Morte, la bête

mis en ligne le 18 avril 2013
Enfin ! Elle en a mis du temps ! Il y a des mois que la bonne nouvelle était attendue avec fébrilité, espérée sans trop y croire et c’est enfin arrivé. Cette vieille carne de Thatcher, cette dame de fer comme ils disaient, va désormais pouvoir aller rouiller en enfer. Laissant derrière elle un très très lourd bilan, beaucoup trop de morts, beaucoup trop de larmes pour pouvoir cette fois démentir la fameuse phrase de Vitellius, que « le cadavre d’un ennemi ne sent pas toujours bon ».
Et oui c’est le temps des réjouissances. Par l’individualisme poussé à l’extrême, par la glorification et l’édification de l’ultralibéralisme, par sa lutte implacable et bornée à l’encontre des affaires d’Irlande ou du syndicalisme, par sa politique électoraliste et mortifère dans la stupide guerre des Malouines, elle a incarné tout ce qu’un homme généreux, honnête et un peu progressiste déteste. Les déferlements de joie et de bonheur dans les rues de Belfast-West, de Liverpool ou de Glasgow sont là pour témoigner de tout le bonheur et de toute la joie de voir enfin disparaître cette chirurgienne sans anesthésiants, et quand bien même en aurait-elle eu, cette fossoyeuse des luttes sociales pour le seul profit de la finance, de la Bourse, de la City, pour la liberté du renard dans le poulailler et pour laquelle n’importe quelle fin a pu justifier n’importe quels moyens. Brutalité, mépris, arrogance, ces mots ne sont sans doute pas assez forts.
Les exemples sont terribles. Terribles et nombreux. Décidée à faire la peau des mineurs britanniques et de leurs puissants syndicats, elle entamera une lutte qui durera près d’un an. Charges mémorables à cheval, répression féroce conduiront à une cuisante défaite des grévistes et à un affaiblissement syndical qui se ressent encore aujourd’hui, malgré un soutien appuyé des syndicats en particuliers français (hé oui ! n’oublions pas la CGT is magic). Il s’en suivra 11 300 arrestations et 9 morts. La paix des cimetières.
Mais elle n’en était pas à son coup d’essai. Cette sinistre fossoyeuse aura vainement essayé de désamorcer le conflit nord irlandais. Cette guerre – qui, rappelons-le utilement, ne fut nullement de religion – va montrer au monde atterré la plus hideuse grimace de Thatcher. Les grèves de la faim de ceux qui ne demandaient rien d’autre que le statut de prisonniers politiques finiront de manière dramatique. Dix morts de faim dans la sinistre prison de Long Kesh, dix morts après une grève de l’hygiène épouvantable, dix morts désirées, programmées par son appétit mortifère et féroce. Dix morts qui ne l’ont jamais fait plier. « Notre vengeance sera le rire de nos enfants », écrira le plus célèbre et le plus emblématique d’entre eux : Bobby Sands. Un bien beau crachat à la gueule et bien mérité. « La classe ouvrière a été martyrisée en Grande-Bretagne du fait de sa politique. »
« Son rôle dans les affaires internationales fut tout aussi belliqueux », selon Gerry Adams ancien négociateur des accords de paix nord irlandais. Le monde se rappellera surtout de « Thatcher pour son rôle honteux dans les grèves de la faim de 1980 et de 1981 et pour son échec lamentable vis-à-vis de l’Irlande. » Et si la Guinness a coulé à pleins torrents l’autre soir, ce ne fut que justice.
L’inventaire n’est malheureusement pas terminé, n’oublions pas la sinistre pantalonnade de la guerre des Malouines : près de 900 soldats tués pour un caillou perdu de l’Atlantique-Sud, revendiqué à la fois par l’Argentine et la Grande-Bretagne. Cette victoire militaire s’accompagnera d’un succès électoral. C’était bien là l’enjeu réel et qu’on ne nous fasse pas le coup de vouloir expliquer la chute de la dictature argentine par cette défaite. Trop facile.
Ce rebut de l’humanité n’hésitait pas à se choisir des soutiens honteux. Comme en témoignent ses remerciements à Pinochet pour avoir apporté la « démocratie » au Chili.
Alors restons-en là, n’oublions pas ce qu’elle fut et tout le mal qu’elle a pu faire. Le gouvernement anglais s’apprête à lui payer un enterrement de 12 millions d’euros.
Laissons le mot de la fin à Ken Loach, qui propose de « faire un appel d’offres pour ses funérailles et de choisir le moins cher »… Pour une fois qu’un trotskyste me fait rire.
Mais la fosse commune c’est bien aussi.