Marine, fille naturelle de Nicolas

mis en ligne le 7 avril 2011
1630AntifaMême s’ils s’en défendent, ces deux-là s’entendent comme larrons en foire. L’un se présente comme le meilleur défenseur de notre République des droits de l’homme, tandis que l’autre, héritière des adorateurs des pouvoirs autoritaires, aimerait nous convaincre de sa récente virginité démocratique. Ils n’en sont pas moins de plus en plus proches, et leurs relations incestueuses risquent de donner naissance à un monstre dont la volonté serait de nous priver de ces libertés fondamentales pour lesquelles les révolutionnaires ont tellement lutté.

Les anciens fachos recyclés
Depuis le début des années 1980, malgré des hauts et des bas, le Front national n’a cessé de progresser au sein d’une population qui perd de plus en plus ses repères. Là où le mouvement Occident, puis Ordre nouveau, avaient échoué, la tribu Le Pen a réussi à faire son trou dans la démocratie formelle développée par les ayants droit de la Résistance au nazisme. Il est vrai que la frontière est devenue mince entre les anciens admirateurs des régimes forts et les actuels porteurs des principes républicains. Dans les allées de l’actuel pouvoir, on trouve d’anciens fachos recyclés, comme Gérard Longuet, Claude Goasguen, Hervé Novelli, Éric Raoult ou Patrick Devedjian, pour ne citer que les plus connus de ces repentis. Lesquels ne peuvent que se sentir à leur aise aux côtés de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Jean-François Copé et autres Xavier Bertrand dont la rhétorique rappelle leur jeunesse plutôt agitée.
Après le départ en retraite du Borgne est venue la relève de la Jeanne d’Arc moderne, Marine Le Pen. Au risque de paraître un abominable sexiste, je dirais que l’héritière, choisie au détriment de Bruno Gollnisch – visiblement trop facho – n’est rien d’autre qu’un homme politique classique. Tout aussi nostalgique que son père du régime de Vichy, Marine diffère pourtant de l’ancêtre, ses conseillers ayant compris que le social est primordial dans le propos démagogique – crise économique oblige. Il lui est donc possible de tenir ce discours compassionnel permettant de rabattre des voix dans des régions économiquement sinistrées. Les analystes politiques peuvent même démontrer qu’au fil des consultations électorales, le Front national serait devenu, en termes de bulletins de vote, le premier parti ouvrier de France. Ce qui n’est pas un mince paradoxe, mais cela nous renvoie au peu de fiabilité du suffrage universel.

Un peu d’histoire
Au cours de sa campagne pour la présidence de la République, dès 2005, Nicolas Sarkozy témoignait de la volonté de chasser sur les terres du Front national, avec un succès évident. Surtout lorsque ce rejeton d’immigré hongrois annonçait son intention de fermer les frontières, et de ne tolérer qu’une immigration choisie. Dès son élection, il ne tardait pas à créer un ministère de l’Identité nationale, véritable machine de guerre destinée à exclure bien plus qu’à intégrer. Chacun sait que, dans ce pays, la haine de l’étranger est fédératrice de tous les rejets.
Cette volonté affirmée de rassembler sous un même drapeau l’ensemble des « vrais » nationaux n’est pas nouvelle. Les « bérets basques » du putsch manqué du 6 février 1934 ambitionnaient de réunir les anciens combattants des tranchées sous une même bannière. Il en allait de même avec le régime de Vichy qui faisait appel à la France rurale pour légitimer une volonté de retour aux pratiques du XIXe siècle. Rien n’a changé avec les idéologues de l’UMP, face à une France profonde confrontée au chômage de masse.
Les rapports incestueux entre les orphelins du gaullisme et ceux qui ne se sont jamais remis de la disparition de l’État français de Pétain ne sont pas nouveaux. Il est important d’en prendre conscience à l’heure où les uns et les autres tentent de se rapprocher discrètement. Les élections présidentielles du printemps 2012 ne sont pas tellement éloignées, et de discrètes négociations sont peut-être déjà engagées. Les exemples sont nombreux qui peuvent nous conduire à cette réflexion. Ainsi, en 1993, lors du retour de la droite au pouvoir, j’avais vainement tenté d’expliquer à mes camarades du mouvement Ras-l’Front qu’il n’y avait guère de différence entre Charles Pasqua et Jean-Marie Le Pen, et qu’il était nécessaire de combattre l’un et l’autre avec la même vigueur. Cela n’avait guère été entendu. C’est l’époque où le ministre de l’Intérieur, issu des réseaux du Sac, confiait tranquillement qu’il y avait bien des points communs entre le RPR et le Front national. Seuls quelques petits « détails » pouvaient les séparer. Nous aurons confirmation de cette possible connivence lors des élections régionales de 1998, lorsqu’à la fin d’utiles transactions, plusieurs dirigeants du RPR ou de l’UDF étaient élus à la présidence de cinq régions grâce à l’apport des voix des affidés de Jean-Marie Le Pen. Il est vrai que d’importantes concessions avaient été consenties à ces braves « nationaux » qui revendiquaient entre autres le contrôle moral des collèges et lycées.
N’oublions pas qu’en 1996, il avait été possible de voir le ministre de l’Intérieur RPR, Jean-Louis Debré, donner son aval à la création d’un syndicat Front national de la police. Avec de confortables subventions à la clé, tout comme la mise à disposition de ces forcenés de locaux de l’administration.

