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Les articles du ML papier
par Nestor Potkine • le 31 mai 2022
Cages à lapins et poubelles à pécune.
Lien permanent : https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=6531
Article extrait du monde libertaire n° 1838 d’avril 2022
Icebergs, Zombies and the Ultra-Thin, architecture and capitalism in the 21st century est le titre d’un livre magnifiquement écrit et brillamment pensé par Matthew Soules [note] .
Les Londoniens surnomment « icebergs » ces résidences des mégariches qui, bloqués par les règles d’urbanisme leur interdisant de transformer leurs hôtels particuliers victoriens en gratte-ciels à 72 étages, tournent à 180° et se creusent des piscines, des salles de bal, des caves à champagne, des salles de cinéma, des gymnases sur un, deux, trois sous-sols [note]. Tant, d’ailleurs, que des maisons voisines risquent de s’effondrer.
Les « zombies » ? Allez avenue Foch à Paris, à midi en avril. Comptez les fenêtres aux volets fermés et celles aux volets ouverts : entre un quart et un tiers des appartements de l’avenue Foch sont inoccupés par leurs richissimes propriétaires [note] . Ces logements ni morts (ils sont entretenus, fonctionnels et utilisables à tout moment), ni vivants (peut-on appeler un logement habité huit jours par an « vivant » ?), comme les zombies, encombrent bien plus de grandes villes que l’on ne croit.
Il y a encore plus mort, les « ghost cities » les « villes-fantômes » que l’on connaissait des USA du XIXe siècle et de leurs ruées vers l’or. Mais, en particulier en Chine où à présent plus de 171 municipalités comptent plus d’un million d’habitants, des villes entières méritent ce nom : même dans ce monde délirant de la finance où tant de monde crée tant de monnaie, il existe des limites à la crédulité et au culot. Une fois ces limites atteintes, les participants les plus fous, les moins prudents font faillite, avec pour résultat des villes entières mort-nées, Ordos Kangbashi, Chenggong, Xinyang, où se dressent des milliers, voire des dizaines de milliers, de logements vides [note] , des centaines de barres où passe le vent : la Chine utilise 40% du ciment et de l’acier mondial, mais pour quoi faire ?« [note]
Quand aux « Ultra-Fins », il s’agit de gratte-ciels comme le « 432 Park Avenue [note] » (Park Avenue est l’avenue Foch de New York, en beaucoup, beaucoup, beaucoup plus cher) de Manhattan. À la base un carré de 28 m de côté. Puis une tour de… 426 mètres de haut, deux fois la Tour Montparnasse !
Belle, au moins ? Oh que non. Rafael Viñoly, le bousilleur d’espace, impossible d’appeler ça « un architecte », responsable de cette seringue a avoué avoir été inspiré par une corbeille à papier [note] de l’architecte viennois Josef Hoffmann pour l’aspect de son étron de béton : des carrés empilés les uns sur les autres. Des fenêtres de 3m x 3m, toutes rigoureusement identiques. Rien d’autre. On comprend l’idée : le mètre carré au sol, à New York et ailleurs, coûte si cher qu’il faut grimper le plus haut possible pour maximiser le retour sur investissement. Très maximisé à « 432 », parce que le mètre carré d’appartement y a été vendu à, en moyenne, 55 000 euros. À 13 000 euros de moyenne, l’avenue Foch joue petit bras.
On découvre d’autres monstruosités dans ce livre, comme les « exurban investment mats » les « tapis d’investissement exurbains », qui ont ravagé la Costa Brava, et défiguré bien des paysages castillans, portugais, irlandais, mexicains, etc. : des zones pavillonnaires immenses, qui comptent parfois des centaines et des centaines de pavillons absolument identiques, économies d’échelle obligent, à bonne distance des grandes villes, donc là où le terrain ne coûte pas cher, et souvent sans les moindres équipements collectifs, cliniques, écoles, salles de sports, voire commerces.
Le point commun de ces crimes contre l’environnement et contre la vie bonne ?
La nécessité de fourrer quelque part les énormes profits du capitalisme. Et la vanité, la consommation ostentatoire, la diversification de l’investissement, le désir de ne pas se mélanger aux pue-la-sueur…
Énormes profits ? Souvenons-nous que la valeur totale de tous les billets et pièces de monnaie de tous les pays du monde entier se monte à 7,9 trillions de dollars. Un trillion égale mille milliards… dix puissance douze. Que la valeur de tout l’or connu dans le monde est de 7,7 trillions de dollars. Que le PIB de la France atteint 2,4 trillions d’euros. Mais que la quantité totale de toutes les dettes connues sur la planète est de… 215 trillions de dollars.
