La science victime de l’hypercriticisme

mis en ligne le 9 septembre 2010
Neuf ans après les faits, la question portant sur l’analyse scientifique des attentats du 11 septembre 2001 reste encore très polémique. En effet, dans le champ des explications alternatives radicales et pour les adeptes du complot interne de l’administration américaine, les tours jumelles du Word Trader Centre (WTC1 et WTC2) étaient bourrées d’explosifs, un missile ou un véhicule piégé serait venu détruire une partie du Pentagone, et un avion de chasse américain aurait abattu un avion civil en plein vol pour une raison aussi floue qu’inconnue.
C’est dans cet esprit social inquiet que Jérôme Quirant, agrégé de génie civil et maître de conférences au Laboratoire de mécanique et génie civil (UMR 5508 CNRS/université de Montpellier 2), a décidé de créer en 2008 un site Internet dédié aux questions techniques portant sur ces attentats 1. Il vient de publier deux ouvrages de réflexions et d’analyses techniques liés à ces événements 2. Face aux multiples théories alternatives remettant en cause radicalement la version « officielle » des rapports scientifiques, au travers de livres, de films ou de sites Internet, Quirant a souhaité répondre aux légitimes interrogations techniques de tout un chacun au moyen de la raison, de la méthode scientifique, de l’expertise, de la vulgarisation et du domaine qui semble le mieux convenir à ce type de problématique : le calcul des structures.

Le cas des tours
Démontant les rumeurs, Quirant nous explique que sans rechercher des causes cachées ou manipulées, une connaissance minimale des bases de la physique et l’étude des structures des bâtiments suffisent à comprendre l’effondrement des tours WTC1 (417 mètres) et WTC2 (415 mètres), victimes d’une série de contraintes et de sollicitations inhabituelles : imaginons la puissance d’un impact de Boeing 767-200 (une centaine de tonnes lancées à 800 km/h), avec ses réacteurs, ses éléments rigides et « près de trente mètres cubes de kérosène » où ce dernier, joint à des éléments internes (matériels, consommables, etc.), a nourri un incendie et fait monter la température « rapidement au-delà de 1 000 °C », créant une modification importante de la résistance et de la rigidité des structures mécaniques au centre et à la périphérie des tours, engendrant un phénomène de flambement ; des éléments de protections incendies endommagés ; des « planchers […] suspendus […] calculés uniquement pour supporter leur propre poids » et non pour « stopper l’effondrement des blocs supérieurs » soit « une charge égale à 15 ou 30 fois celle pour laquelle il avait été calculé » ; un environnement en (sur)pression, etc. La tour WTC1 s’est effondrée au bout de 102 minutes et la tour WTC2 au bout de 56 minutes. Quant à la tour WTC7 (173 mètres), ce sont essentiellement « les débris de la tour WTC1, située à un peu plus de 100 mètres, qui ont heurté sa façade sud », causant un incendie (aidé par du fuel, des matériels stockés) de presque sept heures, déstabilisant cette structure (dilatations, ruptures de liaisons, etc.) prévue pour résister à un incendie de deux à trois heures, qui ont engendré d’abord « un effondrement interne » puis « une rupture du bâtiment à sa base » (dans le cas des tours WTC1 et WTC2, l’effondrement s’est produit de haut en bas).

