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Théories politiques
par S. F. • le 15 juin 2020
Déconfinement intellectuel avec Murray Bookchin
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Je me lève. Murray Bookchin est à côté de mon bureau. Tout juste le temps de tomber un café qu’il embraye. Sa pensée, théorisée à partir du milieu des années 60 aux Etats-Unis, trouve un écho surprenant dans la France covidée de 2020. Bruno Le Maire tente de vendre son « nouveau capitalisme qui soit plus respectueux des personnes, (…) de l’environnement ». Contraindre le capitalisme ? Autant persuader « un être humain de cesser de respirer » rétorque le pionnier de l’écologie sociale. L’économie de marché se définit par la production pour la production. La machine doit tourner pour tourner. Sans fin. L’élément produit ? C’est le problème des agences de pub qui doivent créer un besoin factice. Le but ? Le profit. Nous vivons dans « une société de marché du croître ou mourir », selon ses termes. Ainsi « l’exigence d’un contrôle de la croissance est absurde autant qu’illusoire ». Cela nuit autant à l’environnement, qu’à l’homme. On se retrouve donc avec des Ronan Bolé, président d’Amazon France Logistique, plus préoccupés par des points de croissance que par la santé des salariés. Cela avec la bénédiction du gouvernement[note]. Le train-train tristement banal de l’économie de marché mêlé à la verve du militant écologique et voilà l’eldorado capitaliste du ministre de l’Économie balayé en deux temps, trois mouvements.
Nous sommes légion à associer le capitalisme à un fléau. Mais, concrètement… On fait quoi ?! On revoit les fondements de notre société répond du tac au tac Murray Bookchin. L’économie de marché se définit par une compétition sauvage. Il suffit de constater la foire d’empoigne internationale sur les tarmacs asiatiques pour s’approprier du matériel médical à grands coups de surenchères pour s’en rendre compte. Intériorisant plus ou moins consciemment cette concurrence, l’homme a créé des déséquilibres d’ordre dominant/dominé jusque dans les sphères du privé. L’auteur de The Ecology of Freedom (1982) cite pêle-mêle la hiérarchie, l’exploitation des salariés ou encore le patriarcat. La volonté de dominer la nature n’est qu’une suite logique. Attaché à la question environnementale, Murray Bookchin est l’un des premiers à avoir intégré l’écologie au discours révolutionnaire. Il partage ainsi plusieurs idées avec les partisans de la décroissance. Il me confie qu’en rééquilibrant nos rapports, nous créerons un nouveau lien avec la nature. Et ce, sans passer par un abandon de toute forme de technologie, ni en contrôlant les taux de fécondité.
Pour y parvenir, cet adepte de la démocratie directe athénienne présente un programme similaire aux institutions zapatistes du Chiapas et kurdes du Rojava. Le municipalisme libertaire (puis communalisme dès 1999) est un système décentralisé à deux niveaux, basé sur des communes autonomes regroupées en confédérations. Elles sont dotées d’assemblées citoyennes dont les délégués, révocables, exécutent les tâches votées. Les représentants de plusieurs municipalités se réunissent en assemblées populaires fédérales afin de gérer les cas nécessitant un recul plus important. Le lien décisionnel avec la base municipale étant conservé. Il est notamment question de propriété communale des moyens de production, d’entraide, de gestion locale de la distribution des ressources et des affaires publiques. Aux antipodes de notre société qui confère au citoyen le triple rôle de contribuable-électeur-consommateur.
Je consulte Twitter. Nombre de militants espèrent, une fois la crise derrière nous, qu’un mouvement populaire mettra un terme à nos institutions vieillissantes et dépassées. On fait tout péter ? Pas vraiment. Celui qui fut tour à tour proche des pensées marxiste et anarchiste prévoit une prise de pouvoir légitimée par les élections municipales. En bref, prendre une mairie, y remplacer les décideurs par une assemblée populaire et se fédérer avec d’autres communes ayant suivi un itinéraire analogue. Prouver que le système fonctionne dans le cadre d’une société complexe et dissoudre progressivement le pouvoir.
Je bois ses paroles. Il tient toutefois à tempérer. De nombreuses critiques lui ont été faites : système trop structuré, trop lent et n’offrant pas d’assurance pour un renouveau écologique, refus de révolution armée, abandon du syndicalisme comme outil de lutte contre le capitalisme… Murray Bookchin était, semble-t-il, en avance sur son temps.
Si ses idées n’ont pas reçu l’écho mérité dans la seconde moitié du XXe siècle, elles ont largement inspiré les zapatistes, les Kurdes du nord de la Syrie et, dans une moindre mesure, des militants de Notre-Dame-des-Landes. A l’échelle individuelle, sa pensée permet d’appréhender une réalité très actuelle de manière plus pertinente.
S. F.
[1] Murray Bookchin & l’écologie sociale libertaire, Vincent Gerber et Floréal Romero, Editions le passager clandestin. 2019.
[2] https://twitter.com/cgthsm/status/1245996837527486465?s=20
PAR : S. F.
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