Et que la valeur totale, estimée, des « derivatives », ces drôles de produits financiers [note] , serait de 1,2 quadrillion de dollars.
Un quadrillion c’est mille trillions et ça s’écrit comme ça :1 000 000 000 000 000.
Donc, énormes profits. D’une ampleur tellement colossale qu’en réalité il y a infiniment plus d’argent sur terre qu’il n’y a de choses à acheter.
Or les riches savent quelque chose que les pue-la-sueur ne savent pas : comme Dieu, l’argent est un rien qui peut tout. Dieu n’existe pas, mais les croyants croient qu’il peut tout. Et l’argent ? L’argent n’est qu’un rapport social, qu’une convention entre les humains selon laquelle un disque de métal ou un rectangle de papier ou quelques impulsions électro-magnétiques peuvent s’échanger contre un steak saignant. L’argent, comme les promesses, n’existe que pour ceux qui y croient. Coup de chance pour les riches, tout le monde y croit. Mais tout de même, les riches savent que de temps en temps, la foi (pécuniaire) prend de rudes coups. Un hôtel particulier, un gratte-ciel, une zone pavillonnaire, ça, c’est plus solide que la foi. Comme les riches sont de plus en plus riches, ils veulent de plus en plus de solide. Avec une vue imprenable sur Central Park. Pas de voisins de paliers. Pas de bruit et pas d’odeurs, comme disait Jacques Chirac. Le moins de contact humain possible. Le contact humain est désagréable s’il vous met en présence des pue-la-sueur, mais, même s’il ne vous fait rencontrer que vos pairs, il rend plus difficile l’illusion du pouvoir, de l’élévation, de l’immortalité. Les tours des cathédrales donnaient l’illusion que Dieu était accessible. Les totems de Central Park révèlent, clament, la vraie nature de l’architecture capitaliste : l’argent qui se prend pour Dieu.
Nestor Potkine
Millionaire Basement Wars, documentaire de la BBC, 2015
La Ville de Paris avance le chiffre de 17% de logements inoccupés pour l’ensemble de la ville.
Sur les villes fantômes en Chine.
432 Park Avenue
Sur les drôles de produits financiers
Les Londoniens surnomment « icebergs » ces résidences des mégariches qui, bloqués par les règles d’urbanisme leur interdisant de transformer leurs hôtels particuliers victoriens en gratte-ciels à 72 étages, tournent à 180° et se creusent des piscines, des salles de bal, des caves à champagne, des salles de cinéma, des gymnases sur un, deux, trois sous-sols [note]. Tant, d’ailleurs, que des maisons voisines risquent de s’effondrer.
Les « zombies » ? Allez avenue Foch à Paris, à midi en avril. Comptez les fenêtres aux volets fermés et celles aux volets ouverts : entre un quart et un tiers des appartements de l’avenue Foch sont inoccupés par leurs richissimes propriétaires [note] . Ces logements ni morts (ils sont entretenus, fonctionnels et utilisables à tout moment), ni vivants (peut-on appeler un logement habité huit jours par an « vivant » ?), comme les zombies, encombrent bien plus de grandes villes que l’on ne croit.
Il y a encore plus mort, les « ghost cities » les « villes-fantômes » que l’on connaissait des USA du XIXe siècle et de leurs ruées vers l’or. Mais, en particulier en Chine où à présent plus de 171 municipalités comptent plus d’un million d’habitants, des villes entières méritent ce nom : même dans ce monde délirant de la finance où tant de monde crée tant de monnaie, il existe des limites à la crédulité et au culot. Une fois ces limites atteintes, les participants les plus fous, les moins prudents font faillite, avec pour résultat des villes entières mort-nées, Ordos Kangbashi, Chenggong, Xinyang, où se dressent des milliers, voire des dizaines de milliers, de logements vides [note] , des centaines de barres où passe le vent : la Chine utilise 40% du ciment et de l’acier mondial, mais pour quoi faire ?« [note]
Quand aux « Ultra-Fins », il s’agit de gratte-ciels comme le « 432 Park Avenue [note] » (Park Avenue est l’avenue Foch de New York, en beaucoup, beaucoup, beaucoup plus cher) de Manhattan. À la base un carré de 28 m de côté. Puis une tour de… 426 mètres de haut, deux fois la Tour Montparnasse !
