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Cinéma
par Christiane Passevant le 11 avril 2016

Contre-pouvoirs

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Film documentaire de Malek Bensmaïl

Documentariste depuis presque trois décennies, Malek Bensmaïl questionne cette fois la pensée journalistique et la résistance d’une presse indépendante dans une Algérie dominée par un président fantomatique et un cabinet ministériel sans programme, sinon de banaliser un système basé sur le profit, la corruption et les réseaux. Contre-pouvoirs s’inscrit dans une suite d’études documentaires sur l’Algérie que le réalisateur poursuit depuis ses débuts de cinéaste engagé.





Après, entre autres documentaires de création, Aliénations, en 2004, La Chine est encore loin, en 2008, Malek Bensmaïl réalise Contre-pouvoirs sur un sujet brûlant : la presse indépendante algérienne. Il plante alors sa caméra au sein de la rédaction du quotidien El Watan, et pour cela il choisit une période complexe et étonnante, celle de la campagne électorale de 2014 au cours de laquelle le président Bouteflika a brigué un quatrième mandat.





La campagne électorale se déroule avec une communication anachronique, c’est-à-dire sans débat… « Cette campagne, c’est irréaliste, inimaginable ! » lance un journaliste. En effet, durant cette campagne électorale où il n’existe ni chiffrage, ni programme, ni discours, ni présence présidentielle, sinon en affiche, il y a Abdelaziz Bouteflika, président sortant caricatural, qui déclare « Je suis l’Algérie ». Face à lui, un opposant, Ali Benflis a une feuille de route, critique la corruption et le clientélisme… Mais « l’oligarchie a acheté tout le monde » remarque une journaliste, alors qu’est-ce qui reste ? Le cannabis ? « Attention, on a des contrefaçons », ajoute un autre. En attendant, 65 % des Algériens et des Algériennes, sans illusions, boycottent les élections, mais il n’y a pas pour autant de mouvement politique considérable. Seulement 5 % de la population bouge, c’est la faillite des partis politiques. La décennie meurtrière semble avoir cassé le réflexe politique.





Devant cette mascarade où les dés sont à l’avance pipés ouvertement, les journalistes, confrontés à la situation ubuesque des élections de 2014, s’interrogent sur leur fonction et sur leur travail : quelle information donner et quelles analyses politiques publier ? Enfin, quel est le rôle et l’impact de la presse ? Découragement, discussions, analyses critiques sur une société sclérosée, doutes, ironie mordante, autocritiques, contradictions, boutades sur la mafia au pouvoir, échanges et réflexions au cœur de la rédaction et de la fabrication du journal. De toutes ces réactions à chaud, Contre-pouvoirs s’en fait un écho remarquable.





Dehors, c’est la répression contre ceux et celles qui revendiquent — « les flics te plaquent au sol comme la police israélienne ! » — les manifs, les banderoles — « Pouvoir assassin », « cette candidature est une violence » —, et la campagne vire bientôt au cauchemar. Au journal, les Unes prennent position — « Bouteflika, l’homme de la division » —, pour finalement publier, après le résultat qui donne 80 % des voix au président invisible — « Bouteflika élu dans un fauteuil » —, avec son image dans un fauteuil roulant. « Un score à la soviétique ! », lance un journaliste, « non à l’Algérienne ! » lui rétorque un autre.

Chronique du quotidien algérien, El Watan — ou comment les journalistes se donnent les moyens d’une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir et malgré les pressions d’un système verrouillé — Contre-pouvoirs est un documentaire de création qui porte une réflexion passionnante et universelle sur le journalisme aujourd’hui.

« Le film est dédié aux 120 journalistes algériens assassinés durant la décennie noire », et il est également un regard sans concession sur l’Algérie actuelle en même temps qu’il témoigne de l’histoire contemporaine algérienne.





Contre-pouvoirs de Malek Bensmaïl est sur les écrans depuis le 27 janvier et continue de tourner. À ne pas manquer.
PAR : Christiane Passevant
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