Silence on meurt

mis en ligne le 8 novembre 2012
1686LiberteUn nouveau suicide de détenu a eu lieu dans la nuit du lundi au mardi à la prison de Vivonne, nous apprenait La Nouvelle République, ce 4 octobre. Le troisième depuis l’ouverture de cette taule. « Il n’avait rien à faire en prison. Il devait sortir dans un mois », dit l’avocat de la famille. La compagne du détenu porte plainte contre X pour homicide involontaire.
La France, dernier pays d’Europe occidentale à avoir aboli la peine de mort, perpétue de fait cette tradition avec un système carcéral dont les conditions d’enfermement sont jugées honteuses et indignes par de nombreux rapports et ont donné lieu à des condamnations régulières de la France à cause de l’état lamentable de ses prisons. De fait, les conditions d’enfermement bafouent les droits les plus élémentaires des individus. Entre 2,4 et 4 m2 par détenu, murs nus, bouffe immangeable, fournitures (cantine) hors de prix, toilette exposée au regard des codétenus, quartiers disciplinaires avec une durée récemment réduite à trente jours… toujours deux fois plus que dans les pays voisins. Un grand nombre de prisonniers souffrent de troubles psychiques : près de 20 % des détenus seraient même psychotiques. Conditions de soins désastreuses, détenus encore trop souvent attachés à leur lit. Arbitraire total de l’administration pénitentiaire.
Et des murs, toujours des murs, pour briser les liens humains, briser les familles avec des gosses qui, privés de parents, se retrouvent eux aussi enfermés – dehors. Briser l’espoir, briser l’esprit. Les partenariats public/privé (comme dans la taule de Vivonne, fournie par Bouygues), censés créer des prisons neuves et propres, avec plein de sas et de dispositifs de surveillance électroniques, n’ont rien arrangé, si ce n’est le portefeuille des capitalos engrangeant les contrats. Bien au contraire : l’isolement et l’enfermement y sont encore plus fortement ressentis.

Une peine de mort qui ne dit pas son nom
Dans ces conditions, comment s’étonner que l’on meurt beaucoup plus en taule aujourd’hui qu’avant l’abolition de la peine de mort ? Le taux de suicide en prison a été multiplié par cinq ces cinquante dernières années. La France étant, là aussi, championne de l’Europe des Quinze avec vingt suicides pour 10 000 détenus. On se suicide six à sept fois plus en taule qu’à l’extérieur. Tous les trois jours, un suicide a lieu dans les prisons françaises… et c’est toujours la même musique, celle, en sourdine, du silence de l’administration pénitentiaire, celle du dédouanement des syndicats de surveillants pénitentiaires : « On n’a rien vu venir. Ce n’était pas quelqu’un qui avait donné des signes avant-coureurs de difficultés », déclare le secrétaire local de l’Ufap-Unsa.
L’application des peines planchers a encore augmenté la surpopulation carcérale. La France est championne là aussi, venant de battre un nouveau record historique en juillet dernier avec 67 373 détenus et une surpopulation de près de 118 %.
La promiscuité accroît le désespoir des détenus. Dans ces conditions, le taux de suicide a encore augmenté ces dernières années. Il concerne d’ailleurs deux fois plus les prévenus encore non jugés, c’est-à-dire présumés innocents, que les condamnés.
On entend souvent dire qu’il faut tout de même des prisons pour punir et donner une « bonne leçon » aux délinquants. Or, les taux de récidive les plus élevés concernent les personnes ayant fait toute leur peine en taule, a contrario, les plus faibles taux de récidive concernent les bénéficiaires de libérations conditionnelles, de peines alternatives et d’aménagements de peine. Rien ne pousse plus à la récidive que la pseudo-solution carcérale.
D’autre part, quel genre de crimes punit-on par la taule ? Plus de 80 % des personnes incarcérées sont punies pour des affaires comportant une atteinte à la propriété privée. Ce qui signifie qu’une très grande partie des incarcérations répondent à un système social capitaliste, inégalitaire, fondé sur la dépossession. Comment d’ailleurs ne pas faire le parallèle entre la privation structurelle de liberté à l’intérieur des murs, et celle qui a lieu d’une autre façon, hors les murs, dans les bagnes du travail aliéné avec leurs cortèges d’humiliations, de contraintes et d’épuisements psychologiques ? La taule est le pilier de cette société injuste, définie par l’exclusion, la répression et le contrôle social.
Une société de classes où jamais les grands requins ne sont jugés, seulement les petits poissons pris dans les mailles du filet de la misère.
Face à ce constat, le gouvernement socialiste a annoncé qu’il allait créer davantage de places en prison, aussi bien pour les adultes que pour les mineurs (construction d’EPM). Toutes les statistiques démontrent que plus il y a de places en taule, plus on les remplit : construire de nouvelles prisons n’a jamais résolu le problème de surpopulation carcérale. C’est juste condamner à la destruction psychologique et physique et au suicide toujours plus de pauvres. Et à la récidive (63 % des détenus ayant purgé toute leur peine en taule récidivent dans les cinq années), pour que jamais ils n’échappent au désespoir et à l’image que la société leur renvoie.
En fait, il s’agit, ni plus ni moins, de perpétuer la peine de mort.

Groupe Pavillon noir



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Isee

le 22 novembre 2012
"Celui qui construit des prisons s'exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté"
Stig Dagerman, 1952