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Chroniques du temps réel
par Biscotte le 26 août 2019

Bébert le bousier

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article paru à la une du ML en ligne le 8 mai 2016

Tout petit déjà, Bébert mangeait ses crottes de nez. Tandis que les autres enfants de son âge s’amusaient à se connaître et à partir à la découverte du monde qui les appelait notre petit bonhomme, loin du regard des autres, s’appliquait, lui, à gérer ses narines en véritable morvoculteur…
Un jour, on le surprit avec la petite Marinette en fâcheuse posture : Bébert, à cheval sur sa petite copine, fourrageait d’un doigt fureteur l’appendice nasal de la blonde gamine à la recherche du divin nectar.
Le retour brutal en métropole permit à la famille du petit coprorhinophage de jeter un voile pudique sur cette pratique alimentaire. On oublia de faire appel à un disciple de Sigmund…

« Les jambes allongées au soleil, on ne parlait pas vraiment avec Charlie, on échangeait des pensées qui nous couraient dans la tête, sans bien faire attention à ce que l’autre racontait de son côté. Des moments agréables, où on laissait filer le temps en sirotant un café. Lorsqu’il m’a dit qu’il avait dû faire piquer son chien, ça m’a surpris, mais sans plus. C’est toujours triste un clebs qui vieillit mal, mais passé quinze ans, il faut se faire à l’idée qu’un jour ou l’autre il va mourir.
- Tu comprends, je pouvais pas le faire passer pour un brun. […] »


Bebert, nostalgique de son Afrique du Nord natale, ne pouvait chasser de sa mémoire ce souvenir tout teinté d’un érotisme certain. Quel goût pouvait avoir la morve de Marinette la morveuse ?
Marinette, c’était la petite blonde de la dernière maison de la rue. Bébert l’aimait bien mais avait une frousse bleue de son père, un borgne qui bavait plus qu’il ne parlait. Alors Bébert se défoulait sur les autres gamins qui se laissaient tripoter le nez en rigolant.
Bébert avait perfectionné l’art de la dégustation de la crotte de nez. Il pouvait, les yeux bandés, en donner l’origine, la présence ou non d’une agression virale, les traces de pollution urbaine, de pollen…
Souvent, avant de l’ingérer, Bébert s’amusait à faire rouler le mucus nasal entre pouce et index jusqu’à l’obtention d’une petite boulette brune. Alors, lui revenait en mémoire la vision de cet insecte vu sur la terrasse de la maison natale.
Un petit scarabée têtu poussait à l’aide de ses pattes antérieures une boulette brune.
Bébert avait eu un spasme incontrôlé et comprit qu’il vouerait sa vie à la merde brune.

« […] Pour les chats, j’étais au courant. Le mois dernier, j’avais dû me débarrasser du mien, un de gouttière qui avait eu la mauvaise idée de naître blanc, taché de noir.
C’est vrai que la surpopulation des chats devenait insupportable, et que d’après ce que les scientifiques de l’Etat national disaient, il valait mieux garder les bruns. Que des bruns. Tous les tests de sélection prouvaient qu’ils s’adaptaient mieux à notre vie citadine, qu’ils avaient des portées peu nombreuses et qu’ils mangeaient beaucoup moins. […] »


Adolescent, Bébert avait côtoyé une jeunesse insouciante, un peu bohème, ayant pour un temps troqué ses boulettes brunes « maison » contre d’autres boulettes brunes provenant de contrées lointaines, Les meilleures étant les afghanes. L’esprit scotché au plafond du squat où il venait de fumer avec ses potes, Bébert se posa un jour la question qui allait bouleverser sa vie : « Les crottes brunes des lévriers afghans font-elles planer ? »

