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par Calimera • le 22 juin 2020
Étrange biodiversité... Étrange bien-être...
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Réponse complémentaire à l’article de Wally Rosell
Le texte de Wally Rosell a déjà fait l’objet d’une première réponse intéressante dans le Monde libertaire de février 2020. Toutefois, le sujet n’étant pas épuisé, d’autres aspects me paraissent importants à prendre en compte.
Ce texte se décompose en deux parties. La première concerne la question écologique, la seconde le « respect » des animaux.
Étrange biodiversité...
Listons les points sur lesquels nous sommes en accord avec le texte initial : sortir du capitalisme (agriculture comprise donc), condamnation sans équivoque de l’élevage industriel, non séparation entre enjeux écologiques et problèmes liés aux inégalités sociales.
En revanche, nous prendrons au mot l’auteur quant à sa dénonciation de la « surconsommation de viande » et quant à son soutien au « bien-être animal », en les confrontant à la réalité des pratiques d’aujourd’hui et aux grandes données.
Une croissance mondiale exponentielle de la production/consommation de chair animale et de produits ovo-lactés… au détriment des animaux sauvages
Si la population mondiale a presque triplé sur les 60 dernières années, la production/consommation de viande a été multipliée par cinq [note] . Et elle s’accroîtrait encore de 75 % d’ici 2050 [note] . On estime déjà à plus de 70 milliards le nombre d’animaux tués par an et cela hors poissons.
Sur la biomasse des mammifères peuplant aujourd’hui la Terre : 60 % sont d’élevage, 36 % sont des humains et… 4 % sont sauvages !
En ce qui concerne les oiseaux, 71 % sont domestiques et 29 % sauvages [note] .
A lui seul, l’élevage occupe un tiers des terres émergées, les trois-quarts des terres agricoles, sous formes de pâturages ou destinées à la production de nourriture pour les animaux.
Multiplier les animaux d’élevage a donc un impact inversement proportionnel sur les animaux sauvages qui non seulement se trouvent privés de territoires, mais sont chassés en tant que concurrents ou prédateurs.
A ce rythme, combiné à l’artificialisation des sols (habitats, routes, zones commerciales…) et à l’usage des pesticides, combien d’animaux sauvages, y compris de vers de terre, restera-t-il dans quelques dizaines d’années ?
En France :
Il est ainsi pour le moins étrange que des anarchistes français s’inquiètent de l’impact du véganisme sur la biodiversité alors qu’en France ses partisans représentent à peine 1 % de la population… Bonjour la menace !
L’auteur propose cependant une « consommation raisonnée » de viande mais ne la définit pas.
En France métropolitaine, au début du XIXe, « on » consommait en moyenne annuellement 19 kg de viande par personne, 41 kg début XXe et 86 kg en 2016, plus de 4 fois plus en 200 ans, alors que la population a juste un peu plus que doublé : passant de 29 millions en 1800 à 65 millions en 2016.
Cette production massive n’est possible que parce qu’une partie non négligeable de l’alimentation de ces animaux est cultivée sur des terres hors France. En s’appropriant donc des terres et des productions végétales alimentaires au détriment des populations locales et des espaces sauvages.
Avec en moyenne 8 à 10 repas carnés par semaine, et une consommation quotidienne ovo-lactée, que serait une réduction de la consommation par habitant.e qui pourrait être « soutenable », sachant que la population augmente chaque année ?
Au delà d’un repas carné et ovo-lacté par semaine, voire par mois, pour chaque habitant.e, l’élevage non intensif, en plein air, sans aliments importés, pourrait-il y répondre ?
Or s’alimenter sur une base végétale demande moins de surfaces, sachant qu’en moyenne il faut 7 kg de végétaux pour produire 1 kg de viande (avec des variations selon le type d’animaux). 33 % des terres cultivables de la planète sont utilisées à produire l’alimentation des animaux d’élevage. En France, près de la moitié de la consommation intérieure de céréales l’est par les animaux (en plus du soja importé). Aussi, au lieu de destiner les productions céréalières vers l’alimentation animale, elles pourraient servir directement aux humains et en nourrir bien davantage. Un pas vers la solidarité internationale !