Front républicain ? Mon œil !
Il n’est pas possible d’oublier l’épisode des élections présidentielles d’avril 2002, lorsque dans un grand élan l’ensemble de la gauche appelait à voter Chirac pour barrer la route à Jean-Marie Le Pen. On appelait cela le « front républicain ». Sans trop de méchanceté, il n’est pas inutile de rappeler qu’un certain nombre de militants libertaires qui, d’habitude, ne votaient pas, avaient cru nécessaire d’apporter leur bulletin de vote à celui qui prenait la posture de sauveur de la République. Lequel, sans tarder, une fois élu, avait placé un certain Nicolas Sarkozy à la tête du ministère de l’Intérieur. Le petit homme ne tardera pas à améliorer la politique xénophobe ambiante, tout comme les mauvaises manières envers les sans-papiers, déjà mises en œuvre sous la gauche par Jean-Pierre Chevènement.
En 2007, réussissant à fédérer la peur de l’étranger, Nicolas Sarkozy avait pu « siphonner » l’électorat traditionnel du Front national. Ce qui ne devait durer qu’un temps. D’où cette volonté très visible de conserver ces transfuges qui paraissaient avoir tendance à s’éloigner. Pourtant, plus la garde rapprochée de Nicolas Sarkozy s’évertuait à tenir des propos identiques à ceux des Le Pen père et fille, plus cet électorat prenait ses distances. D’où cette volonté des plus hauts personnages de la Sarkozie à s’exprimer avec un argumentaire décliné par nos fachos en mal de recyclage. Pour ne pas perdre le soutien de cette France profonde qui préfère l’original à la copie, le discours honteux allait prendre de l’épaisseur. C’est ainsi qu’en pleine campagne pour les élections cantonnales, il avait été possible d’entendre le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, proclamer que « suite à une immigration mal contrôlée, les Français ne se sentent plus chez eux ». D’où la conclusion que pourraient tirer les plus tarés de nos contemporains, plus Gaulois que nature, qui estiment légitime de clamer que, décidément, « les étrangers mangent le pain des Français et leur volent leur travail ».
Cette ignominie n’a pas empêché la gauche bien pensante à appeler à voter UMP, le 27 mars, pour barrer la route au Front national, là où elle n’était pas présente au second tour. Sans doute pour sauver la République xénophobe et de plus en plus raciste. Ce qui n’empêchait pas les têtes pensantes de l’UMP de suggérer l’abstention, voire même le vote FN, lorsque les candidats du parti présidentiel avaient été éliminés. À ce niveau, le front républicain n’avait plus d’intérêt et il devenait possible pour un sarkozyste bon teint de voter bleu Marine. Ce qui démontre, s’il en était nécessaire, que ce qui sépare Nicolas de Marine n’est guère visible, au-delà de l’ambition de l’une et de l’autre.