Retour à la bougie : le nucléaire ne suffit pas

mis en ligne le 21 janvier 2010
En été, quand il y a pollution à l’ozone, c’est à cause du beau temps. En hiver, c’est bien connu, si les dépenses d’énergie sont au plus haut, c’est à cause du froid… Raccourcis journalistiques pour ne pas remettre en question la boulimie énergétique d’un système fondé sur le gaspillage des ressources.
Les consommations de pointe en électricité, qui ont récemment atteint des niveaux maximaux et occasionné des coupures partielles du réseau 1, illustrent l’aberration des politiques énergétiques nationales basées sur le développement simultané du nucléaire et du chauffage électrique.
Si en moyenne, les capacités de production du parc électronucléaire français sont (de moins en moins) excédentaires, il en va tout autrement pour la consommation instantanée : lors des pics hivernaux, la demande peut dépasser de plus de 50 % l’offre de base !
Ce phénomène est le fruit d’une politique de développement massif du chauffage électrique depuis les années 1970, porté par le mythe d’une énergie abondante et bon marché. Relancé par de grandes campagnes de communication d’EDF à la fin des années 1990, il représente près de trois quarts de la construction neuve 2, si bien qu’aujourd’hui, plus de la moitié du parc de chauffage électrique européen est français 3 !
Le chauffage électrique bénéficie de nombreux promoteurs (constructeurs de logements, fabricants de convecteurs) qui mettent en avant son faible coût à l’installation ; il profite aussi d’une réglementation permissive pour l’électricité, exemptée du projet de taxe carbone et favorisée par la réglementation thermique qui autorise le double de consommation d’énergie par rapport aux autres combustibles.
Et l’usager paie une note deux fois plus chère que la plupart des solutions concurrentes 4, aggravant un peu plus la précarité énergétique qui touche aujourd’hui plus de 3,4 millions de ménages 5.
En outre, le rendement du chauffage électrique est particulièrement mauvais : il consomme quatre fois plus d’énergie qu’il n’en restitue. C’est pour cette raison qu’il est interdit dans des pays comme la Suisse ou le Danemark.
En période de pointe, la demande en électricité est telle qu’il faut compléter les approvisionnements par des centrales fortement émettrices de CO2 (gaz, charbon et fioul) et recourir aux importations au plus mauvais moment, lorsque l’énergie est la plus coûteuse. L’indépendance énergétique apparaît alors comme un leurre quand on sait que depuis 2004, l’Allemagne, qui a programmé la sortie du nucléaire, est devenue exportatrice nette d’électricité vers la France 6 !
Sur ces questions énergétiques, une société capitaliste condamnée à (et par) la croissance ne peut actionner que deux leviers. Le développement de l’offre, qui passe par la construction pourtant inacceptable de nouveaux réacteurs nucléaires. Le recours aux technologies « propres », dont le délirant projet de développement massif de la voiture électrique, qui viendrait aggraver la surcharge du réseau.
Mais les gains liés aux progrès technologiques sont régulièrement annihilés parce qu’on appelle l’effet rebond. À titre d’exemple, une étude menée en 2006 a pu montrer l’absurdité de la course au gigantisme des téléviseurs à écrans plats : ainsi, « les possesseurs d’une seule TV plasma ont perdu le bénéfice de toutes les économies d’énergie obtenues en dix ans sur le poste froid 7 ».
Pourtant, le problème énergétique est loin d’être insoluble. Le scénario construit par l’association Négawatt montre qu’il est possible de réduire fortement la consommation tout en se passant du nucléaire.
Celui-ci repose avant tout sur la mise en œuvre de la sobriété énergétique : plus que d’un effort individuel, il s’agit essentiellement d’orienter l’activité économique vers les économies d’énergie. Cet objectif est bien sûr incompatible avec la croissance, qui ne reconnaît pas de limites et se nourrit, par essence, du « toujours plus ».
Pourtant, si nous n’étions pas entraînés dans cette logique individualiste consumériste, les marges de manœuvre seraient alors énormes. Pour parvenir à entrer en décroissance énergétique, il faudra impérativement mettre fin à cette société productiviste dont les choix de développement industriel sont dans la main de l’État et du capital. Et privilégier, à l’exact opposé du nucléaire, des solutions décentralisées favorisant l’autonomie énergétique des territoires.

1. « Pointe » : puissance maximale appelée (en hiver, autour de 19 heures), qui a dépassé plusieurs fois les 90 GW en janvier, selon RTE, filiale d’EDF gestionnaire des réseaux de transports d’électricité de haute tension.
2. Données 2008 SOeS-MEEDDM, citées par Négawatt.
3. Voir www.negawatt.org.
4. MEEDDM, base de données Pégase, citée par Négawatt.
5. Ménages consacrant plus de 10 % de leurs ressources pour l’énergie, Le Monde, 6 janvier 2010.
6. 12,6 TWh en 2008 selon RTE, soit l’équivalent de deux réacteurs nucléaires.
7. Novethic, 2 février 2007.