illusions et les naïves imprécisions.

Honneurs aux quotidiens avinés des témoins oubliés et à leurs envolées lyriques.

Honneur à celui qui les prend au sérieux.

Honneur aux humbles qui espèrent encore, contre toutes évidences, époque après époque, que le sacrifice de leurs ainés ne soit pas bafoué par le mépris des doctes curateurs. Doctes curateurs de la populace qu’au fond ils méprisent et, le plus souvent, ne se donnent même plus la peine de cacher leur répugnance, faisant ainsi de l’ignorance une arme d’aliénation massive.

Honneurs aux âmes simples qui survivent comme ils peuvent et qui sans la littérature, seraient voués à l’oubli.

Honneur aux littérateurs qui enfermés dans leur masure qui fuit par temps de pluie et qui malgré la dèche se penchent sur le monde tel qu’il est divers, complexe, désopilant et tragique, grandiose et minable, le monde tel que parfois on le fuit et tel que le plus souvent on le subit, le monde dans lequel l’on vit dans l’attente des jours meilleurs.

Honneur à eux qui n’espèrent ni sauveur suprême ni tribun, ni paradis éternel, ni n’achètent les recettes du bonheur en kit tel que le petit commerce du bien-être le propose en tête de gondole. Ni Dieu ni maitre, ni solution finale, ni forme définitive et morte, comme on le dit des langues défuntes.

Honneur à ceux qui ne louent que la police des typographes, la beauté d’une mise en page, le verbe fleuri et l’encre sur un papier de qualité et corrigent inlassablement les textes incorrigibles, traquent les mots douteux, les grammaires fautives, les pensées mal sourcées, les égarements de la passion, les impasses de la prétention, ceux qui ne peuvent rien contre la misère du style, mais ne désespèrent jamais de l’enrichir.

Honneur aux rigoureux de la langue, aux amoureux des langues, aux passionnés de la phrase et du mot juste, de la musique contenue dans des opéras intimes, musique si singulière et si personnelle, dont on use lorsque l’on se laisse aller aux plaisirs qu’elle procure.

Honneur à ceux qui savent écouter et lire, écoutent et lisent, car plus ils savent plus ils mesurent leur ignorance et ont de ce fait de modestes ambitions. Plus ils savent, moins ils sauvent invitant chacun à entretenir cette inclination. L’appétit du néophyte ne doit jamais quitter l’ombre du désir de savoir, de comprendre et jamais ne se dit que c’est ça et pas autre chose, il tient les portes ouvertes et sous la lampe de sa table de lecture s’émerveille du peu qu’il sait. L’appétit vient en mangeant.

Honneur à ceux qui font un bras d’honneur à l’ignorance messianique.

Jean-Luc Debry
PAR : Jean-Luc Debry
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