Procès : l’emmerdeur public n° 1

mis en ligne le 23 avril 1987
Roger Knobelspiess a-t-il été irrémédiablement condamné avant le début du procès de Rouen et avant le début de l'instruction de Perpignan ? Libération conclut un article par : « la prison l'attend pour vingt ans ». Le reste de la presse dit : Roger Knobelspiess, pris la main dans le sac ». De plus, j'ai personnellement entendu un greffier du tribunal de Rouen dire, en conversation privée avec un journaliste : « on va le mettre à l'ombre pour longtemps, il nous foutra la paix ». Le ton est donné.
Et c'est vrai, Roger Knobelspiess ne « leur » fout pas la paix, c'est un emmerdeur, un empêcheur de juger en rond, il ne respecte pas les règles du jeu, il n'en finit pas de mettre les pieds dans le plat dès qu'il le peut, quitte à s'y brûler. À peine l'instruction judiciaire l'a-t-elle entre ses pattes et derrière ses verrous, qu'il se met à écrire des livres et à tenir une correspondance imposante avec des écrivains et des intellectuels. À peine l'intelligentsia en fait-elle un symbole, qu'il retourne boire un verre avec lopes et voyous...
Comment voulez-vous qu'il en sorte intact, que les passions haineuses ne se déchaînent pas dès qu'on l'enchaîne, qu'il ne se mette pas à dos flics, juges, journalistes et belles âmes de salon ? Personne ne supporte de ne jamais le voir où on l'attend, de le voir exhiber l'atroce solitude dont vingt ans de prison l'ont revêtu. Tout le monde voudrait s'en débarrasser comme on se débarrasse d'une dent de sagesse douloureuse.
L'emmerdeur ! Voyez un peu : en décembre dernier, il devait passer devant la Cour d'assises de Rouen pour des faits qu'il n'a pas commis (le signataire de ces lignes en témoignera cette semaine devant la même cour) ; en toute logique, il allait donc être acquitté à nouveau... Eh bien non, il ne s'est pas présenté, arguant que la « Justice » a deux poids et deux mesures, que les flics qui ont tenté de le tuer en 1983 n'ont jamais été inculpés alors que lui-même n'y coupe jamais, dès qu'un tronc d'église est pillé dans la région d'Elbeuf dont il est originaire. Cette fois-ci, menottes aux poings, le voici au tribunal. « Accusé, levez-vous ! » – « Je refuse de me lever devant une justice revancharde ! » – « Votre nom ? » – « Vous le connaissez très bien ! ». L'emmerdeur ! Et en plus, il prétend en pleine audience que la parole d'un détenu vaut celle d'un avocat ! Il ne respectera donc rien ?
Si, il a toujours respecté la vie humaine. Il n'a jamais tiré sur personne, il n'a jamais pris quiconque en otage. Les journaux qui prétendaient le contraire, après son arrestation de Perpignan, sont de puants falsificateurs. La preuve : Roger, dans cette affaire, n'est inculpé ni de tentative de meurtre, ni de prise d'otage. Si jamais il avait commis l'un ou l'autre, vous pensez bien qu'on ne l'aurait pas loupé. Étonnez-vous si Roger injurie les journalistes, après cela !
Mais Presse, Justice et Police n'en ont cure. Cette semaine à Rouen, ce n'est pas une fusillade étrange (rien ni personne n'a été touché par les balles) qui sera jugée ; ce n'est pas un individu pouvant prouver son innocence (Roger n'était pas en Normandie au moment des faits et trois personnes en témoigneront) qui sera sur le banc des accusés. C'est ce qu'ils appellent l'Ennemi public n°1, et ils ont raison sur ce point: Roger Knobelspiess est leur ennemi, il n'a eu de cesse de dénoncer leur exorbitante dictature sur la vie des individus.
II y a tout à craindre, que les faits et l'alibi ne soient que quantité négligeable au moment du verdict, qu'ils assomment le symbole de leur ignominie, qu'ils lui fassent, à nouveau, atrocement payer son insolence permanente et rien d'autre.
Une chose est sûre : c'est bien cela qu'attendent les flics en civil qui font le public du procès, c'est bien cela qu'attendent les journalistes dont les manchettes à la une sont déjà prêtes. Une autre chose est sûre : si jamais Roger est condamné cette semaine à Rouen, l'air de cette époque sera encore plus irrespirable.