Le fantastique et la raison
Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos décrivent dans leur Introduction aux études historiques 3 la position hypercritique comme « l’excès de critique qui aboutit, aussi bien que l’ignorance la plus grossière, à des méprises. […] L’hypercritique est à la critique ce que la finasserie est à la finesse. Certaines gens flairent des rébus partout, même là où il n’y en a pas. Ils subtilisent sur des textes clairs au point de les rendre douteux, sous prétexte de les purger d’altérations imaginaires. Ils distinguent des traces de truquage dans des documents authentiques. État d’esprit singulier ! à force de se méfier de l’instinct de crédulité, on se prend à tout soupçonner ».
Quirant pointe un certain nombre d’éléments qui favorisent l’émergence et le développement de théories complotistes que je qualifierais justement d’hypercritiques. Tout d’abord, le manque de rigueur, les raccourcis erronés, les analogies trompeuses, les interprétations hasardeuses, des témoignages imprécis, une absence de compétences techniques et scientifiques, une « méconnaissance évidente des bases élémentaires de la mécanique, du calcul des structures ou du comportement des matériaux » comme celle des techniques de démolition contrôlée, des calculs fantaisistes, des réactions exaltées et dogmatiques plus que raisonnables et posées, une certaine « idée de faire partie des “initiés”, ceux qui savent envers et contre tous », une utilisation et un abus « d’effet de manche et de rhétorique », un déplacement vers des « considérations géo-politico-stratégiques, afin de donner du sens à des phénomènes physiques qu’ils ne maîtrisent pas » où « certains voudraient aujourd’hui réécrire la mécanique pour la mettre en adéquation avec leurs croyances », discréditer tout technicien ou scientifique chargé des analyses scientifiques remettant un document « officiel » qui « fait consensus au sein de la communauté du génie civil ». Sur ce dernier point, tous les scientifiques mentiraient et la communauté scientifique internationale comploterait dans un seul et même sens pour un même et unique but. Tout ce beau monde ne serait finalement « que des imbéciles qui n’y voient pas plus loin que leur nez. Car il faut vraiment être un sacré crétin pour ne pas voir ce que le truther 4 moyen, armé d’un simple clavier et de sa souris, arrive à débusquer. […] Malheureusement, la bonne compréhension des phénomènes mis en jeu nécessite parfois de tels prérequis, ou un tel effort de réflexion et d’analyse, qu’elle reste inaccessible pour beaucoup. Il est alors bien plus facile, en faisant trompeusement appel au “bon sens”, de se réfugier dans une explication simpliste qui présente l’avantage d’être compréhensible par tous ». « Il est nettement plus facile de proposer une solution alléchante et simpliste en une phrase péremptoire, qu’une démonstration scientifique de plusieurs pages, alourdies de formules mathématiques. »
Les théories alternatives complotistes hypercritiques ne se rendent pas compte de l’impressionnante logistique qu’il aurait fallu mettre en œuvre, en hommes et en matériels, avec une minutie et une exactitude incroyable (pour mettre sur pied un complot interne, le sabotage d’immeubles préalablement affaiblis ceci en toute discrétion – en secret –, la disparition d’objets en tout genre, la falsification de données et le montage d’informations, le musellement voire l’exécution de gêneurs, etc.), le tout sans une seule fuite ou preuve matérielle concluante. Au final, Jérôme Quirant propose comme il est d’usage dans la communauté scientifique que les contradicteurs proposent et soumettent des articles techniques et scientifiques au sujet de leurs thèses alternatives à des revues adéquates (éviter par exemple les revues d’architectes d’intérieur, de cinéma, de littérature, de finance, de géostratégie, etc., mais plus en rapport avec le génie civil), reconnues comme sérieuses dans le milieu scientifique, avec un comité de lecture, des reviewers, etc., pour les faire valider. Pour le moment, aucune de ces théories alternatives « ne tient la route d’un point de vue scientifique. Aucun spécialiste du domaine n’a remis en cause les grandes lignes des conclusions validées par la communauté ».

Valéry Rasplus, essayiste, sociologue



1. www.bastison.net
2. Jérôme Quirant, 11 septembre et théories du complot, ou le conspirationnisme à l’épreuve de la science, Book-e-book, 2010 et La Farce enjôleuse du 11 septembre, Books on Demand, 2010.
3. Hachette, 1898. Disponible en ligne sur http://classiques.uqac.ca/
4. On désigne ainsi celui qui rejette les explications courantes des événements du 11 septembre (NdR).



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Jack3rror

le 31 mai 2011
C'est un plaisir de lire ENFIN des choses raisonnées ! Bravo à l'auteure.

