Contre le fascisme : front unique du prolétariat ? oui ! Collaboration des classes ? non !

mis en ligne le 1 février 1962
Il est douloureux qu'aujourd'hui encore, en cette veillée d'armes, existent des travailleurs qui combattent, qui haïssent presque d'autres travailleurs à cause du seul fait d'appartenir aux organisations ou partis divers et rivaux. Aujourd'hui, puisqu'il n'y a pas d'autre espoir de salut pour la bourgeoisie et le gouvernement que la division des travailleurs, trahit la cause de l'émancipation humaine celui qui, pour une raison quelconque, souffle dans le feu de la discorde et ne cherche pas, au contraire, à réunir en un seul faisceau toutes les forces révolutionnaires.
Nous sommes anarchistes et nous combattons exclusivement pour le triomphe de notre idéal. Mais le premier pas sur le chemin qui doit conduire à notre radieux idéal est l'abolition des institutions actuelles et c'est pourquoi nos frères d'armes sont tous ceux qui combattent ces institutions.
Si les autres, par esprit de rivalité et désir de prédominer tentent de nous dépeindre comme sectaires, nous, nous tendons quand même la main à tous les hommes sincères et combattons uniquement les méthodes qui nous semblent contraires à la Révolution et les hommes qui trahissent la cause qu'ils prétendent servir.
Que les travailleurs s'en souviennent :
« Quand les patrons les exploitent, ils n'en font pas question de parti et les affament tous également ; quand les carabiniers leur déchirent la poitrine avec le plomb royal, ils ne leur demandent pas d'abord quelle carte du parti ils ont dans la poche. »
Quarante-deux ans après, ces paroles de Malatesta (dans Umanita Nova, le 8 avril 1920) n'ont rien perdu de leur actualité. Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser, avec amertume, qu'elles ne furent pas comprises par les travailleurs italiens : deux ans après, le fascisme s'installait en Italie. Nous disons « s'installait », car la prise du pouvoir par les fascistes ne correspondait en rien aux vieux clichés qu'attendaient les partis de gauche : « À vrai dire, l'aspect de Florence n'était pas celui de Paris en 1789, raconte Curzio Malaparte. Dans la rue, les gens avaient l'air tranquille, indifférents et tous les visages étaient éclairés de ce vieux sourire florentin, ironique et courtois... Les théâtres, les cinématographes, les cafés étaient ouverts... La technique du Coup d'État avait fait de grands progrès dans les temps modernes... » Le fascisme s'installait, quand le potentiel, la force de frappe, l'arme redoutable qu'est la grève générale étaient du côté du prolétariat italien. Mais les grèves n'étaient plus dirigées, comme elles l'avaient été en 1919, contre l'État et le rôle des organisations ouvrières – partis et syndicats – dans la défense de l'État bourgeois italien a été le même que celui que le marxiste Bauer a exploité en Allemagne, en mars 1920, contre le coup d'État de Von Kapp.
C'est de la même façon qu'en lançant le mot d'ordre de grève D'UN QUART D'HEURE contre l'OAS, les dirigeants de la CFTC, de la FEN., de la CGT, du PC détournaient les travailleurs de leurs préoccupations de classe, renforçaient la position de de Gaulle en resserrant les liens de l' « Union Sacrée » et rassuraient la bourgeoisie par le « civisme » qu'ils sont capables d'imposer aux travailleurs. Quand Bothereau, le haut bureaucrate de la FO, justifie son abstention de manifestations publiques contre l'OAS par un anti-communisme petit-bourgeois – ce qui ne l'incommode pas de s'asseoir au Conseil Supérieur du IVe Plan aux côtés des représentants cripto-communistes de la CGT – il fait partie des « hommes qui trahissent la cause qu'ils prétendent servir », dont parlait Malatesta.
Quand le Bureau Politique du PC « appelle tous les Français et toutes les Françaises sans distinction d'opinions » , il emploie « les méthodes contraires à la Révolution ». Quand cent « anciens résistants », de M. Benoît Frachon au général Billotte, en passant par de Chambrun, amiral Muselier, Mauriac et autres curés, pasteurs, généraux, députés, ministres, anciens et futurs, appellent à « agir au grand jour contre les factieux », c'est qu'ils ont peur de cette unité qui ne se fait pas « au grand jour », de cette unité dont parlait Malatesta et qui est celle des travailleurs, par-dessus les bureaux politiques des Partis, en dehors des cadres bureaucratisés des syndicats, de cette UNITÉ DE CLASSE, qui risque d'échapper au contrôle de ces Messieurs.
Quand on traite les militants anarchistes de « provocateurs » parce qu'ils chantent L'Internationale (« Pas de provocation, camarades, chantons La Marseillaise ») et quand on trouve « peu constructif » le vieux cri populaire : « Mort aux vaches » (« Police avec nous, camarades... »), ou bien on est un jeune con, ou bien on est déjà un vieux bureaucrate coriace et pourri, mais de toute façon on manque totalement de conscience de classe et on justifie l'arrogance de de Gaulle vis-à-vis de la classe ouvrière battue et dont le concours qu'elle lui offre doit rester strictement limité au cadre étroit qu’il lui assigne.
