Brésil : Retour à la caserne
(traduction René Berthier)
Comme si les contradictions de la très fragile démocratie bourgeoise libérale du Brésil, depuis la transition d’un gouvernement militaire à un gouvernement civil, dans ce que nous appelons la "nouvelle République", ne suffisaient plus, le processus aigu de militarisation de l’État et de la société civile brésilienne avance à grandes pas. Depuis la seconde moitié des années 1980, l’ordre politique établi au Brésil à partir de la charte constitutionnelle de 1988 a imposé certaines contraintes juridiques aux forces armées pour qu’elles agissent dans le paysage politique du pays. Malgré cela, les opportunités n’ont pas manqué aux gouvernements élus par le vote populaire d’avoir recours à ces mêmes forces pour agir dans le domaine de la sécurité publique dans les États brésiliens, largement soumis au trafic de drogue et au modèle avorté de "guerre contre la drogue", au cycle d’interventions violentres dans les quartiers pauvres des grands centres urbains du pays.
L’usage politique des forces de sécurité fédérales a toujours été l’objectif de tous les gouvernements brésiliens depuis la prétendue "ouverture" politique de l’avant-dernière décennie du siècle dernier. Des événements tels que la grève des travailleurs de la Companhia Siderúrgica Nacional (CSN) en 1988 et la très violente répression subie par les Métallos – comme le Massacre de Volta Redonda – ; le mouvement national de 1995 visant à paralyser les employés de Petrobrás dont l’un des principaux objectifs était d’empêcher la privatisation de Petrobrás, en application des ordonnances néolibérales du gouvernement Fernando Henrique Cardoso ; et plus récemment la paralysie des camions dans le pays (un mélange de grève des chauffeurs routiers autonomes et de lock-out) alimentée par la politique libérale perverse de prix du carburant, en vigueur dans le pays depuis la prise du pouvoir par le gouvernement Michel Temer : tous ces événements ont été clairement marqués par le recours à l’appareil répressif de l’État brésilien, illustrant comment le recours aux militaires a toujours été utilisé pour résoudre les conflits de classes au Brésil.
Cela illustre comment le recours aux militaires a toujours été utilisé pour résoudre les conflits de classes au Brésil. Au cours de la présente décennie, la période qui a précédé les grands événements du pays (la Coupe du monde de football de 2014 et les Jeux olympiques de Rio de Janeiro en 2016) a été marquée par d’importantes manifestations populaires contre le coût très élevé de ces événements et mettant l’accent sur le processus de gentrification [De l’anglais "gentry". Dans une traduction libre, la réévaluation des zones dégradées de la ville qui, par le biais d’opérations public-privé (utilisant une grande quantité de ressources de l’État), a encouragé des interventions et des déplacements importants de communautés d’origine établies il y a plusieurs décennies dans certaines régions de villes comme Rio de Janeiro. Le meilleur et le plus tragique exemple d’enlèvement a été la communauté de «Vila Autódromo», un ancien village de pêcheurs qui a résisté autant que possible aux politiques d’enlèvement violent menées par la ville de Rio de Janeiro.] et la spéculation immobilière élevée dans plusieurs zones des centres urbains où eurent lieu ces événements sportifs.
En 2014, afin de statuer sur la possibilité de manifestations populaires semblables à celles de l’année précédente, le gouvernement Dilma Roussef (Parti des travailleurs) – une sorte de version "soft" du modèle néolibéral en vigueur depuis la décennie précédente – fit "cadeau" à la société civile de l’institution du GLO (Garantie de la loi et de l’ordre). Des attitudes comme celle-ci montrent que le PT, à travers ses gouvernements, a abandonné son projet politique, qualifié de "démocrate populaire" : cours des années qui ont précédé et marqué les gouvernements Lula et Dilma, ils sont devenus de moins en moins populaires et démocratiques.
Ainsi, l’instrument juridique et policier prévu par une interprétation plus large de la Constitution de 1988 permettrait en pratique l’intervention et la militarisation de zones où ont lieu des conflits et des protestations populaires contre toute mesure antipopulaire prise par le gouvernement fédéral. La "boîte à pandore" est ouverte dans les casernes brésiliennes. Les forces armées, en particulier les forces fédérales (marine, armée de terre, aéronautique et forces de sécurité nationales [Appareil répressif créé en 2004 par le gouvernement Lula da Silva (2003-2010) et constitué de policiers et pompiers militaires désignés par les services de sécurité publique de l’État.] ) se voyaient ouvrir les portes ouvertes et offrit toute la garantie légale afin d’agir en tant que pouvoir de police, ce qui est interdit par l’ordre constitutionnel actuel. En bref, cette maxime est vraie, qui dit qu’il est toujours possible de rejeter la démocratie libérale quand se trouve menacé le contrôle des fractions de classe dominante. C’est sans aucun doute la dimension principale de la domination autocratique de la bourgeoisie brésilienne, coloniale, autoritaire et caricaturale. Ce sont des caractéristiques communes aux élites dominantes des pays périphériques comme le Brésil.