Pêche et pisciculture font aussi des ravages considérables
L’auteur fait l’impasse sur le sort réservé aux animaux marins. Or les captures, l’élevage (poissons, crevettes… nourris aux farines animales et au soja) et la consommation vont s’accentuant, jusqu’à menacer de faire disparaître des espèces. Les océans se vident de leurs populations (les méduses se développent toutefois faute de prédateurs). Les prises accessoires génèrent un nombre considérable de victimes chez les oiseaux et mammifères des océans et rivières. En plus, 80 % des poissons pêchés sont consommés par les habitant.e.s des pays riches. Les flottes de pêche (largement subventionnées) consomment beaucoup de carburant, avec tout ce que cela implique. Pour ce qui est de la biodiversité et de l’égalité sociale, on repassera.
Ainsi est-il suffisant de sortir le capitalisme de l’élevage et de la pêche ? Ou faut-il interroger plus au cœur nos modes de consommation (lesquels sont certes très divers selon les régions du globe mais le modèle est, de plus en plus, l’Occident), d’autant que la population humaine ne cesse de s’accroître, aggravant et complexifiant les problèmes.
Évidemment, il y a une différence entre l’élevage intensif et l’élevage dit paysan, ce dernier étant devenu ultra-minoritaire en Occident en termes de production, quels que soient les types d’animaux concernés. Néanmoins, l’élevage non intensif peut aussi être questionné.
Vertus de l’élevage extensif ?
Intensive ou en plein air, la première production animale au monde avant la chair, le cuir, le lait et les œufs se compose... des déjections ! Les tas de fumier apportent bien de l’azote indispensable aux plantes [note] mais aussi des nitrates (à l’origine des algues vertes), de l’ammoniac (polluant acide de l’air, des sols et des eaux superficielles), du protoxyde d’azote (un gaz à effet de serre – GES). Évidemment leurs nuisances sont proportionnelles à la taille des troupeaux. L’élevage extensif nécessite beaucoup d’espaces : pour éviter le compactage des sols par le piétinement (lequel est un problème, contrairement à ce que dit W. Rosell) et la concentration d’excréments (et des parasites qu’ils contiennent), une rotation est nécessaire, jusqu’au déboisement pour libérer des terres. Aussi étonnant que cela soit, les bovins émettent plus de méthane (GES plus puissant que le CO2) par fermentation entérique quand ils mangent de l’herbe plutôt que le duo soja-maïs ! Les prairies absorbent certes le CO2 mais à hauteur de 20 à 60 % [note] . Elles n’ont au final ni effet positif ni même compensatoire intégral. De fait la contribution globale de l’élevage aux GES s’élève à 14,5 % !
Le pastoralisme est présenté positivement par l’auteur. Mais les travaux du naturaliste Pierre Rigaux montrent que si les troupeaux (dont la transhumance se fait par camion) maintiennent les prairies à l’étage de la forêt, plus haut la flore fragile des pelouses alpines, adaptées aux conditions extrêmes de la haute montage, supporte mal les centaines de milliers de moutons : broutage, piétinement et déjections (lesquelles peuvent souiller les eaux des communes en contrebas). Les biocides antiparasitaires donnés aux ovins et caprins élevés se retrouvent dans la nature. Les brebis, qui représentent une biomasse supérieure de 5 à 10 fois à celle de tous les chamois, bouquetins, mouflons, cerfs, chevreuils…, transmettent des maladies à ces herbivores sauvages. W. Rosell déclare que la réintroduction des oiseaux charognards n’aurait pas été possible sans les troupeaux domestiques. Or, permettre le retour de grands animaux sauvages, dont les cadavres sont la nourriture originelle, aurait été aussi efficace.