« […] On n’avait plus grand-chose à se dire, on s’était quittés, mais avec une drôle d’impression. Comme si on ne s’était pas tout dit. Pas trop à l’aise.
Quelque temps après, c’est moi qui avais appris à Charlie que le Quotidien de la ville ne paraîtrait plus. Il en était resté sur le cul : le journal qu’il ouvrait tous les matins en prenant son café crème !
- Ils ont coulé ? Des grèves, une faillite ?
- Non, non, c’est à la suite de l’affaire des chiens.
- Des bruns ?
- Oui, toujours. Pas un jour sans s’attaquer à cette mesure nationale. Ils allaient jusqu’à remettre en cause les résultats des scientifiques. Les lecteurs ne savaient plus ce qu’il fallait penser, certains même commençaient à cacher leur clébard !
- A trop jouer avec le feu...
- Comme tu dis, le journal a fini par se faire interdire. […] »


Bébert avait eu quelques années d’esprit libre et humain. Il se serait paraît-il battu pour que les journalistes puissent écrire librement sur d’autres sujets que les merdes brunes, les idées brunes, la peste brune.
Notre homme, toujours à l’affut d’une découverte, hésitait entre le journalisme et la proctologie…

« […] Après, ça avait été au tour des livres de la bibliothèque, une histoire pas très claire, encore.
Les maisons d’édition qui faisaient partie du même groupe financier que le Quotidien de la ville étaient poursuivies en justice et leurs livres interdits de séjour sur les rayons des bibliothèques. Il est vrai que si on lisait bien ce que ces maisons d’édition continuaient de publier, on relevait le mot chien ou chat au moins une fois par volume, et sûrement pas toujours assorti du mot brun. Elles devaient bien le savoir tout de même.
- Faut pas pousser, disait Charlie, tu comprends, la nation n’a rien à y gagner à accepter qu’on détourne la loi, et à jouer au chat et à la souris. Brune, il avait rajouté en regardant autour de lui, souris brune, au cas où on aurait surpris notre conversation.
Par mesure de précaution, on avait pris l’habitude de rajouter brun ou brune à la fin des phrases ou après les mots. Au début, demander un pastis brun, ça nous avait fait drôle, puis après tout, le langage c’est fait pour évoluer et ce n’était pas plus étrange de donner dans le brun, que de rajouter putain con, à tout bout de champ, comme on le fait par chez nous. Au moins, on était bien vus et on était tranquilles.
On avait même fini par toucher le tiercé. Oh, pas un gros, mais tout de même, notre premier tiercé brun. Ca nous avait aidés à accepter les tracas des nouvelles réglementations. […] »


Bébert, notre croqueur de crotte, s’essaya donc au journalisme n’ayant pas le niveau intellectuel pour entreprendre des études de médecine, au deuxième feu prendre gastroentérologie puis rouler jusqu’à la spécialisation en proctologie. Alors, choix logiques : le journalisme pour la découverte et la politique brune pour croiser des visages rappelant la spécialité chirurgicale envisagée…

« […] On avait allumé la télé, pendant que nos animaux bruns se guettaient du coin de l’œil.
Je ne sais plus qui avait gagné, mais je sais qu’on avait passé un sacré bon moment, et qu’on se sentait en sécurité. Comme si de faire tout simplement ce qui allait dans le bon sens dans la cité nous rassurait et nous simplifiait la vie. La sécurité brune, ça pouvait avoir du bon. Bien sûr, je pensais au petit garçon que j’avais croisé sur le trottoir d’en face, et qui pleurait son caniche blanc, mort à ses pieds. Mais après tout, s’il écoutait bien ce qu’on lui disait, les chiens n’étaient pas interdits, il n’avait qu’à en chercher un brun. Même des petits, on en trouvait. Et comme nous, il se sentirait en règle et oublierait vite l’ancien. […] »


Un jour, ce fut la consécration pour Bébert,notre spécialiste en crottes de nez, boulettes de cérumen, mi lèche-cul mi suce-pets, qui avait décidé de faire conjuguer sa ville à l’impératif brun. Et… « Mairedre, dit Ubu, le Bébert est élu… »
Le voilà maintenant avec ses hommes, à quatre pattes en train de renifler les déjections canines. Les chiens issus de l’immigration n’ont qu’à bien se tenir. Planquez-vous les chihuahuas mexicains, les carlins d’Extrême-Orient, les basenjis du Congo, les bichons maltais, les lévriers afghans, les sloughis ou lévriers arabes…
Tous aux abris, Bébert cherche la merde !




