Ayotzinapa (Mexique) : notre douleur, notre rage

mis en ligne le 4 décembre 2014
1757MexiqueEt, maintenant, comment faire pour continuer à avancer dans cette nouvelle étape ? Depuis le 26 septembre 2014, le Mexique se voit tel qu’il est et le monde à nouveau découvre une réalité que l’on ne peut plus cacher et qui s’est révélée de la façon la plus terrible qui soit. Iguala est le lieu où le Mexique de douleur et de mort ne peut plus ignorer sa réalité, c’est le lieu qui a empli le monde entier d’indignation, c’est le lieu où le secret muet s’est converti en un cri de douleur et de rage. Quarante-trois étudiants disparus, trois étudiants assassinés. Tous assassinés et disparus à Iguala, tous assassinés et disparus par l’État. Tous assassinés et disparus par le pacte d’impunité qui lie la classe politique.
Mais, désormais, il ne suffit plus de parler d’impunité, car les institutions qui auraient dû exercer la justice non seulement ne le font pas mais elles se protègent elles-mêmes de leurs propres délits ; en réalité nous sommes devant un système qui trouve toujours comment et qui punit, de façon exemplaire et spectaculaire (coupable ou innocent), afin de pouvoir garder intacts le grand commerce de la corruption et les structures brutales du pouvoir qui maintiennent le pays entier submergé par la violence.
Au Mexique, ce n’est pas le système qui est corrompu, c’est la corruption qui est le système. Ce n’est pas qu’il y a de plus en plus de « vides » de l’État, mais c’est que ce qui apparaît comme des « vides » est en réalité plein de la nouvelle mutation de l’État mexicain : le Narco-État. Le couple Abarca (qui dirigeait jusqu’alors Iguala) est une terrifiante démonstration du lien entre le gouvernement et le crime organisé, mais le pire c’est que ce n’est pas le seul ni le pire exemple, c’est précisément un exemple de ce que sont devenues les institutions du Mexique. À Iguala, les 43 étudiants d’Ayotzinapa sont également la terrible preuve que les actions du Narco-État sont contre-insurrectionnelles, qu’elles cherchent la criminalisation des luttes, qu’elles cherchent à contrôler par la terreur, qu’elles cherchent le génocide de l’espoir.
Dans ce Mexique brisé, « sécurité » signifie « vivre terrorisé », entouré de militaires et policiers, surveillé en permanence. Dans ce Mexique brisé, les appareils des droits de l’homme sont utilisés pour s’assurer que les véritables agresseurs échappent à la justice et puissent continuer à agresser.
Dans ce Mexique brisé, l’ex-maire d’Iguala, José Luis Abarca, est accusé de nombreux délits, mais pas de celui qui entraînerait la reconnaissance de la responsabilité de l’État, celui de disparition forcée.
Dans ce Mexique brisé, María de los Angeles Pineda est maintenue aux arrêts pendant quarante jours et Noemi Berrument Rodriguez, protectrice du couple accusé, est laissée en liberté, tandis que ceux qui s’opposent au système, ceux qui défendent la terre, ceux qui exigent justice, ceux qui se solidarisent avec les familles des 43 étudiants disparus par l’État, ceux qui éclatent d’indignation, sont immédiatement emprisonnés.
Dans ce Mexique brisé, le pouvoir se scandalise lorsque quelqu’un brûle une porte en bois, tandis que pour les centaines de milliers de morts, les centaines de milliers de disparus, les centaines de milliers de déplacés, il n’y a que des montages médiatiques, de longs procès bureaucratiques, de fausses condoléances, mais jamais de justice.
Le message derrière la façon dont tout a été fait à Iguala, derrière les milliers de morts et de disparus dans tout le Mexique, c’est qu’aucune vie n’a de valeur, et que, depuis ces « nouvelles institutions », la façon de gouverner c’est désormais la mort.
Pour toutes ces raisons, après que le monde ait espéré, par une enquête rigoureuse une réponse quant à la situation des 43 normaliens disparus, il est indigne et douloureux de constater que les enquêteurs aient montré non seulement leur incompétence, mais également un impressionnant manque du minimum de respect envers les familles des victimes et, à travers elles, envers toute la société, car leur unique objectif est de biaiser les enquêtes afin d’occulter la vérité.
L’indignation a grandi, a débordé les places, croissant semaine après semaine. Les manifestations, les actions, les grèves démontrent que, malgré les mensonges, les montages, les calomnies et les tromperies de la part du « gouvernement mexicain », toujours absent lorsqu’il s’agit de donner des réponses, le peuple mexicain et d’autres parties du monde ont fait leur le slogan : « Vivants ils les ont pris, vivants nous les voulons ». Dans de nombreux endroits, aussi bien au Mexique qu’à l’extérieur du pays, des étapes importantes ont été franchies rapidement vers de nouveaux cris qui résonnent : « Nous ne vous croyons pas » ; « C’est un coup de l’État » ; « C’est bon, j’en ai marre » ; « Nous sommes tous Ayotzinapa ».
À Iguala, la logique politique est devenue visible, celle qui a fait que, dans notre pays, 180 000 morts nous font mal et que nous continuons d’attendre plus de 20 000 disparus. Aujourd’hui, nous rejoignons la rage active des pères et des mères des étudiants disparus, aujourd’hui nous leur disons que nous attendons que les 43 reviennent, que nous ne croyons pas à la farce par laquelle ils espèrent balayer cette indignation et cette rage générale. Ayotzinapa est le début de quelque chose qui grandit dans les salles de classe et dans les rues.
Ces dernières semaines, un mouvement qui clairement identifie qui ils sont est en train de naître. Dans ce nouveau processus, la peur est en train de reculer, il devient impossible de rester simple spectateur et cela ouvre la possibilité de se demander comment faire pour que notre énergie sociale parvienne à ouvrir une voie qui permette à la société, depuis le bas, d’imposer au gouvernement la vérité avec toutes ses conséquences. Comment continuer à avancer dans cette nouvelle étape ?
Ayotzinapa ne fait pas seulement mal au Mexique, c’est le monde entier qui a mal.

Internationale des Fédérations anarchistes