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par Nestor Potkine • le 3 juillet 2023
Des gentlemen complets
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Article extrait du Monde libertaire n° 1849
Il y a des livres qu’on recommande de lire, mais pas d’acheter.
Moi, Marat, ex-commandant de l’armée Wagner de Marat Gabidullin, en fait partie. Donner de l’argent à un ex-mercenaire, non merci. D’une part, le Groupe Wagner est, on le sait, une armée de mercenaires qui permet au Kremlin d’accomplir tel ou tel acte militaire en prétendant n’en rien savoir. D’autre part, en particulier aujourd’hui en Ukraine, cette entreprise de services militaires, désormais célèbre, permet d’envoyer au casse-pipe des gens dont la mort n’occasionnera en Russie guère de chagrin, et aucune réaction populaire. Surtout, et enfin, elle permet de mettre la main sur des ressources minières, à nouveau sans acte russe officiel. Les bénéfices considérables retirés de ces vols ne garnissent pas que la bourse de Prigojine, le dirigeant du groupe, mais aussi celle de Poutine, le capo di tutti capi de la Russie.
On sait maintenant par exemple que les débuts d’expulsion des Français de plusieurs de leurs « anciennes » colonies africaines a moins à voir avec un honorable désir d’indépendance qu’avec un meilleur pourcentage, pour les dictateurs africains, sur le vol des ressources de ces pays. À la condition que ces vols s’accomplissent sous la protection de Wagner. « Protection » au sens mafieux du terme. En général, 25% des profits des mines partent très officiellement dans la poche de Prigojine, quoique l’on ignore quel pourcentage il reverse à Poutine.
Le retour de cette version nue, évidente, éhontée, sans masque, du capitalisme-gangster (pardon du pléonasme) a déjà de quoi écœurer. Le livre de Marat Gabidullin, publié en russe en 2021 - donc avant l’invasion de l’Ukraine - dévoile toutefois un pas de plus dans l’abjection, de la part de Prigojine comme de celle de Poutine.
Car, en bons capitalistes, ils traitent leur main-d’œuvre le plus mal et, en tout cas, le moins cher possible. Les armes des Wagner s’avèrent de mauvaise qualité, vieilles, mal entretenues. Les matériels modernes sont réservés aux troupes de l’armée régulière (enfin, lorsque les officiers réguliers ne les ont pas revendus…). Les munitions sont également antiques et souvent n’explosent pas, ou explosent trop tôt, ou trop tard. Exactement comme on le voit à présent dans l’agression contre l’Ukraine, les mercenaires servent de chair à canon, premiers à l’attaque, derniers au mess. Mauvais logements, mauvaise nourriture, à moins bien sûr que les mercenaires ne s’invitent chez l’habitant. Gabidullin ne mentionne pas les pires agissements, mais l’on sait que, depuis des millénaires, soldats et mercenaires en résidence temporaire volent, pillent, violent, torturent, incendient et tuent. Il faut bien se détendre un peu. Ces petits plaisirs ne coûtant rien à l’employeur, pourquoi en priver les employés ?
On reste donc coi devant l’ampleur des profits réalisés par le groupe Wagner : pour des salaires dérisoires, moins que des SMIC pour les bidasses, et des salaires à peine un peu plus élevés pour les sous-officiers, et pour des dépenses de matériel réduites au maximum, toucher 25% des profits de mines d’or, de diamants, de métaux rares, voire de sel comme aujourd’hui près de Bakhmut où une énorme mine de sel vient de tomber aux mains des Wagner. La baisse tendancielle du taux de profit, c’était tellement URSS des années 70 ! Non, aujourd’hui, Poutine fait dans le moderne et la croissance.
