Thierry Maricourt, de la cellule 204 C

mis en ligne le 21 février 1985
La désobéissance est le crime des crimes. Parce qu’elle peut remettre énormément de choses en question. S’insoumettre à l’armée est une des formes de désobéissance les plus cinglantes puisque l’armée, outre son rôle de machine de guerre, est surtout une institution garante de la stabilité de l’État. Et nous savons pertinemment que l’État, de par sa structure, ne peut se montrer que réactionnaire, et de ce fait répressif.
Et la répression s’abat. Condamné l’an dernier à six mois de prison ferme pour « insoumission en temps de paix », me voici incarcéré à la maison d’arrêt d’Amiens depuis le 6 février. Profondément allergique à tout uniforme, avec les nombreux gardiens je suis servi ! Heureusement, toutefois, les détenus ont désormais le droit de garder leurs vêtements civils. Une goutte d’eau !
Ma cellule est spacieuse : imaginez dix mètres carrés à partager entre deux ou trois détenus. Il s’agit d’aimer la promiscuité et de ne pas redouter la claustrophobie ! Ici, une heure et demi ou deux heures de promenade, chaque jour, nous sont gracieusement accordées. Chaque jour, nous avons le plaisir de découvrir une cour boueuse, grise et sale. Les arbres ne poussent pas dans les prisons.
Je n’oublierai pas de parler des barbelés, autour de la cour. Ni des barreaux ornant la fenêtre de la cellule, et qu’un gardien frappe d’une barre de fer, une fois pas jour, afin de vérifier que nul ne tente une impossible évasion.
Malgré le charmant accueil des gendarmes, puis du directeur de la prison, malgré l’invitation, très cordiale, à séjourner six mois à l’intérieur de ce superbe hôtel, je décline la proposition et je demande ma libération.
Pour accélérer ma libération, je suis en grève de la faim depuis mon incarcération, c’est-à-dire le 6 février. Je tiens à réaffirmer que je n’accepterai pas de porter l’uniforme militaire. Je n’apprendrai pas à donner la mort, au nom de la Patrie, idéologie imbécile et meurtrière. N’en déplaise aux chefs de tout bord, je suis responsable et n’accepterai d’ordre de personne. Faut-il mettre sa vie en jeu pour ne pas être considéré comme un objet ?
J’attends toujours d’être transféré à Fresnes, ce que j’ai demandé au directeur de la prison dès mon arrivée. D’après lui, il n’y a pas de problème, la prison d’Amiens est surchargée (500 détenus pour 250 places), et je devrais déménager d’ici peu.
J’espère que tout va bien pour vous. Il est possible de m’écrire ici. En cas de transfert, le courrier suit. Mais n’oubliez pas, le courrier est lu.
Avec mes amitiés,