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Travail social
par Sylphe le 2 janvier 2021

Trash Psychiatrie – Partie 3 - « Gardons vivantes nos rages »

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photo du film Shock Corridor de Samuel Fuller (1965)

Place à la turbo-psychiatrie. Aller vite. Le discours eugéniste et la vitesse n’ont jamais autant turbiné dans les couloirs des services de psychiatrie. Entrer aux urgences-sortir-puis entrer, sans fin possible.

Les réunions de synthèse désormais ressemblent à de mauvaises pièces de théâtre où psychiatres, psychologues, techniciens de la santé mentale, jargonnent, s’écoutent causer, plus condescendants et ridicules qu’un bigot en soutane, la férocité en plus.

C’est ce spectacle qui m’a rendu probablement plus dingue que le système lui-même. J’ai quand même mis onze ans avant de trisser, onze ans où j’ai vainement tenter d’insuffler ma colère (et l’insurrection) dans les équipes. Catastrophe ! Qu’avais-je fait ? Et pourtant, que de massacres…

Certains soignants sensibles et harcelés se sont suicidés. Victime de harcèlement. La règle du « jeu » c’est : Tu consens au système ou tu crèves, tu démissionnes, tu tombes malade (l’ensemble est réalisable, compossible). Combien de suicides eurent lieu dans cet hôpital ? Deux, trois, quatre ? Je ne sais plus. Moi, je fus embauché à mi-temps au service adolescence, puis au sur un autre mi-temps, sur le service adulte. Deux services en guerre, je l’ignorais en nigaud bon teint. Dans le service adulte j’avais « la place du mort », je remplaçais une psychologue qui s’était pendue chez elle quelques années plus tôt, mais chut ! Personne ne devait en parler. C’est une collègue en larmes qui me confia fin 2009, que la défunte elle aussi, était harcelée. J’eus droit à une autre version, nettement plus vulgaire, énoncée par un psychologue encore en poste et ovationné : « Cette femme s’est suicidée parce que sa copine l’avait quittée et qu’elle s’était remise à boire » Whaou ! Quel argument. Il est un fait que l’étayage institutionnel n’a pas joué son rôle « d’ossature » protectrice. Si j’insiste sur cette femme qui s’est donnée la mort, c’est aussi en raison des horreurs qui m’ont par la suite été déversées dans les oreilles comme des justifications (mauvaise conscience groupale ? Tardive). Ainsi en 2013, un psychiatre me lâcha cette phrase édifiante : « c’est elle qui persécutait le service, pas le contraire ». Curieux, d’autres collègues (des infirmiers) m’affirmaient qu’elle était appréciée de ses patients. En 2016, la plus atroce confession eut lieu : quatre ou cinq collègues me dirent avoir assisté à l’arrivée en salle de transmission de l’ancienne chef de pôle clamant : « J’ai une bonne ou une mauvaise nouvelle, c’est selon : votre collègue s’est suicidée ! » silence de mort côté soignants, silence évidemment. Révolte, indignation, les petits-fils de Vichy ne connaissent pas.

J’en viens un instant au dernier suicide, en 2017, lorsque par hasard, j’ai croisé une collègue psychologue pressée de prendre son train, je lui tombe dessus horrifié : « Tu as entendu ?! ce jeune psychologue s’est suicidé ! On est où là ? Vous ne réagissez pas ? » La force d’inertie est décidément redoutable, je l’avais oublié. Sa seule réponse défensive fut :
« tu ne connais pas l’histoire, c’est lui qui persécutait ses collègues ». La frileuse collègue a ensuite tourné les talons. Je repense à son argument jupitérien : « il persécutait ses collègues ? » Le gars s’est tué victime de harcèlement et c’est lui le persécuteur ? C’est lui le croquemitaine ? Le PDG de France Télécom aurait-il pu proférer semblable horreur en 2008/2009 ? Possible.

Étrange assertion de ma collègue quand même, surtout dans ce système hospitalier où la mère de la victime accusa publiquement de harcèlement le service où travaillait son fils. La puissance du déni groupal est indestructible.
Après cela que faire, sinon hurler.