L’auteur mène une charge contre les forêts qui ne favoriseraient pas la biodiversité, notamment parce qu’en France elles sont composées à 40 % de résineux. Mais il a dû retirer ses lunettes lui permettant de voir que le capitalisme s’est, comme partout, aussi infiltré dans la gestion des forêts, avec une culture de plus en plus mono-essence, dénoncée d’ailleurs par les agents de l’Office national des forêts. Une vraie forêt, à la végétation multiple, capte davantage de CO2 et est un condensé de biodiversité, d’autant plus quand elle est peuplée d’animaux sauvages. Pourquoi un reboisement ne pourrait-il pas être accompagné par les humains dans une logique de diversification des espèces ? Par ailleurs, le rapport de 2017 de Food Climate Research Network sur les prairies indique que les herbivores sauvages pourraient être une meilleure option que les races domestiques pour la biodiversité !
Étrange bien-être...
On l’a vu, l’élevage et la pêche, même non industriels, loin d’être le cercle vertueux avancé par W. Rosell, posent de multiples problèmes écologiques. Regardons maintenant si la notion de « bien-être » pour les animaux à laquelle se réfère l’auteur est adaptée.
Rappelons que la domestication des animaux et la culture des plantes ont démarré très progressivement au Néolithique, il y a 12 000 ans environ. La consommation de lait non humain remonte à cette période, soit une durée marginale sur les 300 000 ans d’existence de l’Homo sapiens. Auparavant, les animaux sauvages vivaient globalement en abondance, même si déjà certaines espèces ont été menacées par la chasse massive. La domestication les a asservis, sélectionnés et contraints au fil du temps pour satisfaire les intérêts humains. Dans nos sociétés, ces animaux dits « de rente » ont été tellement dégénérés que la plupart ne sauraient vivre à l’état sauvage.
Déjà, en 1901, le géographe anarchiste Elisée Reclus constatait l’ « abâtardissement pour le bœuf, que nous voyons maintenant se mouvoir péniblement dans les prairies, transformé par les éleveurs en énorme masse ambulante aux formes géométriques, comme dessinées d’avance pour le couteau du boucher. Et c’est à produire des monstres pareils que nous appliquons l’expression d’« élevage » ! »
Quel « bien-être animal » ?
Dans certains élevages, on peut concevoir que les animaux mènent une vie correcte. Mais, quelle que soit la filière, industrielle ou bio, quelle que soit la taille de l’exploitation :
- Pour la production laitière, la majorité des veaux, chevreaux et agneaux mâles est retirée à leur mère peu après la naissance et mise à l’engraissement. Or comme chez tous les mammifères, mères et petits ont un lien fort qui peut durer toute leur vie. Est-ce que les séparer respecte leur bien-être ?
- La réalité dans les abattoirs revient au galop : les règles minimales d’étourdissement, voire la réglementation, sont mal respectées. Nombre d’exemples ont déjà été dévoilés. Avant la mort proprement dite, trop d’animaux sont exposés au stress, voire à la terreur, et à de grandes souffrances. Cadences obligent. Logique de profit et économie d’échelle par la production massive dictent leur loi. De plus des employés pas toujours bien formés (la formation coûte au patron) sont amenés à bousculer, frapper certains animaux récalcitrants. Car, oui, les animaux résistent à leur façon ! Il en va des brutalités dans les abattoirs comme des bavures policières : ce ne sont pas des exceptions, des dérapages individuels. Elles sont inhérentes au système, de par son organisation même.
Des éleveurs paysans l’ont compris. Pour parer à ces problèmes, ils revendiquent de petits abattoirs mobiles qui se déplaceraient de fermes en fermes (limitant le stress des animaux durant le transport). Or ce type d’abattoirs est très marginal. Pourquoi ne pas appeler au boycott dans l’attente que la mise à mort soit « correctement » pratiquée (selon leurs critères) ?
