De confusion en équivoque, qui de Gaulle trahira-t-il ?

mis en ligne le 1 octobre 1958
Il est une conviction populaire qui accompagne l’engouement dont bénéficie le général de Gaulle : à savoir que l’honnêteté de l’homme du 18 juin ne saurait être mise en doute. Honnête, le général de Gaulle l’est certainement au sens littéral du terme : il n’a jamais rien volé et, d’ailleurs, sa situation l’a toujours mis à l’abri de telles tentations.
Mais si l’on ne saurait contester l’honnêteté matérielle du général de Gaulle, il ne saurait en être de même de son honnêteté intellectuelle et, surtout, de son honnêteté politique.
De Gaulle est, paraît-il, un fervent admirateur de Machiavel. On ne saurait en douter à son comportement. Mais si le machiavélisme est, sans conteste, la forme la plus haute de la « science » politique, qui oserait affirmer que les théories développées par l’auteur du « Prince » s’identifient aux lois les plus élémentaires de l’honnêteté intellectuelle ?
Sans doute est-ce en fonction d’une telle optique que le général de Gaulle, après deux visites en Algérie, après maints discours, se refuse toujours à définir clairement la politique qu’il entend appliquer dans les « départements » d’Afrique du Nord.
Une phrase par ci – pas très explicite – et les ultra illuminent : de Gaulle est pour l’intégration.
Une phrase par là – pas très précise – et les libéraux d’applaudir : de Gaulle est pour la négociation.
Ainsi, au milieu de foules plus ou moins spontanément rassemblées, plus ou moins enthousiastes, le général promène sa haute stature, son képi, ses bras en V et sa mystique certitude de jouer au sauveur irremplaçable.
Comment, dans de telles conditions, au sein de telles équivoques, le référendum pourrait-il être sincère ? – même s’il n’était pas entaché, au départ, d’un esprit plébiscitaire, même s’il n’était pas truqué en Algérie.
Je laisserai à d’autres camarades le soin de parler du référendum en France. Personnellement, je pense qu’une constitution ECRITE – et celle qu’on nous présente est, en cette matière, suffisamment copieuse ! – a fort peu d’importance, tout dépendant en définitive des hommes qui l’interprètent et des circonstances qui l’encadrent. Il est bien évident que toutes les précautions rédactionnelles n’empêcheront jamais un président de jouer au dictateur ou d’appeler – très largement – au pouvoir un chef de bandes factieuses. Pas plus, d’ailleurs, qu’elles ne sauraient empêcher un mouvement fasciste ou révolutionnaire de balayer un régime branlant.
Cela dit, revenons en Algérie où, la grande presse nous l’a complaisamment appris, l’armée a mis les musulmans « en condition » pour le référendum – à la manière dont la police met en cartes les filles du trottoir.
A cette « mise en condition » par l’Armée s’ajoutent la terreur policière, la propagande à sens unique, l’impossibilité à toute opposition de se manifester légalement.
Ceci nous promet un pourcentage massif de oui. Mais quelle valeur aura une telle consultation se déroulant dans de telles conditions ? Aucune. D’abord parce que ce « oui » sera extorqué. Ensuite parce que plane l’équivoque sur cette mascarade électorale.
En effet, pour la clique militaro-colonialiste, le « oui » signifiera la porte fermée à toute solution autre que l’impossible intégration.
Au contraire, pour les gaullistes « de gauche », ce même « oui » devra signifier la porte ouverte à une solution libérale et négociée.
Entre ces deux significations contradictoires, laquelle choisira de Gaulle ?
Et qui va-t-il trahir ?
Car, ou bien il restera fidèle aux hommes du 13 mai qui l’ont porté au pouvoir et, selon leurs désirs, décidera l’intégration – et alors il trahira les promesses implicites ou explicites faites aux libéraux.
Ou bien il imposera à la coalition des militaires et des colonialistes la seule solution permettant de rétablir la paix en Algérie (c’est-à-dire la négociation avec le F.L.N.) – et alors il trahira ceux-là même qui l’ont hissé au pouvoir par le chantage à la guerre civile.
Ainsi, l’aventure gaulliste, commencée dans l’équivoque, se terminera nécessairement par une trahison.
La seule question est de savoir QUI de Gaulle trahira-t-il ?
Ce qui est certain, c’est que APRES cette trahison, tous les problèmes resteront à résoudre.