Chronique d’une JAPD

mis en ligne le 28 janvier 2011
Tous les jeunes Français, vers l’âge de 17 ans, sont tenus de se présenter à une journée d’appel à la préparation de la défense – JAPD pour faire court – ou bien, en d’autres termes, lavage de cerveau militaro-citoyen. Sans le certificat de participation à cette journée, pas question de se présenter à quelque concours ou examen que ce soit.
Le ton est ainsi donné : « Les appelés du service national doivent respecter les obligations suivantes : […] ne pas arborer de signes politiques […] qui, par leur nature, leur caractère ostentatoire, ou les conditions dans lesquelles ils sont portés, constitueraient une manifestation extérieure de provocation, de prosélytisme ou de propagande » (extrait de l’article R.*112-15 du Code du service national).
8 h 45, les portes s’ouvrent. Lundi de novembre, ça caille sec. L’appel est fait, nous nous précipitons un par un, les doigts gelés, à l’intérieur. Des groupes sont formés, les individus placés, cartes d’identité contrôlées. Un gendarme (sans bacchantes) et un réserviste de la marine nous accueillent dans une salle. Jusqu’à 16 h 30, ils vont nous expliquer ce surprenant paradoxe : « l’armée combat pour la paix », et ce, à coup de slogans très accrocheurs (« Quand la Défense avance, la paix progresse »), de vidéos que nous sommes plusieurs à qualifier de propagande, ou d’explications laminaires ponctuées toutes les dix phrases du mot « loi ».
Premier module alléchant : être citoyen. Une vidéo nous présente la France, l’Europe et ses institutions fort démocratiques. Une autre, Et ailleurs ?. Enfants soldats, élections truquées et violentes, Yougoslavie en 1991… Le réserviste emballé nous gratifie même d’un engageant « On a bien tort de se plaindre, hein ? ». Et surtout, si quelque chose vous choque, n’hésitez pas à le signaler… Ah oui ? On nous invite à lever gentiment le doigt à coups de grognements typiquement militaires.
Le soldat tente de nous apprendre quelques rudiments de culture générale : par exemple, à Yalta, la France (notre patrie) a pris en main, au même titre que l’URSS, les États-Unis ou le Royaume-Uni, la création du nouvel ordre économique mondial. Face à une salle composée aux deux tiers d’élèves de terminale générale qui vont entendre parler de la Guerre froide durant au moins trois trimestres de leur année, ça ne passe pas si bien et ça laisse présager du triste niveau de culture générale de notre bonne armée.
On nous fait passer des tests de lecture, afin d’estimer « le niveau en lecture des jeunes Français », en langage clair, de repérer les illettrés sévères pour leur proposer un job de cinq ans renouvelable dans l’une des plus belles institutions de notre république. Inutile de dire que personne ne s’énerve à répondre correctement, puisqu’il suffit juste d’appuyer sur un bouton.
L’après-midi, les modules sont parasités par des ronflements. Un lycéen, ça digère. Mon voisin dort, je m’assoupis presque, malgré toute la meilleure volonté du monde, un autre ronfle près de la fenêtre… Misère !
Les types de la Croix-Rouge arrivent pour nous enseigner les premiers secours. Petit briefing sur les risques majeurs (en cas d’explosion nucléaire près de chez vous, fermez soigneusement portes et fenêtres) et c’est parti pour un stage de bouche-à-bouche qui nous sort un peu de notre léthargie.
Puis, c’est le retour en salle avec un dernier petit module pour nous présenter l’armée, la réserve, et tous les avantages d’une vie « doublement plus active ». Enfin, le terme de la journée s’annonce et on nous invite à noter la journée, afin « d’améliorer les suivantes ». Cette journée vous a-t-elle donné une meilleure image de la Défense ? Petits rires discrets dans la salle. 16 h 30, les portes s’ouvrent, nous nous précipitons dehors, notre beau diplôme à la main. C’est bon, nous sommes enfin en règle « au regard des obligations du Code civil national ».
Bien sûr, ce n’est pas grand-chose, une simple journée à passer, quelques heures dans une salle ; cela ne vaut sans doute pas une révolte… Mais cela reste une journée d’endoctrinement imposé, une journée au cours de laquelle la liberté d’expression n’est plus permise, et qui fonctionne avec un diplôme en guise de carotte. Un diplôme nécessaire jusqu’à nos 25 ans pour passer des examens aussi divers que les concours des grandes écoles, le bac, le permis de conduire…

Germinale



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


bill

le 31 janvier 2011
"lavage de cerveau militaro-citoyen." Je trouve cette expression exagérée.
En fait, il s'agit uniquement de la propagande du groupe majoritaire en France.

Je trouve que cette expression "lavage de cerveau militaro-citoyen." révèle le sentiment naïf que l'Etat devrait être neutre et apolitique. Ainsi, dès lors qu'il met en place sa propagande, on a l'impression qu'il essaie de nous convaincre contre notre gré.

Si, au lieu d'être allé à cette journée tu étais allé à une conférence de la CNT ou de l'UMP, tu n'aurais pas été choqué par le ton partisan des intervenants... Pourtant, l'Etat français n'est jamais qu'une institution partisane qui fait son prosélytisme, non ?

Zanoey

le 13 février 2011
"On apprend chaque jour quelque chose de nouveau" - Solon
La seule chose que j'ai appris ce jour là est que pour avoir l'air sérieux avec des rideaux à fleurs roses et jaunes, il faut s'accrocher. Surtout pour des militaires.
L'État fait sa propagande, on ne peut pas lui en vouloir, car logiquement, comme pour n'importe quelle autre publicité, on a au final toujours le choix.
Bien sûr, l'État ne fait jamais les choses comme il le faut. En plus du caractère obligatoire de la chose, la véritable anomalie dans ce processus de propagande est en effet le vulgaire bout de papier que l'on en obtient : "Un diplôme nécessaire jusqu’à nos 25 ans pour passer des examens aussi divers que les concours des grandes écoles, le bac, le permis de conduire…"
Ici encore, une belle démonstration de cette chère politique d'intégration qui en effet nous fait intégrer que l'exclusion ce n'est pas si difficile à mettre en place. Je dirais même qu'il ne suffit que d'un peu de volonté.

Loki

le 9 mars 2011
Je croit être la seule personne à gardé un bon souvenir de sa JAPD

Je m'étais ramené avec une paire de tongs, un short déchiré, un t-shirt Jimmy Hendrix et des fleurs dans les cheveux
J'ai tapé un scandale à midi sous pretexte que le cantinier essayait de m'empoisonner avec de la graille génétiquement modifiée remplie de conservateurs et autres saloperies chimiques
J'ai posé pleins de questions stupides du style "Vous avez essayer de ne pas lancer de bombes sur les gens? Je pense que ce serait un bon moyen de les proteger"

Et au final, j'ai passé une super bonne journée à me foutre de leur gueule