- La plupart des animaux sont abattus peu après l’âge adulte. Avec une si courte durée d’existence, même pour ceux avec paille et espace, peut-on dire qu’ils ont « bien vécu » ? Les cochons sont tués à 6 mois alors que leur espérance de vie est de 12 ans. Avec « l’agriculture sortie du capitalisme » les porcs vivront-ils plus longtemps ? Ce qui implique de continuer à les nourrir, les abreuver, les abriter, les soigner, (les câliner ?). Ou alors la loi du plus fort l’emportera-t-elle ?
- Dans les couvoirs où l’on fait naître les futures poules pondeuses, les poussins mâles sont tous abattus à l’âge d’un jour, par gazage ou broyage, n’étant pas taillés pour devenir des poulets de chair.
- Dans la pêche, l’animal est soit attrapé par un hameçon, extrait précipitamment de son milieu, soit asphyxié dans un filet ou sur le pont d’un bateau dans une lente agonie, évidemment sans anesthésie.
Accepter tout ce qui précède et se revendiquer ensuite du bien-être animal n’apparaît-il pas comme une (im)posture ?
Même le micro-élevage, non commercial, chez les particuliers, devrait nous interroger : que penser en effet de la triste vie des lapins détenus dans des clapiers aux cages exiguës ou de l’absence d’étourdissement préalable pour l’abattage des volailles ?
Je le constate trop souvent : ceux et celles qui parlent « bien-être » et « respect » continuent à acheter et manger de la chair issue des élevages et des abattoirs qu’ils dénoncent, révélant la fameuse « dissonance cognitive ».
Mais, fondamentalement, y a-t-il une rupture nette entre l’élevage en plein air et la zootechnie industrielle d’aujourd’hui ? Dans les deux cas, les mâles reproducteurs sont sélectionnés et des mutilations pratiquées (castrations notamment…) par exemple. Déjà, chez les Romains, le gavage et le confinement des volailles avaient cours. Pour l’engraissement, elles pouvaient même être enfermées dans un pot. La contention n’est pas une idée neuve, née avec l’industrialisation. Ce à quoi l’on assiste de nos jours est une massification démesurée et une radicalisation des pratiques !
Mais, malgré sa croissance fulgurante, il ne faudrait pas surestimer l’apport animal dans l’alimentation. Dans le monde, seules 18 % des calories sont apportées par les produits animaux (27 % en Europe, 24 % en Amériques, 16 % en Asie et 9 % en Afrique) [note] . Tant de dégâts environnementaux et tant de souffrances pour si peu ! S’en passer n’est pourtant pas insurmontable.
Le véganisme ne dénonce pas seulement la transformation des animaux en produits alimentaires : l’abolition des courses de chevaux, des combats de coqs, de la chasse à courre et des delphinariums sont aussi revendiqués par exemple, dont on se demande en quoi la biodiversité y perdrait. Nous pouvons avoir ainsi un terrain de lutte commun.
Le regard anarchiste a toujours cherché à être le plus lucide possible. Se présentent devant lui deux questions : comment nourrir une population humaine en expansion sachant que le petit élevage ne peut y répondre que de manière marginale ? Peut-on concilier abattoirs, mutilations inhérentes à toutes formes d’élevage et bien-être animal ?
Le monde que nous propose W. Rosell serait-ce celui fondé sur les seuls bocages et animaux domestiqués ? Sans forêt ?
Luttons ensemble contre l’élevage et l’abattage intensifs. Le boycott est un des moyens. Au delà de la sphère individuelle, c’est la société qu’il faut changer. La vaste question des besoins réels est l’une des plus épineuses à résoudre… Débarrassé du profit capitaliste, on verra comment nous pourrons vivre avec les autres animaux de manière éthique, juste. Agriculture bio végane, permaculture avec jardins en lisière de forêt, sans labour ni monoculture, ainsi que la redécouverte de plantes sauvages comestibles (y compris les feuilles de certains arbres), offrent d’attrayantes perspectives. Le génie humain aura de quoi s’exercer de manière plus pacifique.
