L’escroquerie électorale en perte de vitesse ?

mis en ligne le 28 juin 2012
Le taux d’abstention, selon le CSA, a atteint 44,4 % dimanche 17 juin dernier, soit un record absolu sous la Ve république à des élections d’échelle nationale. À rapprocher de l’abstention croissante aux élections cantonales (56 % en 2011), régionales (53,6 % en 2010) et européennes (59,4 % en 2009). Quant à l’abstention aux élections municipales – qui intéressent traditionnellement les électeurs du fait de l’enjeu local et de leur impact directement ressenti sur le lieu de vie –, elle n’est pas en reste : son taux est monté à 35,5 % en 2008.
Si l’on tient compte du fait que de 10 % à 13,3 % des gens potentiellement aptes à voter ne sont même pas inscrits, le constat est sans appel : hier, seuls entre 38,5 % et 40 % des gens en droit de voter en France ont jugé utile de désigner des élus pour les « représenter ».
Ainsi, les « élus à la majorité » sont propulsés « représentants des Français » par des votants de plus en plus minoritaires au sein des populations.
C’est une véritable inquiétude pour les institutions politiques, économiques et médiatiques, ressassant leurs injonctions culpabilisantes à accomplir le « devoir citoyen ». Leurs discours fébriles sur l’abstention et la perte du sens « civique » dissimulent mal le malaise de ces castes dominantes.
Celles-ci savent trop bien qu’elles ne nous dominent jamais par la seule force armée de leurs vigiles en uniformes, mais en imposant l’assentiment. Depuis la création des premiers états de l’antiquité, c’est-à-dire d’associations de bandes armées de racketteurs organisés, le meilleur arsenal du pouvoir autoritaire rassemble avant tout ce qui peut donner un semblant de légitimité à sa violence instituée. Avec l’avènement de la « démocratie », les balivernes religieuses ont peu à peu cédé la place à la mascarade électorale. Les élections sont redoutablement efficaces sur des populations dont on a brisé par la force toute possibilité collective réelle de décision et de révolte : les individus doivent être atomisés, isolés dans les rouages de la machine à obéir. Sans culture collective autre que celle du réflexe d’obéissance imposé par des années d’« éducation », la grande majorité des individus soumis adoptent les présupposés du système dominant, en les croyant leurs, en les faisant leurs.
On peut dès lors, lentement, passer du seul droit de vote des riches (suffrage censitaire), au suffrage dit « universel », avant d’y ajouter les femmes un siècle après… et peut-être les étrangers un jour, qui sait.
Ce qui compte, pour entretenir cette illusion que les dominants sont désormais « représentants » de leurs dominés, c’est que la « majorité » des exploités renouvelle, à intervalles réguliers, l’assentiment à ce que les puissants décident à la place de tous.
Peu importe aux détenteurs du capital qui sera élu préposé à la garde de leur coffre-fort, si le capital privé (ou étatique) demeure le monopole absolu de la décision économique, c’est-à-dire de la décision politique réelle. Les élections reposent sur le socle institutionnel des démocraties modernes, consistant depuis plus de deux siècles à relayer la conception de la liberté par la propriété, écrite et célébrée dans le marbre des droits de l’homme (riche).
Ainsi donc cette croyance, cette projection hallucinatoire de nos prétendues volontés dans un corps national éthéré, incarné dans un « élu », ce fantôme, se fissure en apparence. La bourgeoisie s’inquiète, à juste titre. En Grèce et ailleurs, la révolte gronde, malgré les larmes, les armes et la prison.