Quant aux raisons pour lesquelles des êtres humains choisissent de gagner leur vie en anéantissant celle des autres, on ne sera pas surpris du manque de pénétration psychologique de l’auteur. Pris entre le marteau de son ignorance probable, et l’enclume du désir de ne pas montrer sa profession sous son vrai jour, il reste d’une navrante banalité dans ses analyses. On voudrait pourtant comprendre les motivations réelles des mercenaires. Nulle difficulté à pénétrer celles des soldats mobilisés, probablement avant tout la peur d’aller en prison et/ou celle de fuir à l’étranger, en particulier pour les moins éduqués et les plus pauvres. L’adhésion à la propagande gouvernementale joue son rôle. Plus grand certes chez les volontaires, par ailleurs souvent attirés par la discipline militaire qui permet d’éviter de se poser des questions, de faire des choix, de prendre des risques et des responsabilités.
Mais les mercenaires ? Qui décide de devenir un assassin officiel ? Pourquoi ? Pur sadisme ? Inadaptation radicale à la vie civile… et à l’hyper-formalisme des armées officielles ? Échouage après échec ?
Le livre se permet quand même de raconter quelques horreurs. Ce qui suit suffira à montrer qui sont, vraiment, les mercenaires. À l’été 2015, Gabidullin et son unité partent à Louhansk, une ville d’Ukraine à présent bien connue et qui, à l’époque, venait juste de tomber aux mains des miliciens séparatistes pro-russes. Citons ce que Gabidullin découvre à l’hôpital central :
« Le médecin de garde m’a tout de suite expliqué qu’en réalité le service le plus chargé n’était pas la traumatologie, comme on aurait pu s’y attendre si près du front, mais la chirurgie maxillo-faciale.
"Tu crois que ce sont des combattants qui ont reçu une balle ou un éclat dans la mâchoire et qui se requinquent là ? Eh bien, non. Dans tous ces lits, ce sont principalement des femmes, les épouses ou compagnes de nos rebelles. Le mari revient du front de mauvaise humeur, il se bourre la gueule et commence à taper sur tout ce qui bouge. La femme est un être faible, et c’est sur elle qu’il passe sa colère."
J’ai passé une tête dans le service. Il avait dit vrai. Les chambres étaient pleines de femmes, avec des attelles aux mâchoires et des pansements couvrant les blessures. »
Nestor Potkine
dont le pseudonyme célèbre l’Ukrainien Nestor Makhno et le Russe Pierre Kropotkine.
Moi, Marat, ex-commandant de l’armée Wagner de Marat Gabidullin, en fait partie. Donner de l’argent à un ex-mercenaire, non merci. D’une part, le Groupe Wagner est, on le sait, une armée de mercenaires qui permet au Kremlin d’accomplir tel ou tel acte militaire en prétendant n’en rien savoir. D’autre part, en particulier aujourd’hui en Ukraine, cette entreprise de services militaires, désormais célèbre, permet d’envoyer au casse-pipe des gens dont la mort n’occasionnera en Russie guère de chagrin, et aucune réaction populaire. Surtout, et enfin, elle permet de mettre la main sur des ressources minières, à nouveau sans acte russe officiel. Les bénéfices considérables retirés de ces vols ne garnissent pas que la bourse de Prigojine, le dirigeant du groupe, mais aussi celle de Poutine, le capo di tutti capi de la Russie.
On sait maintenant par exemple que les débuts d’expulsion des Français de plusieurs de leurs « anciennes » colonies africaines a moins à voir avec un honorable désir d’indépendance qu’avec un meilleur pourcentage, pour les dictateurs africains, sur le vol des ressources de ces pays. À la condition que ces vols s’accomplissent sous la protection de Wagner. « Protection » au sens mafieux du terme. En général, 25% des profits des mines partent très officiellement dans la poche de Prigojine, quoique l’on ignore quel pourcentage il reverse à Poutine.
Le retour de cette version nue, évidente, éhontée, sans masque, du capitalisme-gangster (pardon du pléonasme) a déjà de quoi écœurer. Le livre de Marat Gabidullin, publié en russe en 2021 - donc avant l’invasion de l’Ukraine - dévoile toutefois un pas de plus dans l’abjection, de la part de Prigojine comme de celle de Poutine.
