Les larmes de Madame Tapie

mis en ligne le 19 juin 2013
Le feuilleton Tapie-Crédit lyonnais, ou Tapie-Lagarde ou Tapie-Sarkozy ou… comme vous voulez, ce feuilleton n’en finit plus de rebondir. Les saisons 1, 2, 3 se suivent et amènent chacune leur lot de révélations et de nouvelles interrogations. Alors qu’un arbitrage de l’État sous l’ère Sarkozy semblait avoir clôt cet encombrant dossier au bénéfice de Bernard Tapie, voilà que le gouvernement actuel par le biais de Moscovici, son ministre des Finances, remet en cause cet arbitrage. Et tout le gratin de la politique de défiler devant la justice, certains s’en tirant moins mal que d’autres. Ainsi Christine Lagarde, finalement entendue au titre de « témoin assisté », a pu passer entre les gouttes, mais derrière ou autour d’elle ça morfle grave. Ne serait-ce qu’au vu de l’énoncé du chef d’inculpation retenu qui ne laisse aucune équivoque : escroquerie en bande organisée. On se croirait dans une de ces petites arnaques financières, sauf que là, la « petite arnaque » atteint tout de même les 403 millions d’euros (excusez du peu !). C’est le chiffre qui a été fixé par la fameuse commission d’arbitrage. Tout avait commencé avec Jean Louis Borloo, à l’époque ministre des Finances de Sarkozy (et accessoirement ami et ancien avocat d’affaires de Tapie), qui avait initié ce fameux « arbitrage » quand il était aux commandes à Bercy. C’est à ce moment-là (2007) que Borloo présente à Tapie Stéphane Richard, son directeur de cabinet qui deviendra ensuite celui de Christine Lagarde quand celle-ci succédera à Borloo à Bercy.
Stéphane Richard, aujourd’hui PDG d’Orange, a donc été un des trois juges-arbitres de l’affaire Crédit lyonnais-Tapie (qui s’y connaît en juges et en arbitres !). Placé en garde à vue au début de la semaine dernière (10 juin), Stéphane Richard prétendait au Canard enchaîné avoir reçu comme instruction de recourir à un arbitrage pour régler le litige Tapie-Crédit lyonnais. Instruction reçue de qui ? De Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Élysée (lequel se débat actuellement au milieu d’un tas de casseroles). Autre version du même Stéphane Richard : « Il n’y a pas eu d’instruction, ni d’ordre, mais tout le monde connaissait la position de l’Élysée. » Hospitalisé à la fin de sa garde à vue, il aura le temps de choisir sa bonne version, pour son nouveau statut : de « gardé à vue » il est passé à « mis en examen », comme cet autre personnage clé, lui aussi placé en garde à vue et lui aussi promu « mis en examen » : Jean-François Rocchi, ex-patron du CDR (Consortium de réalisation), organisme chargé de gérer les passifs du Crédit lyonnais. Et, pour compléter l’escroquerie en bande organisée, nous avons la mise en examen d’un autre arbitre, le magistrat Pierre Estoup, ancien premier président de la cour d’appel de Versailles. Interrogé il y a un mois sur Europe 1, Bernard Tapie, toujours aussi péremptoire, affirmait ne pas connaître Pierre Estoup. Sauf que… et bien sauf que ce dernier a reçu en cadeau un livre de Bernard Tapie (il écrit des livres aussi !) dédicacé, où ce dernier le « remercie avec toute son affection » (dédicace datée du 10 juin 1998, soit dix ans avant l’arbitrage rendu le 7 juillet 2008). Ou Bernard Tapie a une mémoire très sélective, ou il a l’habitude de distribuer des autographes du genre : « Machinalement vôtre. Signé Nanard. »
Notre « pauvre » Nanard est quelque peu crispé ces temps-ci : l’arbitrage rendu en 2008 va-t-il être contesté s’il s’avérait qu’il y avait « atteinte aux intérêts de l’État » ? Tapie n’hésite pas à se substituer à l’État en déclarant le 2 juin au Journal du dimanche : « J’annule l’arbitrage s’il y a entourloupe. » Arbitrage et entourloupe étant les deux mamelles du système Tapie, on ne doute pas un instant que cette affaire va retomber comme un soufflé dont on attendait beaucoup trop. Et puis 403 millions d’euros, ça représente peut-être 27 000 années de smic, ou un abonnement de soutien au Monde libertaire pour plus de qutre cents ans, mais Tapie, la main sur le cœur, des trémolos dans la voix, nous explique sans rire qu’après les frais de liquidation le paiement des impôts et le de ses dettes, il ne lui reste plus que… 100 millions (et c’est bien connu : aujourd’hui, pour cent briques, t’as plus rien). Il nous explique aussi, toujours avec des trémolos dans la voix, que pendant ses ennuis judiciaires, quand les huissiers débarquaient chez lui, sa femme Dominique allait s’enfermer dans les WC pour pleurer. Si ça ne vaut pas une compensation ça, je ne m’y connais pas. C’est ce que s’est dit la commission d’arbitrage qui a statué : 45 millions d’euros pour préjudice moral ! Un conseil, la prochaine fois que votre compagne ou compagnon va pleurer dans les chiottes, n’oubliez pas de prendre une photo et de l’envoyer à qui de droit : 45 millions, c’est quand même autre chose que les oboles de 15 000 euros alloués aux victimes de l’amiante.
L’illusionniste Tapie a fixé notre attention sur les larmes de son épouse, en escamotant dans le même temps la ventilation de ses biens actuellement disséminés « judicieusement » à Londres, Bruxelles, Luxembourg, Malte, île de Man, Monaco… Bref, un véritable circuit des paradis fiscaux qui lui permet de ne pas payer 1 euro d’impôt. Il est pas fort notre Nanard fils d’ouvrier, parti de rien ? Lui qui s’est présenté pendant des années comme un sauveur d’entreprises (qu’il n’a jamais sauvées de quoi que ce soit) rachetant pour 1 franc symbolique des sociétés qu’il revendait après plus-value confortable, sans se préoccuper le moins du monde de ce qu’il advenait du personnel ballotté et liquidé au gré de ce jeu de Monopoly (Teraillon, Testut, Teral, Wonder, Look, La Vie Claire, Adidas… la liste est longue et donne le vertige).
Son dernier rôle ? Citizen Kane. Il a récupéré une partie de l’ancien empire Hersant à savoir : La Provence, Nice-Matin, Corse-Matin… C’est-à-dire la presse du Sud-Est (et notamment Marseille), ce sud qu’il n’a jamais vraiment lâché des yeux depuis son heure de gloire à l’OM. Alors, gageons que le feuilleton Tapie va connaître d’autres épisodes, si ce n’est d’autres saisons. Pendant la crise, les affaires continuent.