Calimera (Groupe René Lochu, Vannes)
Ce texte se décompose en deux parties. La première concerne la question écologique, la seconde le « respect » des animaux.
Étrange biodiversité...
Listons les points sur lesquels nous sommes en accord avec le texte initial : sortir du capitalisme (agriculture comprise donc), condamnation sans équivoque de l’élevage industriel, non séparation entre enjeux écologiques et problèmes liés aux inégalités sociales.
En revanche, nous prendrons au mot l’auteur quant à sa dénonciation de la « surconsommation de viande » et quant à son soutien au « bien-être animal », en les confrontant à la réalité des pratiques d’aujourd’hui et aux grandes données.
Une croissance mondiale exponentielle de la production/consommation de chair animale et de produits ovo-lactés… au détriment des animaux sauvages
Si la population mondiale a presque triplé sur les 60 dernières années, la production/consommation de viande a été multipliée par cinq [note] . Et elle s’accroîtrait encore de 75 % d’ici 2050 [note] . On estime déjà à plus de 70 milliards le nombre d’animaux tués par an et cela hors poissons.
Sur la biomasse des mammifères peuplant aujourd’hui la Terre : 60 % sont d’élevage, 36 % sont des humains et… 4 % sont sauvages !
En ce qui concerne les oiseaux, 71 % sont domestiques et 29 % sauvages [note] .
A lui seul, l’élevage occupe un tiers des terres émergées, les trois-quarts des terres agricoles, sous formes de pâturages ou destinées à la production de nourriture pour les animaux.
Multiplier les animaux d’élevage a donc un impact inversement proportionnel sur les animaux sauvages qui non seulement se trouvent privés de territoires, mais sont chassés en tant que concurrents ou prédateurs.
A ce rythme, combiné à l’artificialisation des sols (habitats, routes, zones commerciales…) et à l’usage des pesticides, combien d’animaux sauvages, y compris de vers de terre, restera-t-il dans quelques dizaines d’années ?
En France :
Il est ainsi pour le moins étrange que des anarchistes français s’inquiètent de l’impact du véganisme sur la biodiversité alors qu’en France ses partisans représentent à peine 1 % de la population… Bonjour la menace !
L’auteur propose cependant une « consommation raisonnée » de viande mais ne la définit pas.
En France métropolitaine, au début du XIXe, « on » consommait en moyenne annuellement 19 kg de viande par personne, 41 kg début XXe et 86 kg en 2016, plus de 4 fois plus en 200 ans, alors que la population a juste un peu plus que doublé : passant de 29 millions en 1800 à 65 millions en 2016.
Cette production massive n’est possible que parce qu’une partie non négligeable de l’alimentation de ces animaux est cultivée sur des terres hors France. En s’appropriant donc des terres et des productions végétales alimentaires au détriment des populations locales et des espaces sauvages.
Avec en moyenne 8 à 10 repas carnés par semaine, et une consommation quotidienne ovo-lactée, que serait une réduction de la consommation par habitant.e qui pourrait être « soutenable », sachant que la population augmente chaque année ?
Au delà d’un repas carné et ovo-lacté par semaine, voire par mois, pour chaque habitant.e, l’élevage non intensif, en plein air, sans aliments importés, pourrait-il y répondre ?
Or s’alimenter sur une base végétale demande moins de surfaces, sachant qu’en moyenne il faut 7 kg de végétaux pour produire 1 kg de viande (avec des variations selon le type d’animaux). 33 % des terres cultivables de la planète sont utilisées à produire l’alimentation des animaux d’élevage. En France, près de la moitié de la consommation intérieure de céréales l’est par les animaux (en plus du soja importé). Aussi, au lieu de destiner les productions céréalières vers l’alimentation animale, elles pourraient servir directement aux humains et en nourrir bien davantage. Un pas vers la solidarité internationale !
