Ça pue à Rouen !

mis en ligne le 6 février 2013
Il y a quelques mois, un camion-citerne transportant du carburant a eu un accident sur le pont Mathilde de Rouen et s’est enflammé. Cet événement a entraîné la destruction partielle du pont et les travaux de réparation vont durer près de deux ans. Ce pont permettait à plus de 60 000 véhicules d’éviter, chaque jour, la ville. Vous imaginez le bordel désormais ? Le quotidien dans la région s’est donc compliqué, d’autant que la municipalité refuse toujours la gratuité des transports publics, même en cette période de bouchons et de détournements de circulation.
Rouen est connu pour son climat pluvieux et pour son taux de pollution élevé. Faut dire que l’industrie y est encore bien implantée et compte 71 sites à risques. Même si les friches industrielles s’agrandissent et les plans de suppression d’emplois se multiplient.
Donc, ce lundi 21 janvier, a eu lieu un nouvel incident industriel 1 sur l’agglomération rouennaise. Une réaction chimique suivie d’une fuite de gaz dans l’usine Lubrizol qui a entraîné des dégagements d’odeurs perceptibles jusqu’en région parisienne et même en Grande Bretagne.
Le gaz incriminé, le mercaptan (pour les chimistes du « méthanethiol » formule CH3-SH), est un adjuvant qu’on mélange au gaz naturel pour, justement, détecter les fuites éventuelles. Ce gaz est présenté comme inoffensif 2. Sauf que, lors de cette fuite, les urgences des hôpitaux ont dû soigner des vomissements, nausées, saignements de nez et problèmes respiratoires chez les personnes fragiles et asthmatiques.
Et si les écoles n’ont bizarrement pas été évacuées, le match de foot Rouen-OM qui devait se jouer le mardi a été reporté.
Il a fallu plus de quatre jours pour que la fuite soit en grande partie étanchée et que le produit incriminé soit envoyé dans une entreprise de retraitement.
L’usine Lubrizol est une usine qui ne fait pas parler d’elle outre mesure, mais c’est quand même la troisième fuite de grande ampleur dans cette usine depuis 1975. Implantée à Rouen depuis 1954, elle fait partie du groupe américain Berkshire Hattaway, empire du milliardaire américain Warren Buffet. Il y a trois sites de production Lubrizol en France, basés à Rouen, au Havre et à Mourenx, qui fournissent des additifs pour les huiles pour moteurs et pour l’essence et le carburant. Cette usine est tellement fermée sur elle-même, avec une forte « culture d’entreprise », qu’il n’y a pas de syndicat et qu’on n’a jamais vu de salariés de cette boîte – ils sont environ 500 – lors des manifs, même pour les retraites. Pire même, les quelques salariés qui se sont essayés à créer un syndicat ont été virés.
On sait que ce ne sont pas toujours les syndicats qui donnent les infos lors de problèmes de pollution, de peur que ça fasse fermer la boîte, mais cette fois c’est encore pire. Seuls la préfecture, le ministère de l’écologie et la direction de l’usine ont distillé des infos d’apaisement, sans qu’il y ait eu d’analyses et de mesures prises. Les seules informations sur le taux de mercaptan échappé sont venues de la direction de l’usine, sans qu’elles puissent être vérifiées. On ne sait toujours pas si des salariés ont été touchés et gazés. Enfin, le directeur a parlé de négligences et de fautes humaines sans qu’on sache les tenants et aboutissants et, là aussi, pas de trace du CHSCT.
Il n’y a pas eu d’alerte, de sirènes d’actionnées (alors que c’est obligatoire et inscrit dans les plan d’organisation interne en cas d’incident), de consignes de confinement envoyées à la population par le biais des radios locales. Rien. Presque comme si tout cela était normal.
La direction se targue d’être une entreprise certifiée « qualité, environnement et santé/sécurité et s’engage avec Lubrizol à suivre ‘‘la charte mondiale Responsable Care’’ pour assurer et améliorer en permanence la sécurité de son environnement, des hommes et de ses installations » (sic). Mais on voit que ça ne change rien et que ce ne sont que des paperasses qui n’empêchent pas les catastrophes. Parce que le travail dans l’industrie chimique ce sont le sous-effectif chronique, la polyvalence accrue, des effectifs réduits et un recours à la sous-traitance.
On pourra faire tous les plans de prévention des risques technologiques et autres, on ne pourra que constater l’extrême fragilité des sites industriels en zone urbaine, où un accident peut survenir à tout moment, d’autant que les ateliers sont vieillissants, les mesures prises pour assurer la sécurité des personnes sont toujours faites a minima. Les industriels font juste ce qu’ils veulent. La catastrophe d’AZF n’a pas changé leurs pratiques, même si des lois inappliquées ont été votées depuis. Cette fois, l’usine incriminée (classée à risque Seveso 2) est située aux bornes de Rouen, près de zones d’habitation, à 500 mètres d’un groupe scolaire et tout près du futur « écoquartier » (re-sic) où il est prévu de loger 10 000 personnes.
La direction de Lubrizol a également prévu d’agrandir son périmètre rouennais au détriment de l’usine du Havre, gageons que les enjeux économiques passeront avant la qualité de vie et la santé des habitants.
Le fait que Lubrizol est une usine refermée sur elle-même (sauf quand elle lâche ses gaz) entraîne que les habitants de l’agglomération verraient avec moins de difficultés la fermeture de cette usine, plutôt que celle de Pétroplus, la raffinerie qui survit depuis un an et qui fait quand même partie de l’histoire sociale de la région, bien qu’encore plus dangereuse potentiellement.









1. Dans le jargon industriel, on parle d’incident lorsqu’il n’y a pas de blessé, d’accident lorsqu’il y en a au moins un, et de catastrophe lorsqu’il y a un ou plusieurs morts.
2. Deux agents SNCF sont morts après inhalation de ce gaz, il y a près de vingt ans.