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Cinéma
par Mireille Mercier et Daniel Pinós • le 5 février 2023
Cinéma espagnol : El Agua
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El agua (L’eau) nous entraîne dans un village du Levant, au cœur d’une famille composée de femmes où les hommes sont absents. C’est l’été, les jeunes, sans ressources, doivent travailler en usine ou sur les terres agricoles pour subvenir à leurs besoins au lieu de profiter de leurs vacances.
L’histoire est entrecoupée de courtes interviews de femmes du village dans lesquelles elles racontent la légende d’une mariée emportée par l’eau. L’eau, en l’occurrence la rivière, est tombée amoureuse de quelques jeunes femmes du village. Lorsque cela s’est produit, l’eau les a entraînées avec elle. Entre ce mélange de réalité et de fiction, le spectateur est confronté au combat intérieur d’une jeune fille qui vient de quitter l’enfance pour entrer dans l’âge adulte.
La région espagnole du Levante entretient une relation complexe avec l’eau. Les habitants vivent dans la crainte de sécheresses redoutées et sont conditionnés dans leurs activités agricoles par les détournements de rivière afin d’irriguer leurs terres. En revanche, lorsqu’il pleut et que la gota fria (la goutte froide) arrive, l’eau devient le pire ennemi des villageois. L’eau apporte le chaos, la destruction, et même la mort. Dans une région aussi marquée par cette dichotomie, il est normal que même les légendes tournent autour de la rivière Orihuela.
L’histoire d’une adolescente qui veut fuir son village
El agua est le premier film d’Elena López Riera. Après avoir réalisé plusieurs courts-métrages, elle a voulu à cette occasion montrer une vision très personnelle sur l’adolescence. Le film a été entièrement tourné à Orihuela, le village natal d’Elena López Riera. Le film est le prétexte pour raconter l’histoire d’une jeune adolescente qui veut fuir son village et ne pas finir comme sa mère, une vieille fille isolée qui apporte le malheur. Il n’y a pas d’avenir pour Ana à Orihuela.
El agua est, avant tout, un regard singulier sur la campagne et les gens qui la peuplent, sans paternalisme ni diabolisation. C’était la vision d’Elena López Riera, la réalisatrice, lorsqu’elle a décidé de quitter Orihuela pour faire des films. Comme elle l’a déclaré à de nombreuses reprises, elle a voulu montrer la manière dont les femmes de sa famille et ses voisins ont transmis ces histoires de génération en génération. Des histoires dans lesquelles réalité et fiction se sont mélangées, donnant lieu à un réalisme fantastique qu’elle a très bien rendu dans son film.
Il y a surtout dans El agua un portrait contre le machisme hérité et ancré. Un machisme qui se transmet à travers des légendes qui font peur aux jeunes femmes pour qu’elles ne partent pas, pour qu’elles soient dociles, parce que « le monde est macho, et les légendes aussi ». « Des mythologies sont créées. Regardez l’engouement que suscite à nouveau l’horoscope. Les mythologies répondent au besoin de cristalliser beaucoup de choses que la société veut maintenir, comme les rôles, et un moyen très efficace d’y parvenir est de recourir aux légendes. Il y a les contes populaires. Pensez au Petit Chaperon rouge, qui dit de ne pas sortir la nuit ou le loup vous mangera. Ce n’est pas un hasard s’ils se focalisent sur le corps des femmes pour les réprimer, ou sur leurs désirs, pour qu’elles ne sortent pas seules. C’est un reflet de la société », explique Elena López Riera.
Il s’agit d’un film à la photographie très soignée et qui présente tous les lieux avec une grande sensibilité. Parce que c’est le village natal de la réalisatrice et le territoire de ses propres expériences. L’intrigue montre le quotidien d’Ana, l’adolescente rebelle, le décor où elle évolue sont le café appartenant à sa mère et à sa grand-mère, l’usine, l’exploitation agricole où travaille José, son petit ami, des lieux associés à la classe ouvrière et aux classes sociales démunis.
On ne peut manquer de souligner la qualité des prestations des acteurs, notamment celle de la jeune Luna Pamiés, l’une des grandes promesses du cinéma espagnol, dans le rôle d’Ana. La partie la plus difficile de ce film a été le casting, nous dit la réalisatrice, un long travail qui a duré un an et demi. Elle a voulu être aussi proche de la réalité que possible, c’est pourquoi la plupart des acteurs ne sont pas des professionnels, à l’exception des actrices qui jouent la mère et la grand-mère d’Ana : la magnifique Bárbara Lennie et Nieve de Medina. L’objectif pour la réalisatrice était de coller à la réalité. Un pari réussi, autant Luna Pamiés, l’actrice principale, que les jeunes qui l’accompagnent transmettent une proximité et une spontanéité, très difficile à obtenir à l’écran.
Le film El agua nous emmène dans un espace où deux réalités coexistent : les mythes anciens et la modernité. Et la réalisatrice parvient à entremêler les deux mondes sans perdre l’essence de l’un ou de l’autre.
El agua a été nominé en Espagne pour les prix Goya du meilleur réalisateur et de la meilleure actrice et présenté en première à Cannes en 2022, dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs où le film a conquis le Festival.
Le film sortira dans les salles le 1er mars.
Mireille Mercier et Daniel Pinós
Un strapontin pour eux
PAR : Mireille Mercier et Daniel Pinós
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