Juste après le coup d’État de 2016 qui a renversé le pouvoir de l’ancienne présidente Dilma Rousseff et mis fin au gouvernement de coalition contradictoire, contre-réformiste et social libéral dirigé par le Parti des travailleurs, les " hommes nouveaux du gouvernement" (pas si nouveaux!), pour la plupart des agents politiques parasites qui ont soutenu le gouvernement Rousseff et l’ont abandonné à son destin lorsque son taux d’impopularité a augmenté et lorsque sont devenus plus évidents les effets d’inversion du modèle économique des années Lula et Dilma, ces « hommes nouveaux » ont continué d’occuper des espaces dans l’appareil d’État brésilien.
L’illusion démocratique [Empruntant le titre du grand article de Michel D. publié dans Le Monde Libertaire 1798 de septembre 2018.] s’était dissipée. Toutes les contraintes (s’il en existait) des institutions démocratiques bourgeoises sont tombées à terre. Quelques mois après le coup d’État, la capitale du pays, Brasilia, a été le théâtre de manifestations populaires importantes en novembre 2016, contre l’approbation de l’amendement constitutionnel qui établissait un plafond pour les dépenses fiscales de l’Etat, point culminant de l’agenda ultra néolibéral de l’actuel président de la République, Michel Temer (ancien vice-président élu et réélu sous Dilma Rouseff).
La bourgeoisie brésilienne a ses tours et ses astuces. Elle a établi un plafond progressif principalement pour les dépenses sociales de l’État [ Il est important de rappeler que ce n’est qu’en 2016 que la capitale du Brésil a été le théâtre de 151 manifestations, appartenant toutes deux à des groupes de gauche, de droite et d’extrême droite. Les données proviennent du portail de la métropole. Disponible à l’adresse https://www.metropoles.com/distrito-f Federal/o-ano-dos-protestos-2016-teve-151-manifestacoes- en-planada. Consulté le 20 octobre 2018.] , qui sont fondamentales dans un pays foncièrement inégalitaire comme le Brésil. Quelques mois plus tard, après les protestations à grande échelle (et qui donnèrent lieu ensuite à des épisodes d’action directe par les secteurs les plus radicaux) le 24 mai 2017, le gouvernement Temer édicta un nouveau décret de GLO, permettant l’usage ostensible de l’armée, à Brasilia et dans d’autres villes du pays où auraient lieu des manifestations violentes. Face aux vigoureuses répercussions, même parmi les groupes politiques réactionnaires, le gouvernement Temer révoqua le lendemain le décret de « Garantie de la loi et de l’ordre ».
Le flirt avec l’autoritarisme était passé. Il y eut un nouveau retour à la caserne. Ce processus s’est considérablement développé et a créé un environnement favorable à la croissance électorale de l’extrême droite brésilienne, représentée par le néo-fasciste Jair Bolsonaro. Sur le point de parvenir à la présidence de la République par le vote populaire, Bolsonaro a reçu un cadeau du gouvernement moribond de Michel Temer. Il convient également de mentionner le rôle fondamental des grands médias et des réseaux sociaux virtuels, qui ont joué un rôle clé dans la propagation de fausses informations, principal instrument de campagne du candidat, qui représente l’ultra-droite néofascste lors de l’élection présidentielle actuellement en cours au Brésil.
Temer, il faut le rappeler, est une marionnette des fractions rentières de la bourgeoisie brésilienne, un cadavre sans sépulture, qui vient d’être inculpé par la police fédérale pour son implication dans des groupes d’entreprises qui contrôlent les activités économiques dans le port de Santos, dans l’état de São Paulo [Pour plus de détails sur le scandale du "décret sur les ports" qui entraînera très probablement l’emprisonnement de Michel Temer, voir: https://www.cartacapital.com.br/politica/a-policia-federal-aperta-o-cerco-a-temer. Consulté le 20 octobre 2018.] .
À la suite de ces récents événements, le gouvernement brésilien a publié le 15 septembre un décret qui devrait être l’embryon d’un nouveau système organisé d’information et de "contrôle de l’ordre public", déjà désigné dans le pays comme le premier acte institutionnel [Il s’agit ici d’une référence historique à des actes institutionnels, à des décrets-lois limitant les libertés politiques minimales et approfondissant la dictature civil-militaire établie au Brésil le 1er avril 1964.] du probablement futur gouvernement Bolsonaro. Le décret présidentiel 9527/18 "crée le groupe de travail du renseignement pour lutter contre le crime organisé au Brésil".