Juste un petit truc, le WTC7 a bel et bien été "tiré" du rez de chaussée selon les autorités newyorkaises et les témoins (pompiers et poiciers notamment) sans ménagement par les pompiers et des artificiers car il présentait un risque d'effondrement latéral à court terme trop important.

Vladimir Freak

le 7 août 2011
Afin de ne pas prendre les gens pour des cons, mon intervention sur le site de la CNT info

http://www.cnt-f.org/sii/dossiers/47-science-et-techniques/99-la-science-victime-de-lhypercriticisme

Et maintenant le petit complément à l'attention de Rasplus et de son ami Quirant :

Je n'ai qu'une série de question, qui ne sont pas de moi, car même si je peux les comprendre, en prenant le temps de me renseigner, je n'ai bien sur pas les compétences de les rédiger... Cependant je les comprend. Et je comprend ce qu'elles engagent. En somme, j'en vois le sens. Et vous? Voici la liste, elle vous sera familière :

"
- A quoi servait le hat truss au sommet des tours ?
- Quel rôle a-t-il joué après l'impact des avions ?
- Quel était l'objet de la prescription de l'American Institute of Steel Construction (AISC), qui avait exigé que les contraintes critiques de fléchissement soient proches de la résistance à la compression ?
- Que peut on en déduire sur le comportement au flambement des colonnes du WTC ?
- Quelles étaient les contraintes critiques de fléchissement des étage endommagés de la tour nord avant et après les impacts ?
- Quelles étaient les marges de sécurité pour les contraintes critiques de fléchissement dont le bâtiment disposait avant et après impact ?
- Quelle était la résistance à la compression des étages impactés de la tour nord avant et après impact des avions ?
- De quelles marges de sécurité de résistance à la compression disposaient les étages endommagés de la tour avant et après les impacts ?
- Compte tenu de cette résistance, quelle est la température que l'ensemble des colonnes auraient du atteindre pour initier la défaillance?
- Des incendies de bureau peuvent ils produire ces températures de façon homogène sur l'ensemble des colonnes pour un même instant ?

1/2

Vladimir Freak

le 7 août 2011
(suite)
2/3 (au final.... )

- Le bloc supérieur pouvait il accélérer en chute libre dans les premiers instants qui suivent l'initiation?
- Selon les analyses cinématiques qu'elle était son accélération?
- Quelle valeur d'accélération Bazant utilise -t-il pour son estimation de l'énergie cinétique?
- Est ce cohérent?
- Quel est le phénomène prédit par Bazant après la chute d'une hauteur de un étage.
- Les analyses cinématiques permettent elles de confirmer l'hypothèse de Bazant pour cette affirmation?
- Quelle mode de flambement Bazant utilise-t-il pour définir ses valeur de dissipation d'énergie?
- Est ce cohérent avec les prescriptions de l'AISC et les ratios d'élancement des colonnes .
- Dispose-t-on de preuves au sens judiciaire du terme concernant la durée des effondrements dont Bazant affirme qu'elle correspond à ses calculs...
- Des analyses cinématique de la vitesse de progression du front d'effondrement ont été réalisées.
- Des modèles de calcul ont été réalisés et comparés aux analyses cinématiques.
- Quelles conclusions peut on en tirer.
- Bazant affirme que le bloc en chute précédé de son tas de débris compact produit une secousse sismique.
- Quels sont les observations qui permettent de soutenir cette hypothèse.
- De quels documents et analyses dispose-t-on pour corréler ces affirmations avec les enregistrements des sismographes.
- Combien de versions différentes de ces analyses ont été réalisées et produites par le NIST et les autres organismes qui ont traités ces questions. "

Vladimir Freak

le 7 août 2011
(suite et fin)

3/3

Ces questions sont tirés d'un commentaire d'un membre de ReOpen dont il semble que vous avez supprimé tous les commentaires sur votre blog, et à qui vous avez laissé 24 h pour trouver les gens nécessaires et compétents pour participer à un débat.... La version de ReOpen est ici :

http://forum.reopen911.info/viewtopic.php?id=15082&p=6

Je suis prêt à écouter la votre. Car pour l'instant, vous êtes un enfant qui lorsqu'il a tort, se couvre les oreilles et chantent "nah nah nah" pour ne pas entendre, mais pour que les autres n'entendent pas.

