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par Bérangère Rozez le 6 juillet 2020

Le Glossaire présidentiel

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(ou l’onto-terminologie macroniste, selon allocution du 12 avril 2020)

Article extrait du Monde libertaire n°1818 de juin 2020



Syntagmes nominaux

On note l’alternance subtile et significative des pronoms personnels je / nous / vous :
Je : l’interlocuteur se place en tant que suprême Chef d’État, de la patrie en s’adressant aux Français (vous), parlant au nom de ses « compatriotes » (nous). L’expression de la subjectivité est totale (gravité et mesure, formule « je mesure… » répétée à plusieurs reprises), avec l’idée de donner du caractère à un discours qui se veut « responsable » (…), un discours de combat avec un choix précis de termes appartenant au champ lexical du front et de la bataille (évocation du « en guerre », « au front », répétition « faire face »), sous-tendant l’idée d’une autorité étatique dominatrice.
• Vous : interpeller pour ensuite rassembler et aller vers l’utilisation progressive du « nous ».
• Nous : volonté d’atténuer la présence du locuteur et de diriger le discours verbal vers l’action collective, par l’utilisation du syntagme nominal « nous » à valeur d’union.

L’alternance subtile et stratégique des pronoms personnels je / nous / vous tout au long de l’allocution met l’accent sur l’idée de communion et de solidarité, une des plus grandes occurrences sémantiques du discours présidentiel, sans appel à la conscience ou à la responsabilité individuelle puisque nous sommes partie intégrante du discours et de l’action unique, masquant de ce fait l’absolutisme de l’État. Nous sommes loin du fédéralisme libertaire, mais « nous » sommes unis, répète M. Macron... soumis au bon vouloir de l’État.

Modalisation du discours
Verbes modaux (pouvoir…), adverbes employés « massivement » (ce même adverbe d’ailleurs utilisé 3 fois + adjectif « massif » 1 fois), subtilité des choix de temporalité avec alternance entre passé composé, ce qui a été fait pour (« faire face », « ensemble »), présent, la crise, la pandémie, le virus, et futur, l’après crise : « l’après », « l’après 11 mai »…) :
Nous avons réouvert des lignes pour produire… (passé composé)
Nous avons réquisitionné… (passé composé)
Nous nous sommes mobilisés…
Il nous faut… (le présent des injonctions, des règles et des mesures – très forte occurrence sémantique)
Nous en tirerons toutes les conséquences (futur)
Pas autant que nous l’aurions voulu (futur antérieur)
• – Nombreuses hypozeuxes (même schéma syntaxique) avec injonction sous-jacente : « il (nous) faut », « il (nous) faudra »
Le discours est habilement modalisé du début à la fin, dans une certaine graduation afin de renforcer la légitimité des propos, leur fondamentalisme, avec des formes injonctives répétées, disséminées tout au long de l’allocution. Il est urgent de diriger une société fébrile, afin d’éviter qu’elle ne devienne chaotique, pour en faire une société mature débarrassée du Covid-19, une société « renouvelée » et renforcée… La dictature du pouvoir guette sous des semblants d’appel à cohésion.

Formes d’insistance
Accumulation : dans l’utilisation des chiffres – fois 5, 5 fois, 10 000, 8 000 000… – des verbes et des noms marquant le nombre ou la multiplication : accélérer, progresser, renforcer, doublement, augmenter, ainsi que des adverbes : davantage, massivement, fortement...
Gradation : dans les champs sémantiques et l’utilisation des adverbes de manière et de temps : largement, fortement, pleinement, massivement, durablement…
Répétition : d’un même terme ou d’une formule avec les occurrences sémantiques : « continuer » (plus de 10 fois), « semaine », « période », « virus », « règle », « de/en plus », « produire », « 11 mai »… et
Polyptotes : multiples occurrences grammaticale d’un même mot :
• soigner, soignants, soigné…
• travailler, travailleurs, travail…
• aides, aidé, aider…
• mobiliser, mobilisation, mobilisé…
• protéger, protection…
• vie, vivre…


Insister subtilement et graduellement pour mieux amadouer, marteler, convaincre, hypnotiser l’audimat…

