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par René Burget • le 10 novembre 2024
Fièvre anarchiste à Saint-Junien (Haute-Vienne) 1ère partie
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NDLR. L’article proposé par René Burget, secrétaire du CIRA Limousin est présenté en deux parties en raison de sa longueur. Pour la seconde partie, rendez-vous la semaine prochaine.
EN DÉCEMBRE 1902, devant le refus d’une augmentation formulée par les ouvriers gantiers, Théophile Beausoleil, secrétaire du groupement, soumet au vote la grève générale de la corporation : elle est décidée par 242 voix contre 6.
La fièvre révolutionnaire s’empare de Saint-Junien, propagée par les anarchistes.
Armand Beaure, animateur de la Jeunesse libertaire de Limoges et fondateur en 1905 de la feuille L’Ordre, se réjouit de la création du groupe Germinal, autour des gantiers [en gras : anarchistes fichés par la préfecture] : Jean Bourgoin, Raoul Corcelle (tous deux habitant la même rue), Jacques Rougier, Albert, Junien et Paul Hélias (trois frères), Jean Faret, François Ratinaud, Jean Billat, Pierre Chaillat, Louis Chabernaud, Louis Gaillard, Victor Laberche (patron gantier), Jean Vevaud, Louis Treillard, François et Henri Pascaud, Israël Bernard, Junien Burbaud, Camille Larocque, Joseph Duchazaubeneix, Paul Bertrand, Joseph Prael, Jean-Baptiste Fourgeaud, Edmond Boulanger, Louis Renon, Léon-Pierre Terlaud, Justin Rebeyrol, Paul Faure, Jean Barataud, Jean Nougier, Jean Decouty, Léon Dutheil...
Et aussi avec : Joseph Dupuy, Jean Dufour, Auguste Marchadier, Henri Durand, Jean Delavie (teinturiers en peaux), Félix et Paul Dumur, Jean Mannat et Léonard Princeaud (Palissonneurs), François Laurent et Jean Rousset (maçons), Émile Morichon et Jean Victor (cordonniers), Philippe Rougerie et Émile Rougier (instituteurs).
Jusqu’en 1907, les individualistes participent aux activités syndicales. Raoul Corcelle et Victor Laberche siègent au bureau de la chambre syndicale des ouvriers gantiers.
Antipatriotisme
Une affiche « Aux jeunes soldats », placardée sur les murs de Saint-Junien et les platanes du champ de foire, est saisie le 18 novembre 1904 par les gendarmes, alors que Jean Bourgoin en distribuait : il écope d’une amende et d’une incarcération à Rochechouart.
Astucieusement, l’affiche était revêtue de baguettes en haut et en bas, avec en haut un anneau et en bas une ficelle. Le jeu consistait à grimper à un poteau et à enfiler l’anneau à un fil télégraphique traversant la place du Champ de Foire. Puis, l’affiche était guidée avec la ficelle au milieu de la place et le fil brûlé. Avant que les autorités ne soient parvenues à atteindre l’affiche, à l’aide de camions, d’échelles doubles et de crochets, toute la ville était passée la voir !
Le 24 janvier 1905, jour du tirage au sort de la classe 1904, Jean Bourgoin et Victor Laberche distribuent le Nouveau manuel du soldat, édité par la CGT à la demande de la Jeunesse syndicaliste de Saint-Junien.
En novembre 1908, Raoul Corcelle est poursuivi par le sous-préfet pour avoir posté à tous les conscrits du canton le n° 23 du Combat Social, qui avait succédé à L’Ordre, « incitant les militaires à la désobéissance ». Il en profite pour se présenter aux municipales de mai 1908 avec Julien Burbaud, puis aux législatives de 1914, comme candidat « pour la frime ».
Tournées anars
Étape obligée des conférenciers libertaires en tournées de propagande, les bords du confluent de la Glane et de la Vienne ont entendu beaucoup de belles paroles émancipatrices :
- Marie Murjas, ex-religieuse de la Trappe, démontre les crimes de Dieu le 18 février 1902, devant 500 personnes.
- En 1903, Félicie Numetska, présidente du Comité de défense des condamnés antimilitaristes, puis en 1906 secrétaire générale du Comité français de l’AIA (Association internationale antimilitariste) dénonce l’armée, institution de crime.
- Le 11 octobre 1903, Louise Michel reçoit un accueil triomphal dès la gare.
- En juin 1904, les propos anticléricaux de Séraphine Pajaud font un tabac.
- George Yvetot, chargé de l’antimilitarisme à la CGT, le 10 octobre 1904, insiste sur l’absolue nécessité de l’éducation non militariste.
- Mieux encore, le 31 octobre 1904, plus de 800 personnes sont captivées par les huit preuves de l’inexistence de Dieu assénées par Sébastien Faure.
- Le 26 août 1906, Libertad (Joseph Albert de son vrai nom, 24 novembre 1875 – 12 novembre 1908), directeur de L’Anarchie, appelle à la désertion.
- Ernest Giraud, proche de Louise Michel, y prône la suppression du bulletin de vote en 1907 et 1909.