En France comme partout, la république est un cadavre, qui s’est construit sur des cadavres. La bourgeoisie s’acharne donc sur ce cadavre républicain, en rajoute dans un « pluralisme » bidon, ici rose ou bleu, là-bas salafiste ou bidasse, quitte à transformer le zombie en Frankenstein à grosses coutures maladroites. Le problème, c’est qu’il est tellement pourri qu’il fait la même bouillie indistincte, le même Flamby. On le met sous l’électrode « majorité », aujourd’hui rose, demain brune, peu importe… tant que la « majorité » croit qu’elle s’est exprimée. On bidouille des énièmes tours de passe-passe, pour que les pitoyables miettes de voix grappillées par un candidat au premier tour ressemble vaguement à une « majorité ». Le mensonge est énorme, peu importe. Les maîtres se moquent bien du bavardage des esclaves sur la gestion de leur servilité, au contraire ils l’encouragent, si cela peut aider les esclaves à oublier qu’ils ont des chaînes.
La société devient-elle anarchiste parce que l’abstention progresse aux législatives ? Quel doux rêve. On aimerait bien ! On aimerait que l’abstention se mue en abstention active, que les gens désobéissent, occupent leurs quartiers, leurs boîtes et leurs pôles emplois, investissent les logements vacants, se rencontrent, s’organisent, que leurs mandatés soient révocables et appliquent techniquement les résolutions adoptées en assemblées populaires… On l’aime cette révolution et on se battra toujours pour elle, parce qu’on se bat pour nous. Mais il faut remettre les pieds sur terre : l’abstention ne dit absolument rien sur la possibilité d’un basculement révolutionnaire dans l’anarchisme. Elle ne reflète qu’un désarroi de plus en plus lourd, pouvant tout aussi bien donner lieu à une révolution sociale et libertaire, qu’à la résignation la plus abjecte et à l’acquiescement au fascisme. On terminera cet article sur le chiffre obstinément bas depuis toujours, volontairement omis en introduction, de la faible abstention à l’élection précédente.
Ce sont les mêmes qui s’abstiennent aujourd’hui, qui ont voté hier en nombre à l’élection qui résume le principe même de l’aliénation au principe autoritaire représentativiste, poussé à son plus consternant paroxysme. La soumission au grand cadavre incarné, l’élection césariste par excellence inventée par Napoléon III : l’élection présidentielle. Peu importent les idées, peu importent le vernis des pinaillages politiciens : on sait trop bien qu’on ne décide de rien, que le vote aux élections législatives est au pire un réflexe d’animal de laboratoire, au mieux un pis-aller contre le candidat-épouvantail d’en face. Si la grande majorité ne vote plus, dans un summum de résignation et de soumission collective, que lorsqu’il s’agit d’élire un César, incarnant à lui tout seul le rôle grand-guignol de « représentant du peuple français », c’est parce que la France glisse vers le fascisme, et qu’il y a tout lieu de s’inquiéter. Le bloc rose triomphe, sur fond sonore d’expulsions d’étrangers à la Valls, d’éructations « moranesques » sur le vote des étrangers transformant la France en « Liban », de grognements lepénistes, de slurp d’écolos suçant de l’uranium. Et des cris de sept compagnons antifascistes, arrêtés le soir du deuxième tour des législatives à Hénin-Beaumont et emmenés au commissariat de Lens.
Vu ce qui nous pend au nez comme dévastation sociale, il serait peut-être temps de sortir de l’incantatoire et de nous organiser sérieusement.

Juanito, groupe Pavillon noir de la Fédération anarchiste



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


julien bézy

le 9 juillet 2012
Un début d'organisation n'est-il pas un début d'ordre donc de soumission, à moins que ce soit un ordre libertaire à la Camus.

Daphivid

le 12 juillet 2012
Julien,
les ennemis de classe sont organisés; les systèmes d'oppression sont organisés; rejeter l'organisation des résistances au prétexte qu'elle serait soumission est, à la fois, un refus de s'engager dans la lutte et donc un laisser faire qui profite donc aux dominants; et un refus de regarder la longue histoire des formes d'organisations sociales, politiques et syndicales dont l'humanité s'est dotée pour avancer vers l'émancipation. Dans ce magma encore bouillonnant, les anarchistes ont pris en compte les exigences éthiques d'autonomies individuelles et collectives au sens libertaire. Ils ont donc apportés des réponses, souvent inabouties, mais des réponses à la nécessité de l'organisation pour instaurer un rapport de force.