Car, en bons capitalistes, ils traitent leur main-d’œuvre le plus mal et, en tout cas, le moins cher possible. Les armes des Wagner s’avèrent de mauvaise qualité, vieilles, mal entretenues. Les matériels modernes sont réservés aux troupes de l’armée régulière (enfin, lorsque les officiers réguliers ne les ont pas revendus…). Les munitions sont également antiques et souvent n’explosent pas, ou explosent trop tôt, ou trop tard. Exactement comme on le voit à présent dans l’agression contre l’Ukraine, les mercenaires servent de chair à canon, premiers à l’attaque, derniers au mess. Mauvais logements, mauvaise nourriture, à moins bien sûr que les mercenaires ne s’invitent chez l’habitant. Gabidullin ne mentionne pas les pires agissements, mais l’on sait que, depuis des millénaires, soldats et mercenaires en résidence temporaire volent, pillent, violent, torturent, incendient et tuent. Il faut bien se détendre un peu. Ces petits plaisirs ne coûtant rien à l’employeur, pourquoi en priver les employés ?
On reste donc coi devant l’ampleur des profits réalisés par le groupe Wagner : pour des salaires dérisoires, moins que des SMIC pour les bidasses, et des salaires à peine un peu plus élevés pour les sous-officiers, et pour des dépenses de matériel réduites au maximum, toucher 25% des profits de mines d’or, de diamants, de métaux rares, voire de sel comme aujourd’hui près de Bakhmut où une énorme mine de sel vient de tomber aux mains des Wagner. La baisse tendancielle du taux de profit, c’était tellement URSS des années 70 ! Non, aujourd’hui, Poutine fait dans le moderne et la croissance.
Quant aux raisons pour lesquelles des êtres humains choisissent de gagner leur vie en anéantissant celle des autres, on ne sera pas surpris du manque de pénétration psychologique de l’auteur. Pris entre le marteau de son ignorance probable, et l’enclume du désir de ne pas montrer sa profession sous son vrai jour, il reste d’une navrante banalité dans ses analyses. On voudrait pourtant comprendre les motivations réelles des mercenaires. Nulle difficulté à pénétrer celles des soldats mobilisés, probablement avant tout la peur d’aller en prison et/ou celle de fuir à l’étranger, en particulier pour les moins éduqués et les plus pauvres. L’adhésion à la propagande gouvernementale joue son rôle. Plus grand certes chez les volontaires, par ailleurs souvent attirés par la discipline militaire qui permet d’éviter de se poser des questions, de faire des choix, de prendre des risques et des responsabilités.
Mais les mercenaires ? Qui décide de devenir un assassin officiel ? Pourquoi ? Pur sadisme ? Inadaptation radicale à la vie civile… et à l’hyper-formalisme des armées officielles ? Échouage après échec ?
Le livre se permet quand même de raconter quelques horreurs. Ce qui suit suffira à montrer qui sont, vraiment, les mercenaires. À l’été 2015, Gabidullin et son unité partent à Louhansk, une ville d’Ukraine à présent bien connue et qui, à l’époque, venait juste de tomber aux mains des miliciens séparatistes pro-russes. Citons ce que Gabidullin découvre à l’hôpital central :
« Le médecin de garde m’a tout de suite expliqué qu’en réalité le service le plus chargé n’était pas la traumatologie, comme on aurait pu s’y attendre si près du front, mais la chirurgie maxillo-faciale.
"Tu crois que ce sont des combattants qui ont reçu une balle ou un éclat dans la mâchoire et qui se requinquent là ? Eh bien, non. Dans tous ces lits, ce sont principalement des femmes, les épouses ou compagnes de nos rebelles. Le mari revient du front de mauvaise humeur, il se bourre la gueule et commence à taper sur tout ce qui bouge. La femme est un être faible, et c’est sur elle qu’il passe sa colère."
J’ai passé une tête dans le service. Il avait dit vrai. Les chambres étaient pleines de femmes, avec des attelles aux mâchoires et des pansements couvrant les blessures. »
Nestor Potkine
dont le pseudonyme célèbre l’Ukrainien Nestor Makhno et le Russe Pierre Kropotkine.
PAR : Nestor Potkine
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