« […] Et puis hier, incroyable, moi qui me croyais en paix, j’ai failli me faire piéger par les miliciens de la ville, ceux habillés de brun, qui ne font pas de cadeau. Ils ne m’ont pas reconnu, parce qu’ils sont nouveaux dans le quartier et qu’ils ne connaissent pas encore tout le monde. J’allais chez Charlie.[…] Et là, surprise totale : la porte de son appart avait volé en éclats, et deux miliciens plantés sur le palier faisaient circuler les curieux. J’ai fait semblant d’aller dans les étages du dessus et je suis redescendu par l’ascenseur. En bas, les gens parlaient à mi-voix.
- Pourtant son chien était un vrai brun, on l’a bien vu, nous !
- Ouais, mais à ce qu’ils disent, c’est que, avant, il en avait un noir, pas un brun. Un noir.
- Avant ?
- Oui, avant. Le délit maintenant, c’est aussi d’en avoir eu un qui n’aurait pas été brun. Et ça, c’est pas difficile à savoir, il suffit de demander au voisin.
J’ai pressé le pas. Une coulée de sueur trempait ma chemise. Si en avoir eu un avant était un délit, j’étais bon pour la milice. […]
Ce matin, Radio brune a confirmé la nouvelle. Charlie fait sûrement partie des cinq cents personnes qui ont été arrêtées. Ce n’est pas parce qu’on aurait acheté récemment un animal brun qu’on aurait changé de mentalité, ils ont dit. "Avoir eu un chien ou un chat non conforme, à quelque époque que ce soit, est un délit." Le speaker a même ajouté "Injure à l’Etat national." Et j’ai bien noté la suite. Même si on n’a pas eu personnellement un chien ou un chat non conforme, mais que quelqu’un de sa famille, un père, un frère, une cousine par exemple, en a possédé un, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, on risque soi-même de graves ennuis.[…]

Je n’ai pas dormi de la nuit. J’aurais dû me méfier des Bruns dès qu’ils nous ont imposé leur première loi sur les animaux. Après tout, il était à moi mon chat, comme son chien pour Charlie, on aurait dû dire non. Résister davantage, mais comment ? Ca va si vite, il y a le boulot, les soucis de tous les jours. Les autres aussi baissent les bras pour être un peu tranquilles, non ?

On frappe à la porte. Si tôt le matin, ça n’arrive jamais. J’ai peur. Le jour n’est pas levé, il fait encore brun dehors. Mais arrêtez de taper si fort, j’arrive. Fin »


Les extraits en italiques sont tirés de Matin brun, un livre de militant. I.S.B.N.: 2.84116.029.7
Copyright éditeur, 1998, 1999, 2002, 2002. Dépôt légal 3me trimestre 2002.
Son auteur, Franck Pavloff tient de son père médecin anarchiste bulgare le besoin de dire non à ce qui enferme.
Matin brun, un court texte de 12 pages écrit avec la rage, en 1998 lorsque une partie de la droite a embrassé le Front national sur la bouche pour une poignée de régions.
Et puis, il y a eu 2002… 2002, rappelez-vous… Les végétariens étaient invités à choisir la tête de veau de Droite pour faire barrage au vieux porc faisandé d’Extrême-droite…
Au lendemain du 21 avril, un journaliste de France Inter cite Matin brun et engage les auditeurs à le lire. Le livre sera vendu à 600 000 exemplaires.
Franck Pavloff renoncera à ses droits d’auteur. Le texte est libre de droit
PAR : Biscotte
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