Fin d’un dictateur, pas de la dictature

mis en ligne le 27 janvier 2011
1620TunisieLe formidable mouvement populaire tunisien qui a abouti à la chute de Ben Ali et de son clan de maffieux a provoqué, au-delà de la surprise de l’événement et du surgissement de l’histoire en marche, un puissant courant d’espoir et de sympathie à travers le monde. Des deux côtés de la Méditerranée, les peuples ont vu dans cette révolution, dite du jasmin 2 (peut-être en référence à celle des œillets en 1974 au Portugal), que l’espace des possibles n’est pas clos. En Algérie, en Égypte, en Jordanie, partout dans le monde arabe et au-delà, des mouvements de solidarité avec les Tunisiens sont apparus, et des revendications sont lancées. Des populations soumises à la dictature se mettent à rêver : ce qui fut possible en Tunisie doit l’être ailleurs. Les aspirations des Tunisiens sont universelles : égalité, liberté, justice sociale. Ils réclament la fin de la souffrance et de la misère, la fin de l’oppression économique et politique. Dans le cours des événements, des gens qui jusque-là avaient peur de leurs voisins se sont mis spontanément à se parler, à créer des liens de solidarité, à faire face ensemble aux difficultés de toutes sortes nées des circonstances. Ce qui hier encore aurait été vécu comme insupportable est allégé par la cohésion retrouvée d’une société solidaire. Cela, les dirigeants politiques et les tenants de l’ordre l’ont aussi compris. Ils savent le danger pour eux et leur classe à laisser s’installer durablement le sentiment révolutionnaire. Le péril que ce dernier représente pour eux doit être combattu par tous les moyens. Enfin, presque tous les moyens : laissons la matraque et le fusil dans les râteliers, et usons de moyens plus subtils : insécurité liée à des mercenaires de l’ancien dictateur, qu’on exagère délibérément ; pénuries de toutes sortes qui vont sans doute finir par avoir raison de l’élan révolutionnaire de la mère de famille ; couvre-feu et interdiction de réunion sur voie publique ; intoxication médiatique. Les bonnes recettes, qui ont marché ailleurs (par exemple en Roumanie en 1989…), pourraient bien là aussi faire leur office. Des élections vont être organisées, elles seront peut-être « libres et honnêtes », mais tout sera fait pour que le jeu reste entre politiciens respectables et présentables, et pour que le peuple retourne s’occuper de ses oignons et laisse les experts s’occuper de ce qui est bon pour lui, avec l’onction des chères démocraties avancées et du FMI. Déjà, on entend dans nos médias français les conseilleurs ergoter à longueur d’antenne sur le danger islamiste ou sur la représentativité de tel ou tel : les Diaffoirus, les médiacrates de tout acabit accourent au chevet de la toute jeune démocratie pour délivrer leurs ordonnances et prescriptions intéressées. Car si le dictateur est parti, la dictature, elle, n’est pas finie. Son principal organe, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti de masse revendiquant un million de membres (soit un Tunisien sur dix !), est toujours debout et détient les postes clés dans le nouveau gouvernement. Pendant le soulèvement, des locaux du RCD avaient été incendiés, des manifestants avaient exigé que les immeubles abritant ce parti soient remis au peuple et transformés en lieux associatifs. L’incendie révolutionnaire a été éteint trop tôt, hélas ! Le peuple n’entend pas se faire voler sa révolution : des manifestations ont eu lieu pour exiger le départ des membres du RCD du gouvernement de transition. Les gens ont crié leur hostilité aux anciens obligés de Ben Ali, qui ont servi sans broncher, pendant toutes ces années, la dictature et qui aujourd’hui prennent des poses démocratiques. Et la misère, le chômage, les inégalités ne reculeront pas du fait de la libéralisation politique : ce n’est pas pour accéder librement à YouTube que sont morts des dizaines de Tunisiens ! C’est la dictature du capitalisme qu’il faut abattre, c’est l’exploitation économique qu’il faut éradiquer. En Tunisie comme ailleurs, à bas l’exploitation, la domination et l’État ! Anarchistes, soutenons la lutte du peuple tunisien et étendons-la partout !

Mohamed, groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste



1. Dans Dictateurs en sursis, Éditions de l’Atelier, 2009, ouvrage prémonitoire.
2. Sur des affiches publicitaires vantant les attraits du tourisme en Tunisie (« le pays du sourire »), on pouvait voir un Tunisien en costume traditionnel offrir un bouquet de jasmin ; ce cliché est insupportable à la majorité des Tunisiens.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


julien bézy

le 27 janvier 2011
Il est certain que le peuple tunisien continue à s'intérréser à la révolution. Nous autres anarchistes nous nous devons des soutenir. Il faut que le processus révolutionnaire aille jusqu'au bout de sa logique.

Videopunk

le 28 janvier 2011
Ne nous voilons pas les yeux... Le pays empruntera la voie du capitalisme, au sortir d'une telle dictature et dans la situation actuelle, c'est une évidence.
Un jour peut être, se demandera-t-on là-bas si l'on a pas substitué un oppression par une autre...

Enfin, je leur souhaite bonne chance, et je pense tout de même que la chute de la dictature ne peux du moins pas faire empirer la situation !

Videopunk

le 28 janvier 2011
(Enfin...
Je part du principe que la dictature va finir par vraiment chuter dans les prochain jours dans mon message précédent.)