Wall Street s’en tamponne ?

mis en ligne le 18 novembre 2010
Ce film, de Jean-Stéphane Bron, nous replonge dans l’affaire des subprimes, liée à la crise financière internationale et responsable de la ruine et de l’expulsion de millions de familles, en majorité noires (des milliers dans l’Ohio) et, comme le rappelle Barbara Anderson, présidente de l’association de défense des victimes de cette gigantesque escroquerie, dépourvues des connaissances minimums pour débusquer celle-ci à travers les belles promesses des courtiers. Il y a donc bien dans cette entreprise frauduleuse une éhontée « exploitation de classe » – exploitation de la misère et de l’ignorance.
La forme du procès fictif, se substituant au procès réel que la ville de Cleveland voulait intenter aux vingt et une banques responsables des saisies immobilières, est particulièrement efficace pour démonter les différents aspects du scandale.
Se présentent à la barre en alternance les victimes, ouvriers de base, souvent dans le bâtiment, et pourvus de familles, enchaînant les travaux mal payés et précaires, et les responsables du système comme Michael Osinsky, trader raté et inventeur d’un logiciel vendu dans le monde entier qui a permis l’extension de l’arnaque… qu’il déplore.
Ce témoignage est d’une force inouïe puisqu’un de ceux qui se sont enrichis démesurément (d’après lui, en 2003, les profits de l’opération pour Wall Street se sont élevés à mille milliards de dollars) en vient, devant l’ampleur de la catastrophe humaine, à souhaiter des garde-fous aux ravages du capitalisme…
La pratique des deux avocats, celui de la défense des banques, Keith Fisher, et celui des victimes, Josh Cohen, ce dernier d’une générosité et d’un charisme réconfortants dans cet étalage de misère et de turpitudes, est mise en scène de façon très pédagogique : pour le premier, l’habileté rhétorique de l’énoncé des questions – évitant le centre brûlant du conflit – et l’exigence de réponses de la part des témoins limitées à oui ou non, réduit le champ de l’expression de la plainte, de la configuration du dommage et de la complexité des responsabilités, mettant l’interlocuteur dans l’embarras.
L’intervention d’un conseiller municipal est intéressante, qui chiffre le coût, supporté par l’argent public, de la garde et du nettoyage des maisons abandonnées devenues squats ou parkings à épaves. Elle n’ôte rien à la critique de la politique de la ville formulée par un membre du jury lors de la délibération finale : voyant la marche des choses, la mairie de Cleveland aurait dû intervenir et s’opposer à cette ruée des financiers vers les plus pauvres.
Faisant fond sur la crédulité de ceux-ci, on a atteint des sommets : une maison coûtant 26 000 dollars se voit estimée quelque temps après à 40 000 pour l’ouverture d’un crédit, puis un peu plus tard à 71 000… On réussit à persuader des expulsés à se réengager sur un autre emprunt pour une autre maison. Certains des plaignants ont contracté des crédits sur plusieurs maisons à la fois !
Le représentant de Washington dédouane le gouvernement quant à la procédure de titrisation (reventes en bloc à des actionnaires d’un paquet de crédits) mais rappelle que le déclenchement des opérations a été la campagne nationale pour l’accès des Américains à la propriété.
Le court extrait final sur Obama serrant la main de Barbara Anderson et s’engageant solennellement à mettre au pas les escrocs et les faire passer en jugement prend un relief singulier dans le contexte actuel.
De tels films, à la fois documentaires et fictions, sur des sujets cruciaux qui, au-delà des USA, touchent au fonctionnement du systèmenéolibéral et participent efficacement à la compréhension de celui-ci et au développement des résistances et offensives à lui opposer.