Le monde la psychiatrie aujourd’hui ressemble à la taule, en plus laid, la psychiatrie ressemble à toutes les entreprises sous la coupe du management, même fonctionnement pyramidal immonde.

L’intimité individuelle du sujet n’existe pas, En psychiatrie, l’humiliation est quotidienne, les chambres d’isolement existent toujours, laides et crades, et on attache toujours les patients dits « agités ».

Je pourrais arrêter mon propos à cet instant, puisque l’essentiel du sadisme institutionnel est résumé. Mais ce serait trop simple, trop court, trop facile, je vais développer encore un peu, juste un peu, avec froideur. Il en va de la condition des patients oubliés et de tout l’emballage discursif qui s’échine à justifier la maltraitance de façon cynique.

Et puis il n’y a pas de raison que les « phalangistes du système » s’en tirent sans se reconnaître un peu.

Je reviens aux réunions de synthèse, ces mini-assemblées nationales, ces lieux où tout a l’air de se décider pour le patient : on augmente les doses de Loxapac, on essaye le Xéplion, on force sur le Xéroquel, on charge sur le Tercian ? on attache ? on fout le mec dehors même s’il risque de se foutre en l’air ou bien on le retient encore un mois, histoire qu’il comprenne qu’il est puni ? (insulter, fuguer, sont deux sacrilèges passibles de sanctions).

Bref, dans ces réunions où ça n’élabore pas beaucoup, (en fait ça n’élabore pas du tout ) la parole suprême reste celle du chef de service, petit Jules César, en plein exercice de jouissance. Pensez, c’est lui qui décide du sort des patients (sortiront ? sortiront pas ?) Mais ce qui n’est jamais questionné en profondeur, c’est sur quel critère la liberté ou le relâchement des contraintes se décide ! L’agitation ? Le délire ? Facile. Regardons nos réactions en mars dernier. Tous devenus à moitié dingues de se voir confinés. Ainsi avons-nous une légère idée de ce syntagme « survivre enfermé ».
Et là, attention ! Qu’un infirmier ou qu’un psychologue tordu et imprudent se mêle d’intérroger la validité de la décision du chef. C’est l’injure ou la porte. J’en sais quelque chose. C’est pourquoi, généralement, personne ne moufte. On appelle cela la « violence symbolique » : certaines paroles valent plus que d’autres.

Dans le cas contraire, si un dingue comme mézigue s’avisait de contester la décision du Souverain (jugée autoritaire pour le patient) sa réputation est faite. C’est cela le « miracle » de la nosographie psychiatrique : comme dans un commissariat ou aux assises, tout ce que vous pouvez dire ou exprimer émotionnellement est susceptible de se retourner contre vous.

Une crise de larmes témoignera d’une fragilité personnelle peu compatible avec le métier, une colère fera (rapidement) de vous un paranoïaque revendicateur, une théorie trop fortement développée prendra l’allure de « l’idéalisme passionnel », la dépression due au harcèlement vous aura vite paré des atours de la « sensitivité » (dépressivité, sentiment de persécution, délire de relation, bref, inadaptation au poste). La seule entité non désignée clairement mais chuchotée en « secret » reste celle du pervers narcissique, on se demande pourquoi elle se loge le plus souvent dans les capillaires sanguins du grand chef, intouchable, tout-puissant, tantôt chef de pôle, tantôt DRH, tantôt directeur général, parfois tout à la fois. C’est là une mauvaise Comédie, et vous rirez jaunes.

Donc, dans ces cénacles de néant hebdomadaire, les techniciens du savoir pratique s’écoutaient causer de tout sans jamais parler réellement de la souffrance des patients. Les discours soporifiques gravitaient autour des derniers traitements neuroleptiques à la mode prescrits par les laboratoires, un tableau avec des + et des - !

On y plaisantait aussi sur tel patient qui avait dit une connerie sans s’en rendre compte, on se foutait de sa gueule. Qui allait s’en indigner ? Le patient est pour le psychiatre ou le psychologue docile, une demi-bête, une loque, tout juste le patient existe-t-il. Fou un jour, fou toujours. Le patient a-t-il une pensée ? Certes non, elle puisqu’elle marche de travers ! Ainsi raisonnent les porcs qui ont le pouvoir de leur côté (comme l’écrit Ulrike Meinhof).