L'Express (du 11 janvier 1962) ne le cache pas : « Contre le régime, son caractère personnel et même sa politique sociale, il n'y a pratiquement pas d'unité, ni même de regroupement possible... » Mais on veut nous tranquilliser vite car : « L'unité est – toujours d'après L'Express – déjà moins difficile et, en tout cas, plus étendue quand il s'agit d’organiser la lutte contre l'OAS. »
Même contre l'OAS, il y a, toujours d'après L'Express, deux « fronts communs » possibles : l'un avec et l'autre sans la CGT et le PC « Politiquement » – comme ils disent, car on ne va pas parler cuisine dans le salon, la politique et l'économie n'ayant aucun rapport, n'est-ce pas ? – « politiquement, donc, cette unité va des radicaux et MRP aux PSU, SFIO, CFTC, FEN et beaucoup d'autres initiales, plus ou moins mystérieuses et barbares. II y a juste l'absence de trois lettres dans toutes ces combinaisons d’alphabet qui nous a frappée : FLN. Ah ! de ceux-là, personne n’en parle, on laisse le soin à M. de Gaulle d’arranger ces choses-là. Eh bien, sages politiciens de la gauche, permettez-nous de vous dire que nous n’auriez pas à rechercher maintenant une éphémère unité si vos partis, syndicats et organisations s’étaient rangés, il y a sept ans, aux côtés du prolétariat algérien en lutte contre votre État, contre tout ce qu’il représente, contre tout ce qu’il défend. Si vous avec l’OAS maintenant en face de vous, c’est parce que vous n’avez pas voulu du FLN il y a sept ans, c’est aussi parce que vous n’en voulez toujours pas, pas plus au MRP, CFTC qu’au PSU ou au PC
Pour nous, anarchistes, les … initiales, cela compte peu ; ce qui nous importe, c’est le contenu de classe, ce qui compte c’est la certitude que nous ne pouvons pas nous opposer efficacement au fascisme sans tenir compte du prolétariat algérien, aussi bien en Algérie qu’en métropole.
Que l’on nous pardonne ce mauvais esprit si typiquement « anarchiste ». Tous leurs « appels à l’unité » puent à plein nez les combines des politiciens dans lesquelles le prolétariat ne doit pas dépasser le rôle d’un simple pion qu’on pousse sur l’échiquier, et tout cela n’est qu’une façon plus ou moins astucieuse d’esquiver le vrai problème de l’unité : celui de la création spontanée des Conseils des Ouvriers et des Paysans, des Conseils dans lesquels le prolétariat s’organisera pour combattre pas seulement contre le fascisme, mais aussi contre toutes ces « institutions » dont parlait Malatesta, contre l’État, contre le Capital, contre l’Église et pour les objectifs révolutionnaires, pour ses objectifs de classe. Car – nous insistons encore – il n’est pas possible de séparer, de partager cette lutte, il n’est pas possible de faire seulement « un petit bout de chemin ensemble ». Nous le disons clairement : cela dépend avec qui et sur quelle route, dans quelle direction.
Jamais l’alliance de la bourgeoisie et du prolétariat n’a jamais été profitable à ce dernier. Jamais le « front unique » du prolétariat et de la bourgeoisie n’a empêché le fascisme de prendre le pouvoir ; ni en Italie, ni en Allemagne, ni en Espagne.
C’est Berneri qui avait raison : pour gagner la guerre contre le fascisme – il faut faire la Révolution. On ne peut pas battre le fascisme sans faire la Révolution. Si on ne la fait pas – on perdra inévitablement la guerre contre le fascisme (Berneri, dans La guerre des classes en Espagne).
L’OAS est un phénomène issu de ce régime et qui fait partie d’un tout que l’on ne peut pas isoler artificiellement, qu’il est impossible de retirer de son contexte historique – aussi bien politique qu’économique – dans lequel il s’inscrit.
On a souvent reproché aux anarchistes leurs positions « uniquement négatives ». Pourtant, nous sommes les seuls à préconiser que les prolétaires doivent (et ils sont les seuls à pouvoir le faire) se mettre d’accord sur un programme commun minimum comme premier objectif à atteindre dans cette lutte contre le fascisme. Car nous prétendons que : Si le fascisme doit s’instaurer en France, c’est de cet État Bonapartiste, établi en 1958, qu’il sera né, c’est la neutralisation de la classe ouvrière bafouée qui l’aura permis. Ce sont les directions ouvrières réformistes et staliniennes qui en porteront la responsabilité par leurs manœuvres de fractionnement et d’étouffement de la lutte de classe, par la canalisation des travailleurs dans l’ « Union Sacrée de tous les Français et toutes les Françaises, de toutes opinions et de toutes conditions » (L’Anarcho-syndicaliste, Nantes, le 25/12/1961), par le chantage aux paras qui se traduit en mai 1958 par l’introduction de De Gaulle et le chantage à l’OAS, qui se traduit en 1961 par la honteuse génuflexion devant De Gaulle sous la bénédiction de ses matraques ! Nous disons, nous répétons, la lutte contre le fascisme, c’est la lutte de classe !

Walter