Faire de la retraite un âge d’or

mis en ligne le 4 novembre 2010
Je ne vous abreuverai pas de chiffres démontant la propagande mensongère du gouvernement. Avec Bernard Friot, Jacques Langlois et beaucoup d’autres, je constate, entre autres, que le total des exonérations de cotisations sociales en faveur des entreprises qui, en échange, auraient dû investir et embaucher, ce que la plupart n’ont pas fait (tout comme les restaurateurs et cafetiers ont négligé de répercuter dans leurs prix la baisse de la TVA, et les banques, à l’épreuve de la crise, de moraliser leurs pratiques en échange de l’aide financière d’État) – de 30 milliards selon Thibaut de la CGT, à plus de 60 selon Langlois dans Le Monde libertaire – suffiraient à combler le fameux déficit !
Par ailleurs, la conjoncture créée par cette crise ne peut que s’améliorer, comme le souligne Friot, et il n’y a pas à long terme de problèmes de financement des retraites.
En fait, la droite veut faire payer aux salariés le prix de la spéculation financière des riches qui a mal tourné.
Et comme l’a rappelé la gauche, chez Arlette Chabot, les plus intéressés dans l’affaire sont les compagnies d’assurances privées qui pensent profiter de la destruction de notre système de solidarité.
Tout cela est assez dégoûtant et c’est sans doute une des premières fois depuis des décennies que le parti des riches étale aussi cyniquement ses options et son programme… Le refus est donc puissant et général. Non seulement sur le plan économique mais aussi sur le plan idéologique et existentiel – et c’est sur ce plan qu’il faut argumenter.
Comment admettre que dans une société évoluée technologiquement, où chacun d’entre nous ne devrait travailler que quelques heures par semaine tout en bénéficiant, comme le nomme Friot, d’un « salaire continué », les gens soient contraints à passer quasiment la totalité de leur existence dans le travail salarié ! Plutôt dans une alternance de travail et de chômage puisque passé 50 ans, on n’est quasiment plus employable. !
Le tour de passe-passe est énorme : il s’agit en réalité d’imposer une baisse drastique des pensions et de condamner à vivoter l’ensemble des classes moyennes et des pauvres durant une période de plusieurs décennies où ils ne sont plus productifs : de permettre aux riches un accroissement sans bornes de leurs profits – ce que l’affaire Bettencourt illustre avec une telle force symbolique qu’elle influe sur le mouvement de résistance actuel !
Ainsi nous devrions nous résigner à une vieillesse sans loisirs, sans culture, sans intelligence, sans création, sans joies après une vie de labeur !
Hélas, cette résignation atteint les plus jeunes, qu’on dresse d’ailleurs contre les plus âgés déclarés « nantis » et qu’on rend en quelque sorte responsables de la situation ; et par voie de conséquence, elle atteint gravement les vieux les plus influençables – certains se sentant coupables à l’égard de la nouvelle génération et déclarant vouloir mourir plutôt que d’être une charge pour la société !
Comme le dit Friot, il faut au contraire faire de la situation actuelle une chance et un exemple du cas des retraités jouissant jusqu’à la mort d’un « salaire continué » : « Pour contrer le revenu différé (pension calculée d’après le versement des cotisations, et substituant la notion de prévoyance à celle d’une qualification créatrice de richesses donnant droit à un salaire à vie), il importe que le bonheur privé devienne public en démontrant que ce que vivent les retraités peut devenir le fait de tous 1. »
« Notre pays connaît un taux d’emploi des plus de 60 ans particulièrement bas dont se désolent les réformateurs. C’est au contraire une chance si l’on considère que la pension permet un travail libéré de l’emploi et de la valeur travail. Reste à assumer collectivement cette chance pour soutenir les pensionnés dans l’organisation de rapports nouveaux au travail, dans la sphère publique et pas seulement privée, collectivement et pas seulement individuellement. Là est le terrain d’une réforme progressiste de la retraite. »
C’est ensemble que nous devons nous lever et nous battre en réactivant les conquêtes sociales du passé, en en obtenant d’autres autour du droit à une existence désormais longue grâce au progrès scientifique – riche, complète quant à l’esprit et au corps – où l’activité productive permettant la subsistance comme l’inscription sociale 2 ne prendrait qu’une partie de notre temps et de nos forces et ne deviendrait pas but unique, source d’obsession, d’angoisse, de désespérance et parfois de mort.



1. Bernard Friot, L’Enjeu des retraites, éditions La Dispute, 2010.
2. Et comme le rappelle Christophe Dejours (Le Travail vivant, Travail et sexualité, Payot, 2009), si elle s’exerce dans de bonnes conditions, un certain enrichissement sensible et sensuel : « Travailler ce n’est pas seulement produire, c’est mettre son corps à l’épreuve avec un chance d’en revenir plus sensible qu’avant, donc d’accroître ses possibilités d’éprouver du plaisir. »