- Sébastien Faure, repasse une couche sur l’impuissance du parlementarisme en 1907, suivi en 1910 sur ce thème par Goldsky (Gustave Goldschild, patriote en 1914, mais il rejoindra Lecoin de 1958 à sa mort en 1969, en écrivant dans Liberté).
- Le chansonnier parisien Charles d’Avray se produit en décembre 1907 et juin 1909, et les jeunes reprennent en chœur l’Hymne à l’anarchie, Ni Dieu, ni maître, Plaquons les casernes, etc.
- Le 18 avril 1911, Jean Marestan traite avec des projections lumineuses, de la question des bagnes militaires.
- En mai 1911, Mauritius cause devant les ouvriers juniauds de l’inexistence de Dieu.
- Le 24 juin 1913, André Rouleau, dit Lorulot, soulève l’enthousiasme avec une conférence anticléricale gratinée.
Action directe
Avec le Nouvel An 1903, un conflit paralyse l’industrie gantière. Les membres de Germinal se rendent par petits groupes au domicile des ouvriers qui continuent de travailler et les obligent à remettre leur ouvrage. Le 7 janvier, le domicile de Junien Rapy, gantier hostile au syndicat, est violé, ses outils brisés, sa femme et lui rossés. Formellement reconnus comme agresseurs, Jean Bourgoin et François Ratinaud seront arrêtés le lendemain et conduits à la prison du château de Rochechouart.
Déjà, le 12 février 1902, à l’usine du Goth, des jeunes conspuaient les non-grévistes et brisaient les carreaux à coups de pierres. Le 13, les gendarmes en faction devant l’usine seront bousculés par 300 manifestants, qui enfoncent les grilles et débusquent les renégats terrorisés (jaunes non grévistes). Couverts d’injures et de crachats, ces derniers quittent la mégisserie sous la protection des gendarmes. La grande presse amplifie cette « flambée » de violence. Jean Bourgoin et Jean Faret sont à nouveau auditionnés à la gendarmerie de Rochechouart.
L’hiver 1902-1903, le Champ de Foire devient un champ de bataille, où chargent les dragons, sous les pluies de pierres des manifestants. Le 23 décembre, les charges de cavalerie se succèdent jusqu’à 22 heures pour parvenir à disperser énergiquement les ouvriers en grève. Les anarchistes organisent alors une mini-guérilla urbaine, en fermant les rues autour de cette grande place avec du fil de fer tendu d’arbre en arbre et en éteignant les becs de gaz, pour mieux arroser d’injures et de pierre les dragons (qui se perdent dans l’obscurité et chutent de cheval). Au cours de 4 ans de telles violences, seul un cheval meurt, frappé au flanc par le couteau d’un gréviste.
Les anarchistes juniauds éprouvent une haine saine et viscérale contre les gens en armes : quolibets, insultes verbales, coups de pied et de poing sont le lot quotidien des cognes locaux.
En décembre 1904, Saint-Junien ressemble à une ville de garnison, reflet de l’inquiétude du pouvoir : 109 gendarmes, 214 fantassins et un demi-escadron de dragons (60 cavaliers) y stationnent.
Le 18 juin 1905, un rapport croustillant de la gendarmerie évoque ce climat : « Vers 7 heures du soir, plusieurs jeunes gens du groupe libertaire […] rentraient par le boulevard Louis Blanc en chantant à tue-tête La Carmagnole et autres chants révolutionnaires en y intercalant des paroles outrageantes pour les militaires de la gendarmerie. […] Invités à se taire et à circuler paisiblement, un individu proteste : “Brigadier, c’est une provocation que vous nous adressez, mais soyez tranquille, vous ne nous faites pas peur” et, s’éloignant de quelques pas, il s’est penché un peu en avant, a relevé son veston, et en nous montrant son derrière a lâché un vent en disant : “Voilà pour la gendarmerie”. Il a été mis en état d’arrestation. À ce moment-là, le nommé Terlaud a lancé deux coups de pied au gendarme Sicogne, mais sans lui faire aucun mal, cependant que le nommé Texier (de la Jeunesse libertaire de Limoges) et sa femme (qui a frappé à plusieurs reprises avec son ombrelle le gendarme Sicogne), cherchaient à faire dégager le prisonnier. Des renforts sont arrivés, Victor Jean fut conduit au poste pour outrage. »
René Burget, secrétaire du CIRA Limousin
64, avenue de la Révolution, 87000 Limoges
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* Christian Dupuy, Saint-Junien, un bastion anarchiste en Haute-Vienne (1893-1923), Pulim (Presses universitaires de Limoges), 2003, 223 p.
Autres sources :
J-P Brachet, Trélazé, foyer anarcho-syndicaliste (1890-1914), mémoire DESS, Université de Rennes, 1961, 140 p.
Michel Laguionie, Les trois CGT, Histoire du mouvement syndical à Limoges de 1919 à 1939, éditions Force Ouvrière, 1981, 61 p.
Pierre Cousteix, Influence des doctrines anarchistes en Haute-Vienne sous la IIIe République, l’Actualité de l’histoire 13, novembre 1955, p. 26-34.
Jean Bourgoin, Les Antitout, Nouvelle Librairie Nationale, 1964, 270 p.
PAR : René Burget
Secrétaire du CIRA Limousin
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