Abolition universelle de la peine de mort

mis en ligne le 4 novembre 2010
Pour ses dix ans, l’association Ensemble contre la peine de mort (ECPM) 1 a organisé du 4 au 10 octobre 2010 la première semaine contre la peine de mort, occasion de faire un bilan et de remobiliser toujours un peu plus pour l’abolition universelle, autour de débats, conférences, expositions, ateliers et interventions dans les collèges et lycées de France, avec l’objectif de « porter de la façon la plus large possible les arguments en faveur d’une justice qui ne tue pas ».
Le mercredi 6 octobre, dans une salle du Palais du Luxembourg, elle avait convoqué une conférence de presse sur le thème « La peine de mort au féminin », en présence de trois témoins femmes : une Américaine, Gloria Killian, ex-condamnée à mort, libérée de prison le 8 août 2002 après avoir purgé dix-sept ans et demi d’une peine de trente-deux ans pour un crime qu’elle n’avait pas commis ; une Libanaise, Antoinette Chahinne, condamnée à mort en 1997, rejugée, puis innocentée le 24 juin 1999 après avoir passé cinq ans en prison ; une Française, Sandrine Ageorges-Skinner, épouse de Hank Skinner, condamné à mort au Texas et dont l’exécution a été suspendue trente-cinq minutes avant l’injection létale ; l’Iranienne Sakineh Mohammadi Ashtiani, condamnée à mort par lapidation et dont le cas fut très médiatisé récemment, était représentée par son avocat Me Mohammad Mostafaei. Raphaël Chenuil-Hazan, directeur d’ECPM, présidait la conférence, ouverte par une intervention un peu franchouillarde, il faut bien l’avouer, de François Zimeray, ambassadeur français pour les droits de l’homme, qui a pourtant eu le mérite de dresser un panorama précis de la situation mondiale et de donner des chiffres intéressants : il y a dix ans quarante États avaient aboli la peine de mort ou renoncé à son application, aujourd’hui ils sont cent trente-neuf.
« Pourquoi la peine de mort au féminin ? », a-t-il interrogé. Parce que nous nous trouvons au croisement de deux barbaries : l’institution de la peine de mort, d’un côté, et les droits des femmes totalement bafoués, de l’autre. En effet, celles-ci sont dans la plupart des cas condamnées pour des faits qui n’amèneraient pas un homme à la mort : avortement, adultère, infanticide, etc., ajoutant de la souffrance à de la souffrance et rendant la peine de mort plus odieuse encore, ou à la place d’un frère ou d’un père qu’on soupçonne d’activités « subversives ». Cette idée fut reprise avec beaucoup d’émotion et de force par l’Américaine Gloria Killian qui insista sur « la machine à tuer qui se concentre sur les femmes et les enfants » (un enfant de 12 ans a été pendu en Afghanistan il y a quatre mois) et rappela l’exécution de Teresa Lewis, dans l’État de Virginie, le 23 septembre dernier. Clamant avec vigueur que, de toute façon, les femmes n’ont pas le même statut que les hommes – ce dont Me Mostafaei témoigna pour l’Iran –, que, si une femme est condamnée à mort, on considère qu’« elle l’a bien cherché », surtout si elle n’est pas jolie ou pas intelligente, critères bien souvent retenus – pour Teresa Lewis en particulier –, elle s’appuya sur son cas personnel : « Traitée comme un déchet en prison, j’ai eu un nom quand j’ai été innocentée. Il faut mettre fin à toute cette folie. »
On ne dira jamais assez que la peine de mort est injuste parce qu’un État ne peut à la fois interdire le fait de tuer tout en le pratiquant lui-même ; inhumaine car l’exécution supprime une vie ; inutile, car elle n’a pas d’effet dissuasif ; irrévocable, car dépendante d’erreurs judiciaires et de jugements erronés ; arbitraire, car dirigée principalement contre les minorités et les gens pauvres et sans défense 2.
On ne dira jamais assez qu’il faut combattre par tous les moyens l’usage de la guillotine, du sabre, des pierres, de la corde, du fusil, de l’électricité, des injections, etc., qu’il faut anéantir cette barbarie, ce crime institutionnalisé. Il faut le faire, comme Antoinette, Gloria et Sandrine qui continuent la lutte pour les autres par-delà leurs propres souffrances ; c’est le combat de la vie, donc de l’espoir, contre la mort.
Mais cela ne suffit pas. Car qu’en est-il de l’après, de cet enfermement dans des conditions inhumaines, dégradantes, dans la solitude, l’isolement, l’ennui, la soumission souvent à un « ordre interne » maintenu par les prisonniers mêmes ou leurs gardiens ? Combattre la mort, c’est aussi arracher en amont l’égalité de tous au quotidien et le droit à une vraie vie digne et humaine qui n’enverrait pas croupir en prison les prisonniers et prisonnières condamnés à perpétuité par un État intrinsèquement oppresseur et inique.

Michèle Crès


1. ECPM, 3, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 92320 Châtillon. 01 57 63 03 57. www.abolition.fr
2. Voir « Arguments contre la peine de mort », Amnesty International Suisse (www.amnesty.ch).