Anarchistes du Pérou : derrière le rideau tendu sur Bagua

mis en ligne le 24 septembre 2009
Ils s’efforcent de nous faire vivre une comédie. Le pouvoir oppresseur (Capital, État) n’utilise pas seulement la violence physique pour nous contrôler, il crée aussi une cage invisible qu’il appelle « Normalité », il cherche à se rendre maître des pensées et des passions des dominés en les empêchant de percevoir toute possibilité de leur propre libération. Qui désobéit sera sanctionné socialement en tant que rêveur ou élément subversif. Les moyens de communication sont aussi des armes, dispensant des rideaux de fumée pour détourner notre attention et nous faire oublier les injustices quotidiennes. La presse maquille les faits, les transforme en marchandises, banalise la mort. Pour cela, pendant que des gens étaient assassinés à Bagua, le système nous agressa avec ses boniments en première page, la remplissant d’exaltations pour de nouvelles gloires sportives, de titres pleins de ferveur patriotique, et enfin, du rouge du drapeau péruvien se superposant au rouge du sang des assassinés lors du conflit encore non résolu en Amazonie.
Il reste des centaines de disparus, des dizaines d’emprisonnés – une réalité que le régime prétend cacher – des familles inconsolables, des communautés dispersées, car face à l’agression policière beaucoup de ceux qui ont fui ne sont pas encore revenus. Les arrestations arbitraires sont chose commune. Ils tentent de provoquer la démoralisation des gens pour en finir avec des années de lutte et d’organisation, mais, malgré la répression, les peuples amazoniens continuent à vouloir lutter.
Non, nous ne défendons pas la souveraineté nationale, si cela veut dire la propriété de l’État et la domination de sa bourgeoisie locale. Nous sommes partisans de la gestion directe des communautés, de leur capacité autogestionnaire. Nous nous opposons au développement aveugle et à l’industrie déprédatrice, c’est le moment de projeter des formes radicalement différentes de vie en commun, sans exploitation ni de l’être humain, ni de la Nature. Nous nous attaquons à l’entreprise transnationale non parce qu’elle est étrangère, mais parce qu’elle est exploiteuse, capitaliste. Le conflit amazonien n’a pas été provoqué par des chavistes ou autres supposés agitateurs, ce sont là des mensonges du gouvernement qui veut trouver des faux coupables et nier la capacité des communautés à agir par elles-mêmes. Nous défendons l’autonomie des peuples et nous souhaitons des espaces libérés de la contamination capitaliste, non seulement au Pérou mais dans le monde entier. Ce conflit n’est pas une guerre d' « États impérialistes » contre leurs nouvelles colonies, le Capital utilise n’importe quel drapeau (l’ennemi s’habille aussi de rouge et blanc) et c’est pour cela que nous comprenons que, pour nous libérer, il est inutile de parler de « patrie ».
Il ne s’agit pas d’entretenir des espaces pour le tourisme ou d’une nostalgie ridicule du « bon sauvage » ; les communautés indigènes possèdent leurs propres conflits. Nous ne les idéalisons pas, simplement nous sommes solidaires contre l’ennemi commun. Le pouvoir oppresseur a attaqué sans hésiter, a tué, continue de tuer et s’efforce d’attirer notre regard ailleurs pour continuer en toute impunité. Cette lutte est celle de tous, et si aujourd’hui les « disparus » sont les indigènes amazoniens, demain ce pourrait être n’importe qui, car l’État et le Capital sont le monde où rien ne change, où l’homogénéité répressive nous rejette si nous avons l’audace de la questionner. Pour ce monde, nous existons seulement comme objets et marchandises, nous sommes jetables.
Nous luttons, nous opposons à cette normalité homogénéisante notre diversité critique, nous sommes la négation de cette comédie. Comme disent les zapatistes : « Si nous n’avons pas notre place dans ce monde, alors c’est un autre monde qu’il faut réaliser. »

Anarchistes de Lima
15 août 2009
Traduction par l’équipe des Relations internationales de la Fédération anarchiste.