Nouvelles internationales > Qui soutient Bolsonaro?
Nouvelles internationales
par Eric Vilain le 30 octobre 2018

Qui soutient Bolsonaro?

Lien permanent : https://monde-libertaire.net/index.php?articlen=3707



Sans grande surprise, Bolsonaro a été élu président du Brésil avec une confortable majorité. Je pense pouvoir dire en préambule que les militants libertaires en France, et partout ailleurs, sont extrêmement inquiets de la situation au Brésil et devront rester extrêmement vigilants face a la répression étatique qui ne manquera pas de toucher nos camarades brésiliens.

Le Brésil est parcouru de contradictions extrêmement aiguës, il est marqué par des tensions incroyables, extrêmement difficiles à analyser. Bolsonaro n’a pas seulement déjoué tous les pronostics : son parti, le Parti Social Libéral (PSL), qui était insignifiant avant les élections, a rassemblé autour de lui tout ce que le Brésil avait de plus conservateur. Sa candidature a déclenché une vague conservatrice qui a quasiment balayé tout ce qui se trouvait à sa gauche, comme le PSDB, un parti modéré de centre-droit, ce qui prouve une fois de plus l’analyse de Bakounine selon lequel dans les grandes périodes de tension, il ne peut y avoir de moyen terme, de milieu.
Les médias présentent Bolsonaro comme un nouveau Trump, un outsider, oubliant que c’est un vieux routier de la politique: il a été élu au Congrès pendant 27 ans! C’est un orateur grandiloquent qui excelle à attiser chez les gens le pire d’eux-mêmes. Trump a beau jouer au dur, il n’arrive pas à la cheville de Bolsonaro, qui ressemble plutôt à un potentiel Pinochet. C’est un ancien capitaine qui a été chassé de l’armée, qui parle souvent de torturer et de faire fusiller les criminels. On a vu pendant la campagne électorale des images de partisans de Bolsonaro voter en portant des armes à feu.
Il a promis de donner aux militaires un rôle accru dans la vie publique et d’anéantir tout militantisme politique dans le pays.
Il fait partie du lobby appelé "Balles, Bœuf et Bible", c’est un homophobe agressif déclaré. En public il parle sans complexe de viol avec violence.

Comment en est-on arrivé là? La première chose qui vient à l’esprit est que la destitution de Dilma Roussef, qui a été un coup terrible pour le Parti de travailleurs, a aussi grandement contribué à éroder la confiance envers l’establishment politique dans son ensemble. Les réseaux sociaux ont été submergés de fausses informations et de théories conspiratrices. Constamment on pouvait voir des images de Lula en prison.

Mais surtout, qui soutient Bolsonaro ? Qui a réussi à créer à son profit une alliance de couches sociales peu compatibles entre elles, des plus riches aux plus pauvres ?

Tout d’abord, il y a les élites économiques du pays: les industriels, les hommes d’affaires, les grands propriétaires fonciers, les fabricants d’armes.
Ensuite, Bolsonaro a eu l’écoute attentive des classes moyennes, y compris les médecins et les avocats. Les sondages révèlent que 30% des diplômés d’université le soutiennent. Les couches moyennes ont subi ces dernières années une sensible baisse de leur pouvoir d’achat et sont particulièrement opposées à toutes les politiques redistributives mises en place par le Parti des travailleurs. Ces catégories sociales furent le fer de lance du mouvement qui a conduit à la destitution de Dilma Roussef.

Le crime et la violence explique aussi le soutien que les électeurs pauvres apportent à Bolsonaro. En, particulier dans les zones urbaines du Sud et du Sud-Est. Vivre aujourd’hui à la périphérie d’une ville comme São Paulo équivaut presque à vivre au milieu d’une guerre entre les narcotrafiquants et la police militaire. Presque la moitié des décès de jeunes entre 15 et 19 ans sont des homicides. Dans le courant de la dernière décennie, un demi-million de personnes ont été victimes d’homicides, surtout dans les périphéries urbaines. Ce que les pauvres voient dans leur vote en faveur de Bolsonaro, ce n’est pas qu’ils peuvent très bien être les victimes de bavures policières, très nombreuses: ils entendent surtout un discours vigoureux en faveur de la loi et de l’ordre.
C’est peut-être là que se trouve le point commun, non pas entre Boslonaro et Trump, mais entre le Brésil et les Etats-Unis : en effet, ce dernier pays, qu’on nous présente comme le parfait exemple de démocratie, a un bilan en termes d’homicides qui se rapproche beaucoup plus du Brésil que de l’Europe : si le Brésil arrive en tête du palmarès mondial pour le taux d’homicides, les Etats-Unis sont tout de même en 4e position après le Mexique et la Russie. Les pays européens viennent très loin derrière.

