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par Francis le 2 septembre 2019

Une lecture anarchiste de la Révolution française

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article extrait du Monde libertaire n°1811 de novembre 2019





La Grande Révolution de Pierre Kropotkine connaît une nouvelle édition. En quoi des événements de plus deux siècles analysés par ce grand géographe et théoricien de l’anarchisme dans les années 1900 présentent-ils un intérêt pour les luttes actuelles ? Justement par la finesse et la force de l’analyse !! En relatant cette Révolution qui marqua les luttes de libération pendant tout le XIXe siècle et encore aujourd’hui, Pierre Kropotkine tire des enseignements d’une actualité rare. Pendant toutes les révolutions, la bourgeoisie et les oligarchies mobilisent le peuple, le poussent à la révolte pour mieux le canaliser et le réprimer lorsqu’elles sont arrivées à leurs fins : prendre le pouvoir pour elles-mêmes.

De nos jours, Pierre Kropotkine est essentiellement connu dans les milieux libertaires, entre autres pour ces ouvrages d’ébauche d’une société meilleure tels que La conquête du pain ou L’Entraide. Pourtant de son vivant, sa culture historique, de géographe réputé, en faisait un ami d’Elisée Reclus, Camille Pissarro, Louise Michel, G. B. Shaw et il connaissait l’estime de Victor Hugo, Ernest Renan, Jean Jaurès, qui prendront sa défense lorsqu’il sera poursuivi par les autorités françaises. Sa vie est un roman, lui qui fut perçu par les siens comme un transfuge de classe, d’autant plus détesté qu’il les connaissait bien et pouvait mieux les dénoncer. Il s’attaque donc au début du XXe siècle à une analyse fine de la Révolution de 1789 qu’il perçoit comme la « mère » de toutes les révolutions, la seule qui mérite une majuscule. Son objectif : présenter de la manière la plus exacte et la plus pédagogique possible les faits tels qu’ils se sont déroulés, à rebours de tout mensonge de classe. Nous le savons tous, l’Histoire est écrite par les vainqueurs ; ceux-ci occultent quelques massacres « dérangeants », traitent les gens du peuple de brigands et de pilleurs pour mieux donner le beau rôle aux dirigeants « sauveurs » de la société.

Préparer les révolutions à venir

Au-delà d’une simple description, Kropotkine tire les enseignements pour mieux préparer les révolutions à venir. C’est une histoire de la Révolution vécue du côté du peuple. Il montre les révoltes antérieures à 1789 dues à la faim, aux impôts, aux injustices et la cassure qui anime ces événements. « Deux grands courants préparent et firent la Révolution. L’un, le courant d’idées, le flot d’idées nouvelles sur la réorganisation politique des États, venait de la bourgeoisie. L’autre, celui de l’action, venait des masses populaires, des paysans, des prolétaires dans les villes, qui voulaient obtenir des améliorations immédiates et tangibles à leurs conditions économiques. Et lorsque ces deux courants se rencontrèrent, dans un but d’abord commun, lorsqu’ils se prêtèrent pendant quelque temps un appui mutuel, alors ce fut la Révolution. » Les atermoiements de cette même bourgeoisie apparaissent au fil des pages, elle souhaite abattre les pouvoirs, ceux du Roi et de l’Église pour conquérir le pouvoir pour elle seule. Alors le peuple, elle l’utilise et c’est le sang du peuple qui coule le 14 juillet 1789 mais le même sang lors de la fusillade du 17 juillet 1791, la Garde nationale tirant sous la direction de Lafayette, lorsque le peuple veut aller plus avant.

C’est au peuple de gagner son autonomie pendant les événements, après c’est trop tard, la pesanteur sociale reprend le dessus. « Une révolution, c’est le renversement rapide, en peu d’années, d’institutions qui avaient mis des siècles à s’enraciner dans le sol et qui semblaient si stables, si immuables que les réformateurs les plus fougueux osaient à peine les attaquer dans leurs écrits. […] C’est enfin l’éclosion de conceptions nouvelles, égalitaires sur les rapports entre citoyens, conceptions qui bientôt deviennent des réalités. » C’est le moment du peuple comme le montre Kropotkine, après la fuite du roi arrêté à Varennes, après l’invasion du pays par les troupes étrangères avec les émigrés de la première heure, le comte d’Artois en tête. Mais la bourgeoisie a peur du peuple. Elle supprime les contre-pouvoirs locaux, isole les travailleurs en instaurant la liberté du commerce et de l’industrie. Pas de regroupement des ouvriers, ils sont seuls face à la puissance de l’argent.

Cette Révolution, c’est celle de la propriété. Dans la Déclaration des droits de l’homme, elle est déclarée, et c’est la seule, comme un droit inviolable et sacré. La vente des biens du clergé et des nobles émigrés sert la bourgeoisie et des fortunes naissent. Pour autant, cette même Déclaration contient des droits essentiels pour le peuple, des points d’appui que l’on retrouve en 1830, 1848, 1871 pour ne rester qu’en France.

Déjà des anarchistes ?

Dans ces événements, Kropotkine discerne la présence des anarchistes. Ils ne sont pas organisés en parti. « Ce sont des révolutionnaires disséminés dans toute la France. Ils se sont donnés à la Révolution corps et âme ; ils en comprennent la nécessité ; ils l’aiment et ils travaillent pour elles. » Certains sont autour de la Commune de Paris, d’autres aux Cordeliers, aux Jacobins. « Mais leur vrai terrain, c’est la section, et surtout la rue. […] leur moyen, d’action c’est l’opinion du peuple […] Leur vraie arme, c’est l’insurrection. Par cette arme ils exercent une influence sur les députés et le pouvoir exécutif. » Ils seront la bête noire de la bourgeoisie, la diatribe de Brissot contre eux démontre que le combat est bien là. Il faut l’égalité de droit, mais aussi de fait, sinon tout n’est qu’illusion. En 1791, Robespierre s’exprime en ce sens « Les aliments nécessaires au peuple sont aussi sacrés que la vie. Tout ce qui est nécessaire pour la conserver est une propriété commune à la société entière. Il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle. » Ces propos ne sont pas sans rappeler La Conquête du pain.

Attaquée de toutes parts, la Convention va mettre en place un système violent et systématique, la Terreur dans laquelle Kropotkine ne saurait se retrouver. Les colonnes infernales en Vendée, les envoyés politiques en province, l’élimination des opposants, voire de révolutionnaires authentiques, avec des simulacres de procès ne sont pas sans rappeler des méthodes de régime totalitaire du XXe siècle.

Après Thermidor, la Révolution s’achève lentement malgré quelques soubresauts comme la conjuration des Égaux. « Une révolution qui s’arrête à mi-chemin marche nécessairement à sa perte. » D’autant qu’elle a « laissé un « gouvernement fort » se constituer ; et ce gouvernement avait écrasé les Enragés et mis le bâillon à ceux qui osaient penser comme eux. » Une ambiance de traque et de répression digne de la chasse aux communards de 1871 se met en place.

Pierre Kropotkine conclut son livre en donnant une grande leçon de science politique sur l’évolution inéluctable de la société humaine, « l’humanité marche d’étape en étape, et ses étapes sont marquées depuis plusieurs centaines d’années par de grandes révolutions. »

Francis

La Grande Révolution, Pierre Kropotkine. Ed. Atlande, 2019 en vente à Publico

PAR : Francis
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1

le 5 décembre 2019 14:16:39 par René

J’attire l’attention sur une publication des Éditions du Monde libertaire datant de 1990, "Les anarchistes et la Révolution française", ouvrage collectif constitué de 15 interventions fort intéressantes.