Les « spécialistes de la maladie mentale » (ceux que j’ai pu écouter sans vomir trop prestement) ne savent avec dextérité faire qu’une seule chose : se resservir du café, sans omettre de bouffer les croissants tapissant la table, ceci pour supporter (je suppose) l’horreur indignée de ce paysage lugubre dont eux-mêmes, soignants-psychiatres font partie (ils semblent avec les années l’avoir oublié). Dans cette cour du Roi, ça causait de la tarification à l’acte, cette menace qui s’approchait depuis quelques années de la psychiatrie et « contraignait » les hôpitaux à faire du bénéfice en multipliant les actes médicaux. Le turn-over. Exit l’empathie, le soin authentique. L’objectif ? Voir le plus vite possible un maximum de patients, toujours plus, quantophrénie ! Prescription d’ordonnance à tout va, paternalisme et basta ! Écouter le patient ce que Foucault appelait justement « ce que filtre le cri du patient », ce qu’il tente de dire ? Hors de question. Il faut aller vite, vitesse futuriste oblige, tournant gestionnaire impose.

Je n’ai compris que tardivement la complicité opératoire du personnel, tous maugréant, mais jamais insurgés, fut-ce un minimum. C’est vraisemblablement ainsi que se construit une société immonde.

Le but de nos « chefs » se résumait à cette injonction : faire des actes médicaux, poser des actes. Quelle farce obscène. Il faut dire que les années 2000 furent celles d’un retour dévastateur du management. Je crains de n’exagérer qu’à peine. Les managers avaient même trouvé une formule délicate pour créer le forcing dans les équipes : « la démarche qualité ».
La Novlangue est indestructible, hélas. Klemperer et Orwell ne s’y sont pas trompés. Tout commence, se casse la gueule, avec la sémantique et ses torsions.

Qu’advînt-il de moi au fait ? Que dalle. Des changements de bureaux, journaliers, destinés à déstabiliser le cadre de travail (de pensée, surtout) j’en ai goûté. On a essayé comme avec d’autres, de me coller des fautes graves sans réel succès (je n’ai tué personne), un jour le chef de pôle est même venu exiger une lettre de délation auprès de mes collègues, des trucs bien dégueulasses, calomnies délirantes pour me foutre à la lourde. Ça n’a pas marché. Puis vînt le premier confinement, je suis tombé malade. Occasion rêvée pour me jeter de mon bureau, je n’ai même pas pu dire au-revoir aux patients ! L’horreur. J’ai craqué, comme plein d’autres, j’ai disjoncté, c’est comme ça que l’on pousse quelqu’un à la démission. Succès total. Me revoilà en hiver, vêtu de noir, sans indemnités, vagabond auprès des âmes brisées qu’il m’arrive de croiser de temps à autres sur les trottoirs ou tapant la pièce dans le métro. Conclusion ? Qui sont les fissurés ? Qui sont les destructeurs de la santé mentale.

J’accuse les agents du système, ces pitres de managers et leurs complices psychiatres nouvelle génération, bien sûr. J’en mets ma main au feu. Chiche !

Les noces de la psychiatrie et du néo-libéralisme eurent lieu il y a un bail, reste à attendre les effets de ce collage sur la vie elle-même, bio-pouvoir, coercition, appelons cela comme on veut. Rien ne m’étonne dans le discours macronien, lorsque après avoir pulvérisé le monde du travail, il se mêle de morale sanitaire et énonce : « soyons encore plus contraignants »
.
En attentant, restons aux aguets, restons insurrectionnalistes ! Gavroche est dans nos cœurs, il ne lâche pas sa rage. Restons soudés dans le cortège de tête : le soin psychiatrique n’est pas simplement une imposture scientifique, il est également l’autre nom de l’abjection.

Ya basta !

Signé : Creepy Crawly, vive l’anarchie.


PAR : Sylphe
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