Enfin, le troisième facteur du succès de Bolsonaro, ce sont les évangélistes, extrêmement puissants dans le pays, et les catholiques conservateurs. Les intégristes chrétiens sont sensibles au discours antiféministe, anti-gay, anti- LGTB. Les pasteurs et prêtres conservateurs se sont activement mobilisés pour soutenir un candidat qui développait une rhétorique en faveur de la famille, qui était vigoureusement opposé à l’IVG et au communisme.

Bolsonaro a réussi cet invraisemblable paradoxe consistant à coaliser des intérêts totalement divergents. Il a proposé une politique de dérégulation extrême des marchés. Il a fait preuve d’une extrême misogynie, de racisme, d’opposition hystérique à toute prétendue « déviance » sexuelle. Il veut accorder le libre accès aux armes à feu, abolir toute éducation progressiste, baisser l’âge pénal à 16 ans, accorder l’immunité aux policiers qui tuent des civils. Il veut traiter les mouvements sociaux comme des terroristes, en particulier le Mouvement des sans-terre, supprimer les subventions aux associations humanitaires, affaiblir la négociation collective.
Pendant toute sa campagne, il a systématiquement attaqué les politiques redistributives, les droits sociaux élémentaires tels que la santé publique et les retraites.

La démocratie représentative a toujours été un système politique fondé sur le milieu, rejetant à la marge les extrêmes. L’élection de Bolsonaro n’est pas une déviation de la démocratie. Les commentateurs qui, en Europe, semblent horrifiés de cette élection et s’inquiètent vertueusement de voir arriver au pouvoir cet homme d’extrême droite issu des rangs mêmes de la classe politique du pays, oublient une chose: l’élection de Bolsonaro, ce n’est pas la négation de la démocratie représentative, c’est l’accomplissement de la démocratie représentative.
Comme disait Bakounine, « Le suffrage universel, tant qu’il sera exercé dans une société où le peuple, la masse des travailleurs, sera économiquement dominé par une minorité détentrice de la propriété et du capital, quelque indépendant ou libre d’ailleurs qu’il soit ou plutôt qu’il paraisse sous le rapport politique, ne pourra jamais produire que des élections illusoires, antidémocratiques et absolument opposées aux besoins, aux instincts et à la volonté réelle des populations. » (L’Empire knouto-germanique, Champ libre, VIII, 14.)
PAR : Eric Vilain
SES ARTICLES RÉCENTS :
Révolution russe : d’autres acteurs, scénarios, approches et perspectives
La guerre de Trump contre les femmes
Réagir à cet article
Écrire un commentaire ...
Poster le commentaire
Annuler

1

le 1 novembre 2018 02:05:53 par Leonardo Brito

Félicitations pour l’excellente analyse de l’ancien capitaine de l’armée et désormais président élu de la République, Jair Messias Bolsonaro.
Certes, la meilleure métaphore qui résume ce que nous, les libertaires, estimons ici au Brésil, est que "l’hiver est de retour".

Santé et Anarchie!
Saundations et je vous félicite encore une fois,

2

le 1 novembre 2018 11:07:26 par Loran

Excellent article, merci.
La démocratie représentative donne en effet un cadre structurel aux mouvements réactionnaires qui resteraient sans doute embryonnaires et englués dans leurs propres replis sans la mécanique électorale.
Je crois qu’il est temps aussi de considérer de façon moins anecdotique l’immense pouvoir que constitue les nouveaux outils de propagande ( les quelques réseaux bien mal qualifiés de sociaux ). Ces instruments œuvrent pour les intérêts de ceux qui les possèdent sous les atours d’espaces de libre parole.
Les électeurs commencent à douter du couple vote/représentativité. Il leur fallait un autre jouet pour les réconforter dans leur besoin de se faire entendre. Facebook leur a rendu ce sentiment d’avoir la parole. Une parole réglementée par les propriétaires de l’outil, une parole massivement distribuée par des méthodes mafieuses, une parole qui se diffuse au rythme de sa propension à ne pas être complexe. À bien y regarder, on retrouve ici la spoliation que jadis certains esprits vifs avaient décelé dans la distribution du travail.
Solidarité avec toutes les victimes du fascisme brésilien.