« Devenez vous-même.com » : les nouvelles figures de la psychologie de caserne

mis en ligne le 25 février 2010
À moins que vous n’ayez passé les quinze derniers jours sur une île des Galápagos à numéroter les tortues, vous n’avez pu y échapper : partout, sur les murs des grandes villes, dans les transports, sur les écrans de télévision comme sur internet, s’affiche la nouvelle campagne de recrutement de l’armée. Pour dix « petits » millions d’euros, l’agence TBWA a conçu une série d’affiches où se dessinent des visages, sur fond de camouflage militaire. Les spots télé, eux, déclinent péniblement la thématique guerrière, à partir d’une esthétique très directement inspirée des wargames dédiés aux consoles de jeu. Le tout est assez moche, iconographiquement proche du pochoir prétentieux et largement raté. Encore cela n’est-il pas grand-chose, au regard du slogan principal de la campagne, « Devenez vous-même. com ». Étonnant, non ? Étonnant de bêtise et d’étroitesse d’esprit, puisque, bien entendu, il ne viendrait à l’idée d’aucun individu à peu près sain d’esprit que l’armée puisse être le lieu d’une quelconque maïeutique, d’un « Connais-toi toi-même » tel que le prônait Socrate – lequel, pour ce qu’on en sait, ne se baladait guère en treillis, fusil d’assaut sur le dos. Peu importe, pour la Grande Muette, le message délivré ; l’essentiel est pour l’heure de communiquer à tout va. C’est que la future chair à canon semble se faire prier, comme l’explique, un brin simplet, le général Pontiès, communiquant-en-chef : « Pour la majeure partie des jeunes, il n’est pas naturel d’imaginer le métier de soldat. » Ce qui, pour les anarchistes, est une excellente nouvelle n’en représente pas moins un sévère problème pour l’armée. Laquelle a besoin de sang frais, et a donc prévu de s’adjoindre cette année 15 000 nouvelles recrues.
C’est aussi que les temps s’y prêtent : la crise aidant, rarement la pression pesant sur les épaules de la jeunesse ne s’est aussi bien fait sentir. Sans certitudes aucunes concernant la place éventuelle que voudront (peut-être) leur allouer les générations précédentes, elle est une proie de choix pour les sergents recruteurs. Lesquels ne s’y sont pas trompés : sur les 15 000 postes prévus, 12 000 seront réservés à des jeunes sans qualification, promis à l’ambitieux statut de militaire de rang (rang, comme dans « rangée », « rangement », « rengaine »). Pourtant, malgré tous les efforts développés par la brigade Pub du général Pontiès, la riante carrière d’adjudant-chefaillon ne paraît guère envisagée par l’écrasante majorité de ces jeunes gens informés, cultivés, et qui n’ont plus grand-chose à voir avec le garçon de ferme inculte, analphabète et miséreux qui servit de piétaille lors des siècles passés. Aussi l’armée doit-elle non seulement beaucoup (se) dépenser en matière de propagande, mais également promettre plus qu’elle ne peut tenir. Exemple parmi d’autres : « L’armée, elle t’apprend un métier. » À cette vaste blague, le jeune, qui est par nature moqueur, rétorque : « Mais quel métier ? » Conducteur de sous-marin, pilote de l’air nucléaire, démineur de chevaux de bois ? Utile, ça, dans le civil… Cependant, ne nous y trompons pas : l’ancien militaire, même « de rang », est une denrée fort appréciée sur le marché du travail. Si le patronat adore ces anciens baroudeurs, ce n’est pas tant au prétexte qu’ils auraient, sous l’uniforme, acquis quelques connaissances utiles. C’est parce qu’ils ont appris à obéir à tout et à fermer leur gueule. Ce qui, sur un CV destiné à l’« entrepreneur », n’est pas un maigre atout.
Malgré cela, les maréchaux de l’armée sarkoléonienne en sont réduits à constater une baisse (euphémisme) des vocations guerrières. À leur décharge, on notera le fait que l’actualité ne les aide guère : 40 militaires français ayant perdu la vie rien qu’en Afghanistan, les jeunes ont de long temps compris que s’engager c’est combattre, c’est donc éventuellement tuer, c’est donc éventuellement mourir. Autant de perspectives peu amènes, pour qui vient de fêter ses 18 ans. Alors, « devenez vous-même. com », au risque de se manger une balle ? Non sans façon, merci. Quand bien même l’armée met cette fois les bouchées doubles (la dernière campagne de recrutement, datant de 2007, ayant fait un bide mémorable), quand bien même elle multiplie les « stages d’immersion » (deux jours de franche camaraderie et de beuveries mémorables permettant « de revêtir le treillis et de se surprendre en vivant l’expérience de son quotidien » (sic !) – citation extraite du site officiel de l’armée de terre), quand bien même elle s’apprête à ouvrir un groupe sur Facebook et envisage sérieusement l’envoi massif de sms et autres facéties techno déjà dépassées dans les faits, l’armée, dans le regard de ceux auxquels elle s’adresse, demeure ce qu’elle ne cessera jamais d’être : un espace d’abêtissement, de brutalité et de haine, à l’égard de soi et des autres. Gageons que cette nouvelle campagne, pour importante qu’elle soit en termes de moyens, s’achèvera sur le Waterloo que nous appelons de nos vœux.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Loki

le 9 mars 2011
J'avais profité de cette campagne pour suivre une procédure d'engagement et faire de la propagande au sein des centres de séléctions

Résultat, reformé P4 car je suis, je cite, "trop gentil et trop sensible pour le milieu militaire"

Du coup, si la france entre en guerre, on ne m'enverra jamais combattre car je suis trop gentil pour faire la guerre !

Engagez vous, et foirez tout !