Procédé de la comparaison
Utilisation répétée du « comme » : comme vous, comme les autres pays d’Europe, comme partout ailleurs… La France est comme les autres… Nous sommes tous pareils…. Encore une fois, tout est globalisé. Comparaison n’est pas raison, s’agit-il d’une forme de dédouanement ? Nous sommes tous dans le même bateau… Nous pas plus que les autres… Nous autant que les autres… Et la démocratie d’entériner les inégalités socio-économiques existantes, les choix de la capitalisation globalisée…

Choix de champs lexicaux spécifiques largement développés et utilisés avec la répétition de mêmes mots choisis
Pour faire émerger les idées de :
• Solidarité : ensemble, coopération, concorde, unis, aide…
• Renfort : renforcer, augmenter, progresser, force, effort, …
• Continuité : verbes continuer / se poursuivre répétés de nombreuses fois…
• Mobilisation : mobilisé, mobilisation, engagement
• Refondation : bâtir, produire, refonder, résultats, l’après,
• Discipline : règles, mesures, strict, rigoureux
• Économie : entreprises, travailleurs, économique, produire…
• Recherche : chercheurs, médecins, recherche, test/tester 8 fois…
Idées qui seront mises en action grâce à l’utilisation du « nous ».

Répétition
• D’un mot : « virus »
. C’est un état de fait. C’est une crise sanitaire. La situation est « difficile » (plus de six fois). Mais le souci de la crise économique semble pointer (voir l’occurrence des termes relatifs au champ lexical du travail et de l’économie dans le tableau ci-dessous).
• D’une date : le 11 mai comme une éventuelle date de sortie de confinement. Le déconfinement est non précisé, flou mais la date du 11 mai est martelée pour donner l’idée d’une sortie de crise possible progressive mais incertaine, redonner espoir (répété 3 fois), réduire l’anxiété collective (combinaison du je/nous/vous : le « je » protecteur et le « nous » solidaire et confiant en l’avenir.) Une échéance, une ouverture vers « l’après ». En opposition avec le « jusqu’à nouvel ordre ».

Une date mais pas de projection – se garder de trop anticiper alors que tout a été largement sous-estimé, de trop affirmer alors que c’est ce qui a été fait… Rester dans la mesure – formule appréciée du Président. La crise est là et on en gardera des stigmates, on s’en souviendra (appel au souvenir 3 fois), et on en tirera toutes les conséquences le temps venu (couper court à la polémique : ce que l’on veut c’est de l’action… relancer l’économie notamment…)

CONCLUSION
L’individu lambda est impliqué de son plein gré ou… contre. La question ne se pose pas. Il est globalisé dans la masse (« nous ») sous le coup d’une autorité dominatrice non librement mais implicitement consentie. Sont évoqués la France, sa grandeur, ses valeurs, sa capacité d’innovation et de production, tous les Français, les compatriotes (une des plus grandes occurrences lexicales). Il est bien question de l’autorité renvoyant à un mode de décision et d’organisation unilatérale et hiérarchisée. L’utilisation du « nous » permet d’asseoir cette légitimité du pouvoir et des décisions gouvernementales, ornée d’un délicieux bon sens commun – ah le fameux bon sens qui vient supplanter toute forme de rationalisation… Ce qui a été fait a été fait de façon réfléchie et collective, ce qui renforce la fierté voire stimule l’ego de chacun pour oublier l’état actuel « difficile », compenser les troubles anxiogènes occasionnés, les manques qui ne sont visiblement pas d’actualité (l’aide aux migrants, la prise en charge des SDF, on en a même oublié la crise de l’hôpital public...) Le chef d’État en tant que « chef de guerre et des armées » unit ses troupes. Tous concernés, tous acteurs, tous responsables… tous moutons de Panurge sans autre choix apparent que de suivre les recommandations, les consignes, les règles, choisies pour le bien de tous, sanitairement, socialement et bien entendu économiquement parlant.
C’est la crise mais la France est forte et le restera… Car « produire » est le remède de toute crise. Tous unis derrière l’État français et son oligarchie.

Bérangère Rozez
PAR : Bérangère Rozez
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