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Histoire

par Julien Caldironi • le 3 mai 2025
Hardi les gars, sabotons ferme !
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Quand revient l’énumération des armes dont dispose le travailleur dans sa lutte contre son patron et plus largement le capitalisme, on évoque la grève. Et c’est à peu près tout.
Triste arsenal, résumé à une démarche, certes nécessaire, libératrice et puissante, mais également coûteuse et dangereuse, car immanquablement, elle porte en elle le risque d’affaiblir la détermination des travailleurs, qui, le ventre vide, ne peuvent pas rivaliser en endurance financière avec leurs pompe-la-sueur patronaux.
Et pourtant ! Il existe d’autres leviers. Des leviers qui ont été théorisés presque en même temps, toujours par les mêmes, les anarchistes. Émile Pouget en l’occurrence. Pouget, Le Père Peinard, le militant cégétiste, qui a participé à l’élaboration de la Charte d’Amiens. Pouget parlait de boycottage (aussi évoqué dans l’ouvrage), mais aussi et surtout, de sabotage. Le sabotage a triste réputation. On a eu vite fait de le ranger dans le tiroir des pratiques obsolètes quand, par la suite, les usines furent occupées en 36. Il fallait désormais se saisir des moyens de production et non plus les détruire. Et on oublia le sabotage, relégué aux glorieuses souvenances des opérations des FTP et autres actions d’éclat des Résistants à l’occupant nazi.
Mais ce reproche d’une partie de la gauche ne se basait que sur une définition parcellaire du sabotage. Le sabotage n’est pas que destruction, il ne consiste pas qu’en la neutralisation définitive des outils de travail, loin de là. C’est aussi et surtout un moyen de peser dans le rapport de force qu’est la lutte des classes. Émile Pouget, dans ce recueil de textes thématique, revient notamment sur son origine et le « go canny » des prolos écossais, ces travailleurs qui intimaient aux collègues bien trop pressés, de prendre leur temps, de faire le boulot, mais tranquillement, lentement, voire mal. « À mauvaise paye, mauvais travail ! » était leur motto. Et ils avaient bien raison. Pouget explique le truc : quand on achète un morceau de bidoche cinq sous, on en a pour cinq sous. Si on en paie un dix sous, on aura un bout de barbaque de meilleure qualité ou davantage, mais de qualité inférieure. Si on ne lâche que deux sous, on aura du râble défraichi plein de nerfs.
« Tout est commerce !... C’est-à-dire duperie. »
Pourquoi le travailleur pris dans ce système impitoyable ne gérerait-il pas sa force de travail pareillement ? Il lui faudrait s’épuiser pour un salaire de misère ? Non. Bien payé, il travaille au mieux. Mal payé, il est plus lent ou maladroit. Il raccourcit sa pelle, fait quelques gaffes calculées, pour aboutir à la production d’une marchandise de moins bonne qualité. Et de ce fait, cette action directe, mais discrète lui garantit un certain anonymat et le protège des représailles. Et si le patron entreprend de réduire à nouveau sa paie, il se rendra vite compte que ce qu’il gagne sur le dos du travailleur, il le perdra au décuple sur le volume de ses ventes… C’est aussi ça, le sabotage. Moyen de lutte que Pouget et ceux qui seront par la suite désignés sous le sobriquet, censé être dévalorisant, mais qu’ultérieurement, le courant s’appropriera « d’anarcho-syndicalistes », arrivent à faire passer dans les motions de la jeune CGT. Et cette méthode, très plastique (huhu) permet autant de lutter contre une baisse de salaire dans une usine que de s’étendre à des dimensions plus vastes, une fois coordonnée, dans un but révolutionnaire. Le sabotage devait également permettre de combattre la mobilisation et tenter d’empêcher le déclenchement de guerres, dans un contexte de soif patriotarde généralisée.
Le bouquin offre l’occasion de (re) découvrir la gouaille inénarrable du Pouget/Peinard, de s’arrêter sur d’autres textes qu’il a écrits, notamment dans La Guerre sociale, mais aussi des articles de Sébastien Faure ou une superbe publication de Henriette Valet, de 1933, sur son expérience parmi les « dames du téléphone ». Il intègre également quelques papiers très pratico-pratiques sur comment cisailler les fils des télégraphes ou bien endommager une locomotive, nous replongeant un instant dans les luttes des compagnes et compagnons de jadis. Et ce qui est vache ruspinskoff, c’est le glossaire final, qui nous détaille une charibotée de termes fleuris de bons bougres et de galbeuses qu’enquille le Père Peinard dans ses réflecs de gniaff.
Victor Cachard,
Émile Pouget et la révolution par le sabotage
Éditions Libre, 2022, 244 p., 16 €
PAR : Julien Caldironi
Individuel 49
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