Belle, au moins ? Oh que non. Rafael Viñoly, le bousilleur d’espace, impossible d’appeler ça « un architecte », responsable de cette seringue a avoué avoir été inspiré par une corbeille à papier [note] de l’architecte viennois Josef Hoffmann pour l’aspect de son étron de béton : des carrés empilés les uns sur les autres. Des fenêtres de 3m x 3m, toutes rigoureusement identiques. Rien d’autre. On comprend l’idée : le mètre carré au sol, à New York et ailleurs, coûte si cher qu’il faut grimper le plus haut possible pour maximiser le retour sur investissement. Très maximisé à « 432 », parce que le mètre carré d’appartement y a été vendu à, en moyenne, 55 000 euros. À 13 000 euros de moyenne, l’avenue Foch joue petit bras.
On découvre d’autres monstruosités dans ce livre, comme les « exurban investment mats » les « tapis d’investissement exurbains », qui ont ravagé la Costa Brava, et défiguré bien des paysages castillans, portugais, irlandais, mexicains, etc. : des zones pavillonnaires immenses, qui comptent parfois des centaines et des centaines de pavillons absolument identiques, économies d’échelle obligent, à bonne distance des grandes villes, donc là où le terrain ne coûte pas cher, et souvent sans les moindres équipements collectifs, cliniques, écoles, salles de sports, voire commerces.
Le point commun de ces crimes contre l’environnement et contre la vie bonne ?
La nécessité de fourrer quelque part les énormes profits du capitalisme. Et la vanité, la consommation ostentatoire, la diversification de l’investissement, le désir de ne pas se mélanger aux pue-la-sueur…
Énormes profits ? Souvenons-nous que la valeur totale de tous les billets et pièces de monnaie de tous les pays du monde entier se monte à 7,9 trillions de dollars. Un trillion égale mille milliards… dix puissance douze. Que la valeur de tout l’or connu dans le monde est de 7,7 trillions de dollars. Que le PIB de la France atteint 2,4 trillions d’euros. Mais que la quantité totale de toutes les dettes connues sur la planète est de… 215 trillions de dollars.
Et que la valeur totale, estimée, des « derivatives », ces drôles de produits financiers [note] , serait de 1,2 quadrillion de dollars.
Un quadrillion c’est mille trillions et ça s’écrit comme ça :1 000 000 000 000 000.
Donc, énormes profits. D’une ampleur tellement colossale qu’en réalité il y a infiniment plus d’argent sur terre qu’il n’y a de choses à acheter.
Or les riches savent quelque chose que les pue-la-sueur ne savent pas : comme Dieu, l’argent est un rien qui peut tout. Dieu n’existe pas, mais les croyants croient qu’il peut tout. Et l’argent ? L’argent n’est qu’un rapport social, qu’une convention entre les humains selon laquelle un disque de métal ou un rectangle de papier ou quelques impulsions électro-magnétiques peuvent s’échanger contre un steak saignant. L’argent, comme les promesses, n’existe que pour ceux qui y croient. Coup de chance pour les riches, tout le monde y croit. Mais tout de même, les riches savent que de temps en temps, la foi (pécuniaire) prend de rudes coups. Un hôtel particulier, un gratte-ciel, une zone pavillonnaire, ça, c’est plus solide que la foi. Comme les riches sont de plus en plus riches, ils veulent de plus en plus de solide. Avec une vue imprenable sur Central Park. Pas de voisins de paliers. Pas de bruit et pas d’odeurs, comme disait Jacques Chirac. Le moins de contact humain possible. Le contact humain est désagréable s’il vous met en présence des pue-la-sueur, mais, même s’il ne vous fait rencontrer que vos pairs, il rend plus difficile l’illusion du pouvoir, de l’élévation, de l’immortalité. Les tours des cathédrales donnaient l’illusion que Dieu était accessible. Les totems de Central Park révèlent, clament, la vraie nature de l’architecture capitaliste : l’argent qui se prend pour Dieu.
Nestor Potkine
Millionaire Basement Wars, documentaire de la BBC, 2015
La Ville de Paris avance le chiffre de 17% de logements inoccupés pour l’ensemble de la ville.
Sur les villes fantômes en Chine.
432 Park Avenue
Sur les drôles de produits financiers
PAR : Nestor Potkine
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