Ce groupe de travail est composé de divers organismes de répression, de police, d’information et de contrôle fiscal de l’État brésilien. [agence de renseignement brésilienne, centre de renseignement de la marine du commandement de la marine du ministère de la Défense, centre de renseignement de l’armée du commandement de l’armée Ministère de la défense, centre de renseignement aéronautique du commandement aéronautique du ministère de la défense, conseil de contrôle des activités financières du ministère des finances, secrétariat des recettes fédérales du ministère de la défense, département de la police fédérale du ministère de la sécurité publique, Police fédérale des autoroutes du ministère de la Sécurité publique, département des pénitenciers nationaux du ministère de la Sécurité publique, secrétariat national de la Sécurité publique, également de ce dernier ministère.]
Cette mesure est sans précédent dans l’histoire du Brésil depuis la création du tristement célèbre Système national d’information (SNI), institué par les secteurs militaire et d’affaires arrivés au pouvoir avec le coup d’État d’avril 1964. Une telle "communauté de l’information" avait été dans les années de dictature militaire, une sorte de grande Hydre de Lerne, personnage mythique très bien adapté pour comprendre ce que le SNI représentait pour tous ceux qui s’opposaient – et s’opposent – aux régimes autoritaires d’autrefos et d’aujourd’hui. Le fait est que, dans une interprétation large du décret du 15 octobre 2018, toute organisation qui "affronte l’État brésilien" (il s’agit d’une transcription textuelle de ce décret), incluant les organisations de gauche, les syndicats et autres organisations classistes, peut être compris comme des éléments constitutifs du "crime organisé" dans son rôle historique d’affrontement contre les maux sociaux et contre ’État brésilien lui-même.
Des temps sombres se dessinent à l’horizon pour les organisations de la gauche populaire en général et les libertaires / anarchistes en particulier. Faisons de ce retour à la caserne, exécuté par l’extrême droite brésilienne, un moment propice à réaction et l’organisation autonome de mouvements sociaux luttant contre la montée de cette autocratie bourgeoise si persistante, typique de notre formation sociale et historique. La grande leçon que la gauche institutionnelle dans son ensemble a tirée de ce processus a été de reconnaître les insuffisances et les limites évidentes des sphères représentatives que la démocratie libérale bourgeoise propose à la classe ouvrière.
Nos aspirations ne sont pas et (et ne le seront jamais !) dans les urnes. Cela fait au moins deux siècles que le militantisme socialiste libertaire le dit ! La situation au Brésil exige maintenant la construction d’un grand front antifasciste, puisqu’un éventuel succès électoral du néo-fasciste Jair Messias Bolsonaro n’est qu’une étape dans un long processus de régression politique et sociale qui tendra à s’étendre dans le pays au cours des prochaines décennies. Seule la résistance des travailleurs auto-organisés pourra changer le cours de cette histoire.
Leonardo Brito (historien) et Luiz Merino (sociologue) Rio de Janeiro – Brésil. 20 octobre 2018
Pour Le Monde Libertaire
1 |
le 29 octobre 2018 08:15:33 par Jo Busta Lally |
C’est pourquoi, nous pouvons prendre appui sur le mouvement zapatiste, tout proche, Chiapas, et adapter le Feu et la Parole d’un peuple qui dirige et d’un gouvernement qui obéit dans le but de créer la Société des sociétés, car plus que jamais on voit bien avec cette élection la reprise en main par les Zuniens de l’Amérique latine dans la réaction d’une Opération Condor 3.0 selon le principe de la Doctrine Monroe "Le Brésil au brésiliens/L’Amérique aux américains" fer de la lance de la doctrine chrétienne de la découverte.
Si nous les peuples de tous les continents ne nous tenons pas aux côtés des peuples autochtones de tous les continents en complémentarité et non plus en antagonisme = la grille du N.O.M. ( ou de l’O.M.D. russo-chinoise ) se refermera sur nos tronches et là c’est fin de partie pour nous.
La solution ne peut-être dans la votation, la preuve par Macron en France ( mais aussi par Mélenchon qui voulait rendre le vote obligatoire ) par Donnie Mains d’Enfant Trump, et aujourd’hui par Bolsonaro.
Les brésiliens viennent de se mettre eux-mêmes les chaines aux pieds, refilons-leurs la pince coupante et le mode d’emploi !
Chiapas, Feu et Parole d’un peuple qui dirige et d’un gouvernement qui obéit… ( L’essentiel de l’EZLN en version PDF )
[LIEN]