Pêche et pisciculture font aussi des ravages considérables
L’auteur fait l’impasse sur le sort réservé aux animaux marins. Or les captures, l’élevage (poissons, crevettes… nourris aux farines animales et au soja) et la consommation vont s’accentuant, jusqu’à menacer de faire disparaître des espèces. Les océans se vident de leurs populations (les méduses se développent toutefois faute de prédateurs). Les prises accessoires génèrent un nombre considérable de victimes chez les oiseaux et mammifères des océans et rivières. En plus, 80 % des poissons pêchés sont consommés par les habitant.e.s des pays riches. Les flottes de pêche (largement subventionnées) consomment beaucoup de carburant, avec tout ce que cela implique. Pour ce qui est de la biodiversité et de l’égalité sociale, on repassera.
Ainsi est-il suffisant de sortir le capitalisme de l’élevage et de la pêche ? Ou faut-il interroger plus au cœur nos modes de consommation (lesquels sont certes très divers selon les régions du globe mais le modèle est, de plus en plus, l’Occident), d’autant que la population humaine ne cesse de s’accroître, aggravant et complexifiant les problèmes.
Évidemment, il y a une différence entre l’élevage intensif et l’élevage dit paysan, ce dernier étant devenu ultra-minoritaire en Occident en termes de production, quels que soient les types d’animaux concernés. Néanmoins, l’élevage non intensif peut aussi être questionné.
Vertus de l’élevage extensif ?
Intensive ou en plein air, la première production animale au monde avant la chair, le cuir, le lait et les œufs se compose... des déjections ! Les tas de fumier apportent bien de l’azote indispensable aux plantes [note] mais aussi des nitrates (à l’origine des algues vertes), de l’ammoniac (polluant acide de l’air, des sols et des eaux superficielles), du protoxyde d’azote (un gaz à effet de serre – GES). Évidemment leurs nuisances sont proportionnelles à la taille des troupeaux. L’élevage extensif nécessite beaucoup d’espaces : pour éviter le compactage des sols par le piétinement (lequel est un problème, contrairement à ce que dit W. Rosell) et la concentration d’excréments (et des parasites qu’ils contiennent), une rotation est nécessaire, jusqu’au déboisement pour libérer des terres. Aussi étonnant que cela soit, les bovins émettent plus de méthane (GES plus puissant que le CO2) par fermentation entérique quand ils mangent de l’herbe plutôt que le duo soja-maïs ! Les prairies absorbent certes le CO2 mais à hauteur de 20 à 60 % [note] . Elles n’ont au final ni effet positif ni même compensatoire intégral. De fait la contribution globale de l’élevage aux GES s’élève à 14,5 % !
Le pastoralisme est présenté positivement par l’auteur. Mais les travaux du naturaliste Pierre Rigaux montrent que si les troupeaux (dont la transhumance se fait par camion) maintiennent les prairies à l’étage de la forêt, plus haut la flore fragile des pelouses alpines, adaptées aux conditions extrêmes de la haute montage, supporte mal les centaines de milliers de moutons : broutage, piétinement et déjections (lesquelles peuvent souiller les eaux des communes en contrebas). Les biocides antiparasitaires donnés aux ovins et caprins élevés se retrouvent dans la nature. Les brebis, qui représentent une biomasse supérieure de 5 à 10 fois à celle de tous les chamois, bouquetins, mouflons, cerfs, chevreuils…, transmettent des maladies à ces herbivores sauvages. W. Rosell déclare que la réintroduction des oiseaux charognards n’aurait pas été possible sans les troupeaux domestiques. Or, permettre le retour de grands animaux sauvages, dont les cadavres sont la nourriture originelle, aurait été aussi efficace.
