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par Jean-Pierre Tertrais le 19 juin 2023

FNSEA : quand le libéralisme mafieux implore l’aide de l’État

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Article extrait du Monde libertaire n°1850 de mai 2023




Au prétexte que la Confédération paysanne avait « cautionné » les récents événements de Sainte-Soline, la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) du Morbihan et les Jeunes agriculteurs du département demandent au préfet de la « sanctionner » ! La Confédération paysanne serait un ramassis de « décroissants simplement égoïstes, qui ont le ventre plein, et qui voudraient faire croire qu’il ne faut pas se préoccuper de nourrir la planète, pour revenir à une agriculture vivrière » !! Les auteurs du texte demandent que « la Confédération paysanne soit exclue de toutes les instances officielles du département, régionales et nationales, et qu’elle ne perçoive plus de subventions publiques » !! Et plus loin : « Le rôle d’un syndicat n’est pas d’imposer un modèle et la FDSEA, elle, s’attache à défendre les intérêts de tous les agriculteurs » !! Et pour bien enfoncer le clou, Ch. Lambert éructait au 77e congrès de la FNSEA : « Nous ne céderons pas à la violence et continuerons de porter notre vision de l’agriculture » !! Ceux qui connaissent le fonctionnement de la FNSEA doivent déjà être morts de rire !

Un peu d’histoire
Dans son livre La forteresse agricole – une histoire de la FNSEA (2004), G. Luneau rappelait que les origines de ce syndicat se situent « dans les marmites d’extrême droite où mijotait la Corporation paysanne du régime de Vichy ». Que tous les ministres de l’agriculture, de droite ou de gauche, ont toujours prêté une oreille attentive – c’est un euphémisme – aux propos du syndicat agricole le plus puissant de France. Le journaliste nous permet de découvrir « la violence des intrigues, les dissidences, les manipulations politiques, les stratégies économiques » et de comprendre comment un modèle unique de développement agricole a pu programmer l’élimination de centaines de milliers de paysans... au nom de l’unité paysanne !

Des méthodes de voyous
Dans son investigation impressionnante, G. Luneau écrivait : « … depuis la Libération et la naissance de la FNSEA jusqu’à nos jours, on a assisté à des dizaines de ces saccages : des préfectures attaquées ; des bureaux d’institutions publiques, voire de ministères, ravagés ; des panneaux de signalisation routière brisés ; des murs barbouillés ; des milliers de tonnes de légumes et de fruits dispersés sur les routes, piétinés, arrosés de pétrole, jetés à la décharge ; des fleuves de lait déversés dans les rues ; des porcelets lancés vivants sur les forces de l’ordre ou accrochés aux grilles des préfectures ; des lignes de chemin de fer barrées, endommagées... ». « S’attacher à relever des condamnations judiciaires consécutives à ces exactions, c’est chercher une aiguille dans une meule de foin. On trouve plus souvent un gouvernement qui cède, un ministre prêt à faire un chèque, un préfet passant l’éponge, qu’un procureur jugeant opportun de poursuivre... On ne fâche pas la puissante FNSEA ».
Comme le proclamait Ch. Lambert (voir plus haut) : « Nous ne céderons pas à la violence » !!

Le capitalisme comme modèle

La FNSEA a clairement accompagné la « modernisation » de l’agriculture des années 1960.
L’agrandissement des tailles d’ateliers et l’accaparement des productions – financés par les fonds publics – permettent davantage de compétitivité, c’est-à-dire la capacité de vendre moins cher, et donc suppose des prix inférieurs aux coûts de production et des charges externalisées et payées par d’autres. Or, plus de modernisation et d’innovation, c’est plus d’investissements trop lourds pour les plus précaires, plus d’industrialisation et d’artificialisation, plus de déshumanisation de la profession, plus d’élimination des petites fermes pourtant plus efficaces en termes d’emplois et de biodiversité.

La surproduction permet la « vocation exportatrice » de l’agriculture, c’est-à-dire l’anéantissement des productions vivrières des « pays en développement » soumis, depuis les années 1980, aux programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale. Ce qui explique qu’aujourd’hui ceux qui souffrent de la faim vivent pour l’essentiel dans les pays en développement et sont pour les deux tiers des paysans.

Lorsque l’association France nature environnement prône la mise en place de zones de non traitement aux pesticides près des habitations, des agriculteurs de la FDSEA jettent œufs et poubelles devant leurs locaux. Lorsque l’association de sauvegarde de la vallée du Meu organise une conférence sur la méthanisation, des agriculteurs de la FNSEA tentent de la perturber. Lorsque la journaliste M. Large enquête sur les pratiques agricoles intensives, sa voiture est sabotée.
Lorsque les délinquants du syndicat cogestionnaire vont pleurer auprès de l’État, une cellule « Demeter » de renseignement sur les atteintes au monde agricole est créée, plaçant la gendarmerie au service de l’agro-industrie. Lorsque les salaires des dirigeants de la FNSEA flirtent avec les 15 000 euros mensuels, pendant que 30 % des agriculteurs ne peuvent pas se dégager un revenu... c’est sans doute qu’ils le valent bien !

Jean-Pierre Tertrais
PAR : Jean-Pierre Tertrais
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