"L'état est le plus grand assassin de nos mondes dit civilisés".

Silberstein Marc

le 10 août 2011
Pour l'information de nos lecteurs (partie 1) :
Vladimir Freak, sur le site du syndicat de l'industrie de l'informatique de la CNT (SII-CNT), parle de l'auteur de l'article incriminé en ces termes : "stalinien" qu'il faudrait "gifler pour lui apprendre l'humilité et les bonnes manières". En quoi serait-il stalinien, selon Freak ("monstre", en anglais) ? Outre que Freak désapprouve la position anticonspirationniste de Valery Rasplus, ce qui fait sans doute de lui un stalinien (il y a des milieux où les poncifs, les stéréotypes et l'inculture politique tiennent lieu d'argumentaire), il lui reproche aussi de "censurer" les commentaires sur le propre site de Rasplus. Oh c'est terrible ! (sic d'ironie) Vu le genre de commentaires insultants, débiles, voire orduriers qui pullulent dès que les conspirationnistes s'excitent, on peut comprendre la nécessité de faire un peu le ménage sur son propre site. De plus, ces "commentaires", ces "arguments", ces "expertises" (voir la litanie de questions prétendument techniques que Freak indique ici même ; cela produit un effet de sérieux, mais ce n'est que de la poudre aux yeux) se retrouvant sur nombre de sites complices et propices à l'insulte, la désinformation, la manipulation des mots et des idées, il est raisonnable de soutenir que Rasplus se protège en ôtant de son site les tombereaux de crapuleries verbales qui l'encombreraient. Si cela s'appelle la censure et qui fait de celui qui procède ainsi un stalinien, alors les mots n'ont plus de sens…

Silberstein Marc

le 10 août 2011
Pour l'information de nos lecteurs (partie 2) :
Mais après tout, c'est un registre outrancier permanent chez ces adeptes et ces servants du culte du "Grand Komplot". Une dernière chose : Freak parle sur le site de la SII-CNT "d'aller pourrir l'article [de Rasplus] sur le Monde libertaire". Une belle preuve d'ouverture d'esprit, n'est-ce pas ? Il est vrai que cela est plus facile que de lutter contre nos vrais ennemis, d'agir sur le terrain syndical. Pendant que des anars voient des staliniens partout, s'épuisent et épuisent autrui dans des controverses infondées, les patrons peuvent dormir tranquille. Tellement plus facile, derrière un ordinateur, de se lancer dans des croisades stériles, de vociférer des diatribes ineptes, de se prêter des vertus rédemptrices, d'inventer des combats imaginaires à la place des luttes indispensables. Tellement plus facile…

inam

le 10 décembre 2013
Bonjour, Mr Rasplus

Je ne découvre votre texte qu'aujoud'hui, mais en tant que scientifique je me permet de vour dire qu'en temps que sociologue vous êtes passé à coté du vrai problème : le dogme scientifique.

Vous n'avez consulté qu'une moitié des opinions, pertinente dans sa position scientifique mais hyper impliqué, Mr Quirant vous a roulé dans la farine et utilisé comme répétiteur.

Votre conclusion : "Aucun spécialiste du domaine n’a remis en cause les grandes lignes des conclusions validées par la communauté" est une escroquerie répété à outrance par Mr Quirant, renseignez-vous.

Mr Quirant, pas sa volonté de confondre groupe et collection d'individu essaye de noyer le débat en jetant tout le monde, dans le même sac, à la baille.

Frédéric

le 11 décembre 2013
Enfin un article intéressant sur le sujet, qui met un terme à toutes ces théories complotistes ridicules ! Les fainéants de la pensée feraient bien d'y jeter un œil. Mais ça risquerait de bouleverser leurs certitudes si facilement acquises…