L’auteur mène une charge contre les forêts qui ne favoriseraient pas la biodiversité, notamment parce qu’en France elles sont composées à 40 % de résineux. Mais il a dû retirer ses lunettes lui permettant de voir que le capitalisme s’est, comme partout, aussi infiltré dans la gestion des forêts, avec une culture de plus en plus mono-essence, dénoncée d’ailleurs par les agents de l’Office national des forêts. Une vraie forêt, à la végétation multiple, capte davantage de CO2 et est un condensé de biodiversité, d’autant plus quand elle est peuplée d’animaux sauvages. Pourquoi un reboisement ne pourrait-il pas être accompagné par les humains dans une logique de diversification des espèces ? Par ailleurs, le rapport de 2017 de Food Climate Research Network sur les prairies indique que les herbivores sauvages pourraient être une meilleure option que les races domestiques pour la biodiversité !
Étrange bien-être...
On l’a vu, l’élevage et la pêche, même non industriels, loin d’être le cercle vertueux avancé par W. Rosell, posent de multiples problèmes écologiques. Regardons maintenant si la notion de « bien-être » pour les animaux à laquelle se réfère l’auteur est adaptée.
Rappelons que la domestication des animaux et la culture des plantes ont démarré très progressivement au Néolithique, il y a 12 000 ans environ. La consommation de lait non humain remonte à cette période, soit une durée marginale sur les 300 000 ans d’existence de l’Homo sapiens. Auparavant, les animaux sauvages vivaient globalement en abondance, même si déjà certaines espèces ont été menacées par la chasse massive. La domestication les a asservis, sélectionnés et contraints au fil du temps pour satisfaire les intérêts humains. Dans nos sociétés, ces animaux dits « de rente » ont été tellement dégénérés que la plupart ne sauraient vivre à l’état sauvage.
Déjà, en 1901, le géographe anarchiste Elisée Reclus constatait l’ « abâtardissement pour le bœuf, que nous voyons maintenant se mouvoir péniblement dans les prairies, transformé par les éleveurs en énorme masse ambulante aux formes géométriques, comme dessinées d’avance pour le couteau du boucher. Et c’est à produire des monstres pareils que nous appliquons l’expression d’« élevage » ! »
Quel « bien-être animal » ?
Dans certains élevages, on peut concevoir que les animaux mènent une vie correcte. Mais, quelle que soit la filière, industrielle ou bio, quelle que soit la taille de l’exploitation :
- Pour la production laitière, la majorité des veaux, chevreaux et agneaux mâles est retirée à leur mère peu après la naissance et mise à l’engraissement. Or comme chez tous les mammifères, mères et petits ont un lien fort qui peut durer toute leur vie. Est-ce que les séparer respecte leur bien-être ?
- La réalité dans les abattoirs revient au galop : les règles minimales d’étourdissement, voire la réglementation, sont mal respectées. Nombre d’exemples ont déjà été dévoilés. Avant la mort proprement dite, trop d’animaux sont exposés au stress, voire à la terreur, et à de grandes souffrances. Cadences obligent. Logique de profit et économie d’échelle par la production massive dictent leur loi. De plus des employés pas toujours bien formés (la formation coûte au patron) sont amenés à bousculer, frapper certains animaux récalcitrants. Car, oui, les animaux résistent à leur façon ! Il en va des brutalités dans les abattoirs comme des bavures policières : ce ne sont pas des exceptions, des dérapages individuels. Elles sont inhérentes au système, de par son organisation même.
Des éleveurs paysans l’ont compris. Pour parer à ces problèmes, ils revendiquent de petits abattoirs mobiles qui se déplaceraient de fermes en fermes (limitant le stress des animaux durant le transport). Or ce type d’abattoirs est très marginal. Pourquoi ne pas appeler au boycott dans l’attente que la mise à mort soit « correctement » pratiquée (selon leurs critères) ?
