Incompétence militaire

mis en ligne le 24 septembre 2009
Même les anarchistes sont manipulables. La preuve, devant le titre alléchant, j’ai capitulé et je me suis procuré On the psychology of military incompetence, de Norman Dixon (Pimlico, 12,99 £). Quel bonheur ! Car voici un officier britannique qui, une fois devenu universitaire, voulut savoir pourquoi les militaires sont des ânes.
On objectera : « Depuis quand analyse-t-on l’évidence ? Qui n’est indigné par une profession qui affirme travailler à la protection de l’humanité par l’extermination des humains ? » Peu de monde, hélas. Aussi faut-il se réjouir qu’un officier mette les bottes dans le plat.
Les anarchistes s’époumonent certes à soutenir que les institutions autoritaires – quelle institution est plus autoritaire que l’armée ? – ont deux défauts irrémédiables : elles attirent les salauds, et, compétitives par nature, ne laissent parvenir à leur sommet que les pires des salauds. Ce que démontre Dixon. Avec fair-play, il n’étudie que les fiascos de son pays, renonçant aux vastes possibilités offertes par l’armée française, de Diên Biên Phu à la Ligne Maginot en passant par Toulon 1942. Le récit des erreurs anglaises occupe la première partie : ainsi la bataille de Passchendaele, en Flandre. En 1917, alors que trois ans de guerre de tranchée ont démontré que les préparations d’artillerie sur les tranchées adverses ne détruisent que l’effet de surprise, et servent surtout à creuser des cratères d’où il est impossible de déloger les mitrailleuses, Haig décide dix jours – 240 heures – de préparation d’artillerie ! Quatre millions et demi d’obus (au coût de 22 millions de livres sterling de l’époque) transforment, la pluie constante aidant, le terrain en mer de boue. Pas au sens figuré, au sens littéral : des milliers de soldats anglais vont se noyer dans l’émulsion de boue et de pluie, transformée en une infinité, non de sables mouvants, mais de boues mouvantes. Les Allemands, qui attendent depuis dix jours, fauchent à la mitrailleuse les malheureux Tommies. 57 000 morts le premier jour. 325 000 au total. Pour huit kms d’avancée.
Dixon montre que les grands imbéciles guerriers se conforment à peu près tous au type de La personnalité autoritaire constatée par Adorno dans le livre du même nom. Cette personnalité dont la caractéristique fondamentale est la rigidité écrase la pensée flexible, indépendante, créative (!) indispensable à la conduite de la guerre, si constamment imprévisible.
En voici les neuf traits principaux :
– Conformisme : adhérence rigide aux valeurs petites-bourgeoises.
– Soumission autoritaire : obéissance aveugle envers les autorités morales, idéalisées, du groupe auquel on s’identifie.
– Agression autoritaire : propension à chercher, blâmer et attaquer qui rejette les valeurs conventionnelles
– Anti-intraception : aversion envers le subjectif, l’imaginatif, l’introspectif.
– Pensée superstitieuse et stéréotypée : croyance en des déterminants magiques du destin humain, et disposition à ne penser qu’en catégories rigides, inflexibles.
– Pouvoir et dureté : priorité donnée aux axes dominant/dominé, fort/faible, chef/subordonné, identification avec les figures dominantes, expression exagérée des attributs conformes et conventionnels du moi, expression exagérée de la force et de la résistance.
– Cynisme et goût de la destruction : hostilité généralisée, dégoût de tout ce qui est humain, attirance pour la destruction.
– Projection : projection à l’extérieur du moi des pulsions inconscientes inacceptables, dès lors attribuées à qui est vu comme contraire au groupe et à ses règles.
Puritanisme.
Une autre citation est non moins éclairante : une comparaison effectuée à l’université de Californie entre les étudiants élèves officiers de réserve et les étudiants objecteur de conscience a donné l’analyse suivante des futurs officiers : stricte discipline imposée par une figure paternelle pendant l’enfance, expression exagérée de la masculinité, usage élevé de l’alcool, sentiment d’impuissance à modifier les actions de leur pays, inquiétudes sexuelles, tendance à considérer l’indépendance comme une perte de contrôle, désir d’un environnement prévisible, égotisme, timidité envers les filles jointe à une tendance à se vanter des conquêtes sexuelles, peu d’intimité et de réussite émotionnelles envers l’autre sexe, tendance à ne voir les femmes qu’en tant qu’objets, goût des relations dominance/soumission, agressifs, impulsifs, irresponsables, non-intellectuels et avec une conscience morale peu développée ; la malhonnêteté profonde de ce type de personnes est connue, même d’elles-mêmes. Mein Kampf compte ainsi des dizaines de pages où Hitler se vante de ses mensonges envers son propre électorat.
« Quand les talons claquent, j’entends les cerveaux se fermer » a dit un expert, le maréchal Lyautey *.


*. Cité dans Le Trésor des Méchancetés, anthologie d’humour à l’usage des anarchistes. Ed. ACL.