Les cannibales

mis en ligne le 8 mars 2012
« Depuis six mois, nous distribuons de la nourriture comme dans les pays du tiers monde », raconte Nikita Kanakis, président de la branche grecque de Médecins du monde. « J’ai commencé à m’inquiéter lorsque, en consultation, j’ai vu un, puis deux, puis dix enfants qui venaient se faire soigner le ventre vide. » Qui aurait pu imaginer que des populations d’un pays de la zone euro pourraient connaître cela ! Même nous parfois, nous sous-estimons la brutalité du système capitaliste. Rien, absolument rien ne nous sera épargné. La barbarie est là, à nos portes, avec comme toujours dans ces cas-là les relents nationalistes et xénophobes qui l’accompagnent, y compris sous le masque de la « résistance à la mondialisation ».
Les Grecs en sont au neuvième plan d’austérité et le FMI et l’Union européenne leur disent que cela ne suffira pas ! Lundi 13 février, dans un état de quasi guerre civile, le Parlement grec, socialistes compris faut-il le rappeler, a adopté de nouvelles mesures de famine comme la baisse du salaire minimum de 20 % alors que le coût de la vie est pratiquement comparable à celui de la France. Dès le lendemain, le CAC 40, les Bourses saluaient comme il se doit ce nouveau plan.
Les capitalistes et leurs chiens de garde ont décidé de nous mener la guerre. Ce n’est pas une formule de meeting pour militants révolutionnaires mais une réalité très concrète à laquelle nous nous devons de nous préparer avec lucidité et détermination car c’est de notre peau et de celle de nos enfants dont il s’agit.
Certains voudraient nous faire croire qu’on va les faire reculer en érigeant des barricades de papier, en l’occurrence des bulletins de vote. C’est bien mal connaître l’histoire et se préparer de graves désillusions pavées de larmes et de sang. Mais notre propos n’est pas de se gausser des électeurs, de leur donner des leçons révolutionnaires mais de construire une véritable perspective de rupture. Le succès (relatif) de Mélenchon tient moins aujourd’hui à son discours faussement radical et à ses talents de tribun qu’à l’absence de résistance sociale d’envergure.
Il faut dire que de ce point de vue tout est fait pour anesthésier les salariés et la journée européenne du 29 février en est une nouvelle démonstration. Concoctée par la Confédération européenne des syndicats, holding anesthésiante s’il en est, cette journée d’inaction ne trompe quasiment plus personne. La CES, comme la plupart des organisations qui la composent, accompagne et accompagnera la régression sociale. Elle est là pour cela, elle est structurée et financée pour cela. Sa déclinaison française a suffisamment fait preuve de sa nocivité depuis la déroute organisée sur la bataille des retraites en 2010 pour qu’on n’insiste peu. Il suffit de lire le texte d’appel intersyndical au 29 (CGT, FSU, CFDT, Unsa, SUD) pour comprendre de quoi il retourne. Après les considérants classiques sur les mesures d’austérité « prises sans véritable débat démocratique » (sic) ces organisations se fâchent tout rouge et revendiquent « une nouvelle politique monétaire et sociale dans le cadre d’une gouvernance économique forte de la zone euro ». Gouvernance, gouvernance est-ce que j’ai une gueule de gouvernance ! Toutes ces bureaucraties, formées et déformées à la même école de la soumission, de l’intégration, du bavardage et de la manipulation, sont des obstacles incontestables dans la lutte de classe qui se mène. Le nier ou le sous-estimer en reportant l’échec des mobilisations sur la prétendue inertie et l’individualisme des salariés est une erreur politique grave. Qui est responsable de l’anesthésie générale ? Les sidérurgistes d’Arcelor-Mittal qui expliquaient il y a quelques jours que, face « à des bandits, ils n’allaient pas se battre avec des bouquets de fleurs », ou les appareils politiques et syndicaux qui empêchent la jonction des luttes, l’émergence de véritables revendications, le blocage total du pays comme c’était possible à l’automne 2010. Qui peut reprocher la faible mobilisation du 29 et la mettre au compte de l’apathie des prolos alors même que chacun sait bien que cette journée est une sinistre farce même si de bonne foi certains militants ont tenté de lui donner localement un contenu revendicatif.
L’analyse n’est pas nouvelle, certes, mais ce qui change aujourd’hui, c’est le degré d’urgence à réagir. Il nous revient de nous préparer au choc. Avec qui pouvons-le faire sur des bases claires mais sans dogmatisme ni sectarisme, avec quels outils et quels objectifs à court et moyen terme ? Telles sont les questions qui se posent aux militants anarchistes fédérés ou non qui n’ont pas vocation à s’agiter dans le vide comme un insecte sur le dos. Sans se donner une importance que nous n’avons pas pour l’instant, il reste que nous pouvons peser sur le cours des choses. Et alors, « s’ils s’obstinent, ces cannibales, qu’ils sachent »…