- La plupart des animaux sont abattus peu après l’âge adulte. Avec une si courte durée d’existence, même pour ceux avec paille et espace, peut-on dire qu’ils ont « bien vécu » ? Les cochons sont tués à 6 mois alors que leur espérance de vie est de 12 ans. Avec « l’agriculture sortie du capitalisme » les porcs vivront-ils plus longtemps ? Ce qui implique de continuer à les nourrir, les abreuver, les abriter, les soigner, (les câliner ?). Ou alors la loi du plus fort l’emportera-t-elle ?
- Dans les couvoirs où l’on fait naître les futures poules pondeuses, les poussins mâles sont tous abattus à l’âge d’un jour, par gazage ou broyage, n’étant pas taillés pour devenir des poulets de chair.
- Dans la pêche, l’animal est soit attrapé par un hameçon, extrait précipitamment de son milieu, soit asphyxié dans un filet ou sur le pont d’un bateau dans une lente agonie, évidemment sans anesthésie.
Accepter tout ce qui précède et se revendiquer ensuite du bien-être animal n’apparaît-il pas comme une (im)posture ?
Même le micro-élevage, non commercial, chez les particuliers, devrait nous interroger : que penser en effet de la triste vie des lapins détenus dans des clapiers aux cages exiguës ou de l’absence d’étourdissement préalable pour l’abattage des volailles ?
Je le constate trop souvent : ceux et celles qui parlent « bien-être » et « respect » continuent à acheter et manger de la chair issue des élevages et des abattoirs qu’ils dénoncent, révélant la fameuse « dissonance cognitive ».
Mais, fondamentalement, y a-t-il une rupture nette entre l’élevage en plein air et la zootechnie industrielle d’aujourd’hui ? Dans les deux cas, les mâles reproducteurs sont sélectionnés et des mutilations pratiquées (castrations notamment…) par exemple. Déjà, chez les Romains, le gavage et le confinement des volailles avaient cours. Pour l’engraissement, elles pouvaient même être enfermées dans un pot. La contention n’est pas une idée neuve, née avec l’industrialisation. Ce à quoi l’on assiste de nos jours est une massification démesurée et une radicalisation des pratiques !
Mais, malgré sa croissance fulgurante, il ne faudrait pas surestimer l’apport animal dans l’alimentation. Dans le monde, seules 18 % des calories sont apportées par les produits animaux (27 % en Europe, 24 % en Amériques, 16 % en Asie et 9 % en Afrique) [note] . Tant de dégâts environnementaux et tant de souffrances pour si peu ! S’en passer n’est pourtant pas insurmontable.
Le véganisme ne dénonce pas seulement la transformation des animaux en produits alimentaires : l’abolition des courses de chevaux, des combats de coqs, de la chasse à courre et des delphinariums sont aussi revendiqués par exemple, dont on se demande en quoi la biodiversité y perdrait. Nous pouvons avoir ainsi un terrain de lutte commun.
Le regard anarchiste a toujours cherché à être le plus lucide possible. Se présentent devant lui deux questions : comment nourrir une population humaine en expansion sachant que le petit élevage ne peut y répondre que de manière marginale ? Peut-on concilier abattoirs, mutilations inhérentes à toutes formes d’élevage et bien-être animal ?
Le monde que nous propose W. Rosell serait-ce celui fondé sur les seuls bocages et animaux domestiqués ? Sans forêt ?
Luttons ensemble contre l’élevage et l’abattage intensifs. Le boycott est un des moyens. Au delà de la sphère individuelle, c’est la société qu’il faut changer. La vaste question des besoins réels est l’une des plus épineuses à résoudre… Débarrassé du profit capitaliste, on verra comment nous pourrons vivre avec les autres animaux de manière éthique, juste. Agriculture bio végane, permaculture avec jardins en lisière de forêt, sans labour ni monoculture, ainsi que la redécouverte de plantes sauvages comestibles (y compris les feuilles de certains arbres), offrent d’attrayantes perspectives. Le génie humain aura de quoi s’exercer de manière plus pacifique.
Calimera (Groupe René Lochu, Vannes)
PAR : Calimera
Groupe René Lochu, Vannes
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